Marseille: On a vu au Toursky L' »Opéra de quat’sous » de Berthold Brecht

Publié le 7 décembre 2015 à  0h34 - Dernière mise à  jour le 27 octobre 2022 à  20h55

L’«Opéra de quat’sous» de Berthold Brecht a été vendredi et samedi soir d’une criante actualité au Théâtre Toursky de Marseille, en plein cœur des quartiers Nord, devant un public se régalant des sorties anticapitalistes de ce texte, presque centenaire, écrit à Berlin dans les années 20.

(Photo Thierry Lindauer)
(Photo Thierry Lindauer)

«Bonne soirée, profitez-en, avant de peut être nous réveiller lundi avec la gueule de bois», a lancé, l’anarchiste Richard Martin, directeur de ce théâtre, a son public acquis. Il semblait ravi d’introduire ainsi cet opéra iconoclaste anti-bourgeois avant le lever de rideau sur la scène préparée par « l’Opéra Éclate ». Venue de Saint Céré (Lot) dans une coproduction avec le centre lyrique d’Auvergne, cette compagnie a joué avec le feu pendant plus de deux heures aux sons de ses 9 musiciens interprétant sous la direction de Manuel Peskine les partitions de Kurt Weill très rythmées comme on les aimait au temps de la naissance du Jazz.
Un Opéra de Quat’sous limpide, quoique un peu long, dans une mise en scène d’Olivier Desbordes, le directeur de la Compagnie et Eric Pérez magnifique en Mackie le mauvais garçon, mi mac mi bandit de grand chemin, très cruel envers les femmes dont il ne peut se passer et qui le perdront (presque). Une farce grandiose entre cirque et cabaret dans un décor de fond de grenier de grand’mère ou rien n’est de trop pour l’environnement du Monsieur Loyal local un Monsieur Peachum tonitruant alias Patrick Zimmermann qui organise la mendicité pour s’enrichir. Il semblait samedi soir manquer un peu de tonus après la harangue au public de Richard Martin. C’était peut-être dû aussi au rythme lent recherché par le compositeur pour faire contraster ses scènes de cruauté posées avec celles plus rapides et enlevées de Mackie et de ses femmes.
Lorsque l’on commence par parler du décor et de la musique, c’est que la critique va éreinter les acteurs. Il n’en est rien, Nicole Croisille a attrapé le public dans un rôle de mégère de caniveau à la limite de la mère maquerelle voulant protéger sa fille des griffes de Mackie qu’elle soupçonne a raison de vouloir l’ajouter à sa liste déjà longue d’épouses putatives.
De très beaux jeux d’acteurs et de magnifiques voix, outre la quasi monocorde imposée à Patrick Zimemann et par moments à Nicole Croisille face à sa fille Polly chantée avec grâce par Anandha dans le « navire des corsaires » qui prend tout de suite un air connu pour le public à l’écoute. Elle n’aura comme opposante que Lucie qui, dans sa courte apparition, marquante par le timbre de sa voix farouche, fera basculer le cours de cette parodie d’Opéra. La troisième épouse (ou première, on ne sait plus) du méchant Mackie a aussi régalé le public par sa voix et le texte de Brecht assénant des vérités à l’épreuve du temps.
Enfin, la mise en scène dont on a parlé est particulièrement soignée lorsque le méchant Mackie, avant d’être pendu -mais il ne le sera pas, on est à l’opéra- pose les bras en croix, ses trois femmes officielles à ses pieds, comme dans un Titien donnant la vision d’un Brecht considérant la religion comme l’opium du peuple. La supplique de ce supplicié de théâtre sonne particulièrement aux oreilles de ce public marseillais conquis avec «La ballade des pendus» de Villon additionnée de couplets anticapitalistes comme Brecht savait les écrire.
Serge Zal

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