Marseille. Rencontre avec l’acteur-écrivain-metteur en scène Gaëtan Vettier qui jouera dans « Dchéquématte » pièce pour enfants de Marilyn Mattei donnée au Théâtre Massalia du 8 au 11 février

Publié le 6 février 2020 à  13h56 - Dernière mise à  jour le 29 octobre 2022 à  13h46

Gaetan Vettier (Photo Nicolas Joubart)
Gaetan Vettier (Photo Nicolas Joubart)
C’est en mars prochain dans un appartement situé à Montreuil que Gaëtan Vettier créera sa pièce intitulée «Daisy». Il s’agit du portrait d’une mythomane qui transforme un réel où elle ne trouve pas sa place en se réinventant actrice de cinéma, en transposant son être-au-monde désorienté dans la crise d’identification que traverserait cette actrice fantasmée. «Je tente ici un parallèle entre le phénomène d’incarnation chez l’acteur de cinéma -et la foi qu’il exige-, la mythomanie -comme pathologie-, et la nécessaire réinvention par la poésie et le sublime de nos vies dont l’expérience de la réalité peut parfois s’avérer difficile à supporter», explique l’auteur. Porté par une ambition constante jamais où on l’attend, prenant tous les risques et multipliant les projets ce jeune acteur écrivain et metteur en scène né le 2 mai 1987 a commencé sa carrière artistique à la fois tard et tôt. Bac scientifique en poche passion pour les langues et le cinéma en bandoulière, il s’est orienté vers l’étude du chinois et a obtenu une licence en 2008. En parallèle il fréquente des gens de théâtre dans une petite troupe universitaire.

Incarnation plutôt qu’interprétation

Conservatoire d’arrondissement plus tard (dans le XVe arrondissement), un grand-père qui l’encourage à devenir comédien, et c’est parti ! «J’ai découvert des facettes du théâtre qui m’ont touché avec la perception d’un langage qui mêlait le corps et la voix. J’aime d’ailleurs davantage le terme d’incarnation plutôt que celui d’interprétation, parce que il y a de la chair là dedans. Et puis je suis passionné de danse le théâtre m’ayant permis de toucher à cela». Et de brillante manière serait-on tenté d’ajouter. Sa prestation dans «Les bas-fonds» de Gorki mis en scène par Eric Lacascade le montrait fin, intelligent, virevoltant, et d’une force physique à l’égale du projet artistique proposé. Créateur d’un collectif qui s’appelle MiT monté avec Anna Carraud -avec qui il avait déjà travaillé dans les «Variations sur l’amour» à partir du «Partage de midi» de Claudel-, Pénélope Avril, camarade de promo et présente à ses côtés sur «Les Bas-fonds», Kyoko Takenaka -qui joue en ce moment beaucoup avec Guillaume Vincent-. «Nous nous sommes tous les quatre rencontrés au conservatoire d’arrondissement (XVe) de Paris en 2010 et 2011, notre amitié s’est enrichie de désirs d’aventures d’écriture et de jeu», raconte Gaëtan Vettier. A venir également : un travail entre théâtre, performance, danse et conférence autour de textes de Paul B. Preciado et Guillaume Dustan, dont ils présenteront une maquette aux Amandiers à Nanterre en Avril prochain. Initiée par Jean-Charles Dumay (fidèle acteur de Philippe Quesnes) et l’incroyable Dimitri Doré ( jeune prodige de la scène ! qui travaille beaucoup avec Jonathan Capdevielle.) A l’automne prochain ce sera «Ec(h)os», la pièce que mettra en scène Millaray Lobos Garcia au Théâtre de la Cité à Toulouse et au CDN de Caen, et qui sera la singulière rencontre entre le texte de Pommerat «La Réunification des Deux Corées» et les philosophes et penseurs dont les recherches ont inspiré le parcours de comédienne de Millaray Lobos. Au cœur de tout cela : les question de la traduction et de l’interprétation au sens large, et l’acteur comme interface. «C’est un travail magnifique, et très sensible», dit Gaëtan Vettier qui ajoute : «J’ai rencontré Millaray lors d’un stage au TNB qu’elle avait organisée pour six élèves du TNB et six jeunes acteurs de la Universidad de Chile à Santiago. J’ai eu un véritable coup de foudre pour le Chili, pour les acteurs et le théâtre chilien. C’est une poésie de la scène qui me touche énormément et qui met l’acteur à un endroit de sensibilité extrêmement subtil et beau.» D’ailleurs Gaëtan est resté en contact avec ces acteurs chiliens. Cet atelier avec Millaray Lobos (co-dirigé avec Christophe Grégoire) a de son aveu-même véritablement changé son amour pour le théâtre, et sa conception du travail en groupe et entre acteurs.

Des metteurs en scène marquants

Parmi les metteurs en scène dont le travail l’a marqué (sinon bouleversé) en tant que spectateur, il y a eu : François Tanguy, Krystian Lupa «avec qui je rêverais de bosser, avoue-t-il, Christoph Marthaler, Universidad de Chile à Santiago, Gisèle Vienne, Isabelle Lafon, Robert Wilson, Pierre Mayet, Emma Dante… Et plein d’autres, évidemment… «Je me rends compte que la liste est longue», poursuit-il, non sans humour. Quant aux comédiens et comédiennes qui ont vraiment compté pour lui on citera Isabelle Adjani, Gérard Depardieu, Denis Lavant, Judith Chemla, Jonathan Capdevielle ou encore Romy Schneider et Michel Piccoli…, des grands noms dont beaucoup ont également été marquants par leurs voix. On n’oubliera pas «Roi Lear», création datant de 2015 au TNB, du texte de Rodrigo Garcia par Laure Catherine, une camarade actrice de la promotion du TNB avec qui Gaëtan Vettier continue de collaborer.

Prise de risques au cinéma

Au printemps va sortir le court-métrage «Le Papillon Noir», de Thierry Sausse, produit par Black Negative. C’est l’histoire d’un jeune homme dévoré par la jalousie qu’il nourrit pour sa sœur, et qui en vient à sombrer petit à petit dans la folie. «Nous l’avons tourné l’été 2019. J’aime particulièrement le regard de Thierry sur les êtres et, notamment avec « 10 Minutes » (2016) un film noir avec gangsters, et « La Belle Gueule » (2013), deux courts-métrages dans lesquels je jouais et que j’ai hâte de découvrir car le tournage a été un engagement d’une grande intensité». Mais le choc absolu fut sa rencontre avec le cinéaste Antony Hickling. Deux films ensemble, deux longs métrages coups de poing, où Gaëtan Vettier est absolument prodigieux. Corps supplicié, âmes tourmentées, plongée fascinante dans un univers à situer entre Kenneth Anger, le Marquis de Sade, Pasolini, Visconti et Jean Genet «Little gay boy» (2013) et «Frig» (2018), bousculent tout sur leur passage. Violents, dérangeants, évoquant les rapports entre les générations, et la quête de sens autant que le rapport au sacré, ces longs métrages entre violence et rêveries montrent comment on peut progressivement se libérer des démons du passé. Semblant sortir de «Mort à Venise», ou de «Querelle de Brest», Gaëtan Vettier ajoute à sa performance une part d’humanité. Parlant de la difficile construction de l’identité par le massacre de l’innocence, exposant la violence des situations par la nudité des corps, ces films ont impressionné Gaëtan Vettier lui-même. «Oui, « Frig » a des aspects pasoliniens et je me souviens avoir adoré jouer au théâtre plusieurs personnages dans le « Calderon » de Pasolini, artiste pas facile d’accès mais très humain, dont j’admire le courage et l’engagement esthétique». Ici incroyable de densité, Gaëtan Vettier frappe les esprits et s’affirme comme un comédien surpuissant et d’une finesse de jeu et d’âme. Impressionnant et exemplaire relais d’un projet cinématographique ambitieux, et scandaleux au sens noble du terme.

Pièce pour enfants au Théâtre Massalia

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Et puis il y a le 8 février et les 10 et 11 février au Théâtre Massalia la pièce «Dchèquématte» qui signe le retour dans ce théâtre de Marie Normand qui y avait été accueillie pour «Roulez jeunesse» de Luc Tartar où jouait déjà Gaëtan Vettier. «La metteuse en scène cherchait avec « Dchèquématte » à renouer avec des acteurs qu’elle avait déjà dirigés. Et c’est comme cela que je suis retrouvé embarqué sur le projet», indique-t-il. «Dchèquématte» entame le projet Ursari, projet théâtral autour des thèmes de l’exil et de l’accueil. «Le Projet Ursari s’adresse à ceux qui bientôt seront à notre place et qui, n’en doutons pas, nous demanderont des comptes. Car demain, les jeunes enfants, les enfants, les adolescents d’aujourd’hui accueilleront les migrants, les rejetteront ou s’abstiendront de réagir. L’ambition d’un projet artistique comme celui-ci est d’émouvoir, de raconter, de proposer un autre regard, un autre point de vue, de bousculer parfois, de toucher le vrai plutôt que le réel. Je ne sais pas si de ce projet de triptyque naîtront des spectacles engagés. Mais si être engagé, c’est s’attaquer à des sujets qui provoquent la controverse, si c’est poser des questions et laisser aux spectateurs le choix des réponses, si c’est proposer aux enfants un propos qui respecte leur intelligence et qui n’édulcore pas la réalité, si c’est offrir aux adolescents un spectacle qui les bouscule et leur ouvre un espace de débat, de combat, si c’est amorcer pour les tout-petits une approche à la fois narrative et sensible de la notion d’étranger, alors, oui, ce seront des spectacles engagés», explique Marie Normand, définissant sa pièce. On rencontre ainsi Ciprian, 10 ans, qui est le fils d’un montreur d’ours. De villes en villes, chassés de partout, les membres de cette famille nomade se battent pour survivre, jusqu’à ce qu’un jour, pris en tenailles entre un groupe de villageois violents et des passeurs véreux, ils quittent leur pays et sont débarqués dans un bidonville de la banlieue parisienne. Là, commence une autre forme de violence pour la famille de Ciprian, qui doit composer avec l’illégalité de leur situation, mais aussi avec la dette impossible à rembourser contractée avec les dangereux passeurs. Et puis un jour, en volant aux touristes leurs portefeuilles, Ciprian fait au Jardin du Luxembourg une découverte qui va transformer sa vie… C’est beau, puissant et Gaëtan Vettier a été heureux de jouer un enfant : «Cette pièce est pour moi importante, car elle répond à plusieurs choses importantes sur la place de l’humain dans le monde, et pose beaucoup de questions.» Quant à savoir ce qu’est une bonne pièce Gaëtan Vettier répond : «C’est une pièce qui laisse beaucoup de places aux acteurs». Et comme, humaniste à l’écoute des autres, soucieux d’aimer, parce que «c’est comme ça qu’on ne se trompe pas», il sait mettre de l’œuvre dans sa vie et de la vie dans son œuvre.
Jean-Rémi BARLAND
«Dchèquématte » au Théâtre Massalia le 8 février à 19h. Le lundi 10 février à 9h45 et 14h30- Le mardi 11 février à 9h45 et 14h30 – Billetterie 04 95 04 95 75 – Plus d’info et réservations theatremassalia.com
Théâtre Massalia – La Friche la Belle de Mai – 41, rue Jobin (entrée piétons) – 12, rue François Simon (parking) – 13003 Marseille

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