Marseille: faible mobilisation pour la commémoration de l’évacuation et de la déportation des populations des quartiers du Vieux Port et de l’Opéra

Publié le 25 janvier 2015 à  22h56 - Dernière mise à  jour le 27 octobre 2022 à  18h36

Peu de monde, bien trop peu hélas, vu les événements commémorés, vu l’actualité, ont suivi les manifestations qui se sont déroulées à Marseille à l’occasion du 72e anniversaire de l’évacuation et de la déportation des populations des quartiers du Vieux Port et de l’Opéra. D’autant plus regrettable que des propos ont été forts, pertinents, émouvants.

(Photo Robert Poulain)
(Photo Robert Poulain)
Elus et représentants associatifs réunis devant l'Opéra de Marseille (Photo Robert Poulain)
Elus et représentants associatifs réunis devant l’Opéra de Marseille (Photo Robert Poulain)

C’est, place du 23 janvier 1943, que les cérémonies commencent.
Suite à l’invasion allemande de la zone libre, les troupes allemandes occupent Marseille depuis le 12 novembre 1942. Profitant d’attentats, ils décident, avec l’appui des autorités françaises de détruire le quartier du Vieux-Port. Un quartier qualifié dès octobre 1942, par un dénommé Louis Gillet, dans la revue municipale de : «Suburre obscène, un des cloaques les plus impurs, où s’amasse l’écume de la Méditerranée (…) C’est l’empire du péché et de la mort. Ces quartiers patriciens abandonnés à la canaille, la misère et la honte, quel moyen de les vider de leur pus et les régénérer».
Le 22 janvier, le Vieux-Port est complètement bouclé. La ville est fouillée maison par maison durant 36 heures. Près de 2 000 Marseillais se retrouveront dans les trains de la mort. 1 500 immeubles sont détruits. Puis, la rafle s’est étendue au quartier de l’Opéra où vivent de nombreuses familles juives. 250 familles sont raflées, tôt le matin, avec une brutalité inouïe, les gens emmenés dans la tenue dans laquelle ils étaient au moment où les policiers ont franchi la porte, sans bagage ni objet personnel; les familles ont été séparées dès le moment de l’arrestation et, ne se sont jamais retrouvées. Les prises de paroles se succèdent, rappelant la tragédie, les souffrances, la police française à l’œuvre. Raymond Alexander, au nom de l’association des Justes de France, rappelle que c’est René Bousquet qui propose aux Allemands d’étendre l’opération au quartier de l’Opéra. Il pense «à une famille réveillée brutalement à l’aube du 23. Elle doit partir dans le froid de l’hiver sans même pouvoir se vêtir. Je les vois transis parmi des milliers de personnes effrayées. Je les vois entassés dans des wagons à bestiaux. Combien à durer le voyage ? Quelles furent leurs souffrances ? Où Jules et Alexandrine Alexander sont-ils allés ? Je ne sais pas, je sais seulement qu’ils ne sont jamais revenus ». Direction le quartier de l’Opéra.

«Une jeunesse fracassée sur l’autel de la barbarie»

Caroline Pozmentier est la première à prendre la parole au nom de l’Association Fonds Mémoire d’Auschwitz : «Encore un matin, une journée de commémoration. Et je pense à tous ceux qui œuvrent pour que la transmission de la mémoire ne soit pas qu’un principe mais une action. Je pense à Victor Algazy à qui nous devons de nous réunir tous les ans. Lui qui, enfant, tremblait avec sa mère lorsque l’on frappait à sa porte. Le commissaire voit sur les papiers de sa mère qu’elle est de Smyrne, où lui même a été pendant la campagne des Dardanelles. Il les laisse chez eux. A quoi cela tient la vie».
Puis d’évoquer Ida Palombo: «Elle était, selon ses propres dires, une jeune fille très heureuse dans cette ville, à Marseille, où la fraternité et la générosité n’étaient pas de vains mots dans ces vieux-quartiers. Une jeunesse fracassée sur l’autel de la barbarie. Son père est arrêté. Avec sa mère, ses jeunes frères, vient l’heure de la fuite, aux Camoins, autre quartier marseillais. Mais les barbares poursuivent leur traque, l’attraperont avec sa famille 4 mois plus tard. Elle sera la seule à revenir. Elle a témoigné, parlé, il nous faut continuer de le faire. Face à l’horreur de la barbarie le monde libre doit s’exprimer». L’impérieuse nécessité est là : « Cet été, dans les rues de France, on a crié mort aux juifs. Après le 7 janvier, Charlie Hebdo, il y a eu le 9, la supérette casher. La bête immonde n’est pas loin. Aucun acte, aucun propos n’est anodin. Il faut parler».
Zvi Amar, au nom du Consistoire rappelle : « Ici s’est écrit une page de la Shoah alors nous avons l’obligation de ne pas oublier. On doit le dire encore et encore : la folie du nazisme est venue au pouvoir dans le pays le plus éduqué au monde. Et c’est le Juif qui a été le bouc-émissaire, comme tant de fois dans l’histoire».

«Certains, profitant du conflit à Gaza ont défilé cet été en criant « Mort aux juifs » ou « Juif, casse-toi »

«L’antisémitisme resurgit en Europe, poursuit-il, certains, profitant du conflit à Gaza ont défilé cet été en criant « Mort aux juifs » ou « Juif, casse-toi » ». Il rappelle Toulouse, Bruxelles, Vincennes ; des gens tués parce que juifs, dénonce Soral, Dieudonné. Il rend hommage aux discours qu’il qualifie d’historique du Premier ministre dans les jours sombres que nous venons de connaître. Il célèbre aussi la police et l’armée. Ajoute que «la France qui, la première, accorda, la pleine citoyenneté aux juifs, retrouve sa sérénité, redevienne le pays de la liberté, l’égalité et la fraternité».
Pour Michèle Teboul, la présidente du Crif Marseille- Provence : «Lorsque l’on parle des personnes raflées à l’Opéra, on parle de Marseillais, de citoyens de la république qui ont été réduits à leur judaïcité avant d’être livrés aux antisémites ». Elle explique : «J’ai participé à plusieurs débats lors desquels j’ai entendu dire qu’il y avait deux poids deux mesures en France, la liberté d’expression pour Charlie Hebdo et la censure pour Dieudonné. C’est ignorer que les premiers parodient les religions tandis que Dieudonné nie des faits avérés qui sont la honte de l’humanité. Les premiers pointent la Foi, l’autre un peuple, les premiers se rient de la religion, le second de la mort». Puis de rendre hommage à Lassana Bathily qui a sauvé plusieurs vies dans la supérette. Exprime son soulagement devant les rassemblements du 11 janvier. «L’indifférence a laissé place à la prise de conscience ».
André Malrait, représentant Jean-Claude Gaudin, cite Pasolini : «Ce n’est pas que les morts ne parlent pas, c’est que nous avons perdu l’habitude de les écouter» et d’insister sur l’importance du devoir de mémoire.

«Janvier 1943, les rafles, janvier 2015, les attentats, janvier est noir »

Jocelyn Zeitoun, représentant Michel Vauzelle, le président de la Région Provence-Alpes-Côte d’Azur considère: «Janvier 1943, les rafles, janvier 2015, les attentats, janvier est noir». «Mais, précise-t-il, en 1943, la police est la honte d’une République trahie alors qu’il y a quelques jours, avec l’armée, elle a été la fierté de tout un peuple». Considérant : «Il faut mener le combat, condamner, punir, éduquer aussi. Il faut aussi que chaque citoyen prenne part au combat. Car nous savons que des petits riens peuvent produire des fleuves d’horreur».
Lisette Narducci, représentant Jean-Noël Guérini, le président du Conseil général des Bouches-du-Rhône d’insister: « Non, le temps qui passe n’est pas un allié de l’oublie et, plus que jamais, il est indispensable de se souvenir ». Et de rappeler que, dans ce cadre, le Département, depuis des années, accompagne des collégiens à Auschwitz. «Il faut, sans cesse, poursuivre le travail d’éducation pour une France unie, généreuse et tolérante».
Le représentant du Préfet de région, Michel Cadot, revient à son tour sur les événements de 1943, entend, à l’occasion de cette cérémonie «venir témoigner avec force et gravité du soutien de l’État. L’antisémitisme ne peut être toléré. L’État exprime sa considération à la communauté juive de Marseille pour sa place dans la ville de Marseille, pour sa contribution au développement de la cité, son ouverture au monde». Un propos qui se traduit en acte avec la protection des 73 lieux de culte et établissements scolaires du département.
Michel CAIRE

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