Marseille : les rencontres Mosaïques organisées dans le cadre du Parvis du cœur viennent de se dérouler à la Villa Méditerranée. Il a été question d’une place pour tous, du vivre ensemble, de culture, de plaies béantes et d’espoir construit sur des expériences, sur une nécessité.

Publié le 17 juin 2013 à  2h00 - Dernière mise à  jour le 27 octobre 2022 à  15h38

(PHOTO PHILIPPE MAILLÉ)
(PHOTO PHILIPPE MAILLÉ)

Avec les rencontres Mosaïques dont la quatrième édition vient de se dérouler à la Villa Méditerranée, les catholiques « veulent aider à ce grand débat méditerranéen qui prend corps à Marseille », explique le Père Aveline, directeur fondateur de l’Institut culturel de la Méditerranée. La manifestation se déroulait cette année dans le cadre du « Parvis du cœur » organisée à l’occasion de Marseille Provence 2013. Un moment de partage, de réflexion, entre jeunes de la Méditerranée et des experts.
Lors du premier débat, dans notre société en crise où l’exclusion, le rejet sont des tentations quotidiennes, des réalités aussi, avec une Europe citadelle, les mots de ce jeune algérien méritent d’être entendus : « Partout il y a des méchants, des gentils. Alors il ne faut pas céder aux a priori, il faut regarder dans les yeux, et, là, seulement, on peut savoir ». Jean-François de Lavison, membre de l’Institut de formation humanitaire Bioforce, confirme : « Notre richesse réside dans le fait de partager, de sortir de nos racines ». Surtout, avance-t-il: « Nous avons une responsabilité vis à vis de la jeunesse et cela n’est pas que des mots, notamment en France qui serait le pays où l’on déplore le plus grand nombre de tentatives de suicide chez les jeunes ». Il conclut en insistant sur l’importance de la jeunesse que l’on voit en tête de toutes les mobilisations : « Vous êtes des acteurs dans un monde où l’on veut nous transformer en spectateurs ».

« Une place pour chacun, ça dépend de tous »

Il est question dans le premier temps de ces rencontres de : « Une place pour chacun, ça dépend de tous ». Interviennent des membres de l’association « L’heure joyeuse », partenaire des « Apprentis d’Auteuil » qui expliquent : « On compte 30 000 enfants de rue au Maroc dont 5 000 à Casablanca. Des chiffres qui ne sont pas officiels car ces jeunes bougent énormément ce qui leur vaut le nom de « moineaux ». Souvent ces enfants sont allés en Europe sans accompagnement, sans formation, où ils ont vécu en errance avant de rentrer au Maroc. Nous essayons à « L’heure joyeuse » de leur offrir une deuxième chance par l’éducation et la formation ».
L’Arche est aussi présente, avec des jeunes, qui accomplissent là un service civique, dans l’accueil, le partage, avec des personnes en handicap. Occasion pour Jean-François de Lavison d’assurer: « Nos différences sont des atouts pour construire le monde de demain et non des contraintes derrière lesquelles se placer et se battre ».
Les différences qui font peur, qui entraînent le rejet, il en a été question avec « Gipsy Eyes », les Yeux des Gitans. Un représentant de l’association explique : « En Roumanie, parler des gitans est péjoratif, sauf lorsque l’on parle de leur yeux, c’est alors synonyme de beauté ». Il raconte : « L’association ne comptait au départ que des Roms, elle compte aujourd’hui une centaine de bénévoles, Roms mais aussi Roumains. Ensemble nous travaillons pour construire un pont entre les communautés. Nous menons d’ailleurs un projet dans un village où la population est mixte, nous proposons de l’accompagnement scolaire pour les enfants. Nous créons aussi un lien entre ruraux et urbains puisque nous faisons venir des étudiants des Villes ».

« Vivre ensemble, ça s’apprend »

Le deuxième temps des rencontres soumet à la réflexion de l’assistance le fait que « Vivre ensemble, ça s’apprend ». Ce vivre ensemble ce sont ces Libanais, de confessions différentes qui travaillent ensemble, œuvrent au rapprochement des communautés. C’est cette jeune fille, athée, venue effectuer un service civique à Marseille avec le Secours catholique. Qui, dans ce cadre, a pu notamment apprendre à des enfants les fondements des trois religions monothéistes : « J’ai vécu une expérience enrichissante. Je n’avais pas particulièrement d’affinités avec le monde religieux c’est pour cela que j’ai tenu à le rencontrer, afin de me forger ma propre opinion. Et j’ai découvert que cela fourni une grande force aux pratiquants, mais que le risque existe aussi de manipulation. En fait, je suis ravie d’avoir beaucoup appris, d’avoir pu permettre aux gens de réfléchir afin qu’ils puissent prendre le bon et critiquer le moins bon ». Cet apprentissage de l’Autre c’est, enfin, ces jeunes femmes palestiniennes qui ont décidé d’apprendre le français, qui sont actuellement en stage en France.

« La Méditerranée c’est des murs partout »

Michèle Gendreau Massaloux, le recteur de l’Agence universitaire de la francophonie observe : « Pour moi la Méditerranée est le symbole de tous les ponts à construire et elle doit être une Méditerranée des projets ». Et il en faut pour faire tomber les murs : « La Méditerranée c’est des murs partout, contraignants, massifs. Physiques comme entre Israël et la Palestine, comme à Chypre. Et il y a ceux qui veulent traverser les murs, comme à Beyrouth, où ils ne sont pas matériels mais bien présents entre les quartiers, les communautés. Et puis, ici même, à Marseille, des frontières existent : celles de l’exclusion ». Dans ce cadre elle se réjouit de l’élaboration d’une histoire de la Méditerranée « écrite par huit grands historiens des divers pays de la région. La rencontre est rude pourtant ce livre s’écrit et va être présenté en décembre prochain ». Elle ajoute : « J’entends les jeunes, ils veulent découvrir l’Autre. Pour cela il faut bouger. Or, actuellement, il est compliqué de se déplacer. Les visas ne doivent pas conduire à des heures d’attente. Il faut apporter des solutions à cela et il s’impose de trouver des ressources pour la formation ». Elle rappelle à ce propos que le Président de la République a confié à Michel Vauzelle, le président de la Région Paca un rapport sur les questions méditerranéennes qui devrait aborder ces questions.

« La Méditerranée est un cimetière »

Il y a urgence, comme l’ assénera Massimo Toschi , conseiller du gouverneur de Toscane pour la coopération internationale: « La Méditerranée est un cimetière. On y dénombre 15 000 morts depuis l’an 2000. C’est là, le résultat d’une Europe forteresse : nous sommes devant une mer de guerre. Face à cela il faut mettre en place une nouvelle culture politique en Méditerranée qui réside en quatre points. Premièrement celle de la parole de la vérité, et cette parole c’est celle des victimes de la guerre, de l’immigration. Deuxièmement il faut mettre en place la parole du pardon. Sans le pardon qui pardonne l’impardonnable (car autrement le pardon n’existe pas), la Méditerranée de Paix n’existera pas. Troisièmement il faut que se développe la parole de la fraternité, et cela à partir du plus petit des frères. Enfin, s’impose une parole de la réconciliation, sans cela le futur n’existe pas. Il faut commencer à lire l’histoire avec les yeux de l’avenir. Il faut que le politique devienne la possibilité de vivre sous la frontière de l’impossible ».
L’après-midi, la culture sera abordée, il sera aussi, surtout question de souffrance et d’espoir. Comment ne pas retenir deux interventions ? Celle d’Alexandre, jeune espagnol, économiste, bénévole dans le groupe « Chrétienté , Justice ». « Nous essayons d’avoir un regard critique sur la situation actuelle, d’apporter des contributions pour changer la société. Dans notre groupe nous avons travaillé sur l’Union Européenne qui semble regarder ailleurs alors que la société est en crise, alors que nous avons besoin de réponses communes. Ainsi, en Espagne, nous avons un taux de chômage de 27,1%. Dans ma ville, Albacete, le chômage des jeunes est de 54%. Les Espagnols sont contraints de quitter leur pays pour trouver un emploi. Nous sommes le pays qui compte le plus grand nombre de maisons inoccupées, c’est aussi celui où on continue de « virer » des gens à la rue, sans rien. C’est un pays où des gens se suicident parce qu’ils n’ont plus rien. Parlant, je pense à mon oncle, 60 ans, au chômage, chez nous la retraite est à 65, 67 ans. Il est routier dans le béton, il n’y a plus rien à transporter. Ma tante aussi est au chômage, ainsi que leur trois enfants. Ils ne sont pas à la rue parce que le reste de la famille fait ce qu’elle peut pour les aider ». Propos terribles auxquels succède une image réconfortante, celle de deux jeunes filles se partageant une même chaise, elles sont chypriotes, une du Nord, l’autre du Sud, c’est la première fois qu’elles rencontrent une personne de l’autre partie de l’île, découvrent être confrontées aux mêmes problèmes. Espoir toujours avec ce jeune palestinien, chrétien orthodoxe qui déclare « J’ai des amis Juifs, mais en Palestine c’est difficile de communiquer avec des juifs car dans chaque famille palestinienne il y a au moins une personne qui a été tuée par les Israéliens. Mais, pour moi, il faut chercher la paix, l’amitié avec notre cousin juif, musulman, et si j’étais d’une de ces deux religions, je tiendrai les mêmes propos ».
C’est Katerina Stenou de l’Unesco, qui conclura cette journée. Elle avoue devenir une professionnelle du dialogue : « Le dialogue ne peut pas assumer toutes les pathologies de nos sociétés mais il importe de voir les lueurs d’espoir qu’il met en lumière. C’est grâce aux lueurs d’espoir que l’on peut penser que les humains, capables de faire tant de mal, peuvent aussi faire tant de bien ».
Elle plaide : « Si l’on ne met pas au cœur de nos débats la compréhension mutuelle nous perdrons le pari du vivre ensemble. Et le vivre ensemble cela s’apprend… je crois à la force de la culture ».

Michel CAIRE

Cette rencontre a été préparée par l’Institut Catholique de la Méditerranée et Marseille-Provence 2013, en lien avec plusieurs associations dont la Fondation d’Auteuil, les Conférences Saint-Vincent-de-Paul, le Réseau Barnabé, le réseau Chrétiens de la Méditerranée, Escale Marseille Étudiants et L’Arche à Marseille.

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