Marseille : semaine de la Pop philosophie

Publié le 22 octobre 2013 à  18h24 - Dernière mise à  jour le 27 octobre 2022 à  16h24

(Photo : Philippe MAILLÉ)
(Photo : Philippe MAILLÉ)

Laurent de Sutter (philosophe et directeur de collection aux PUF), explique : « Lorsque Gilles Deleuze inventa le concept de « pop’philosophie », ce n’était pas pour désigner une nouvelle forme de philosophie, qui ferait de la « pop culture » son objet ou son but. La « pop’philosophie » que Deleuze avait en tête ne se voulait pas philosophie de tel ou tel objet, de tel ou tel moment, ou de tel ou tel phénomène puisé dans l’air du temps ou le flux de l’époque. Au contraire, il y avait quelque chose d’aristocratique, et en même temps d’un peu pervers, dans l’idée de « pop’philosophie » : une manière d’être encore plus philosophique qu’avant, encore plus abstrait, encore plus conceptuel. La « pop’philosophie », pour Deleuze, c’était, plutôt qu’une question d’objet, une question d’intensité : est « pop » une philosophie qui peut prétendre à l’intensité de la « pop », à son électricité, à sa puissance de fascination. Le fait que cette intensité, aujourd’hui, naît avec plus de facilité de la prise en considération de la musique électronique, du roman de science-fiction et du cinéma de blockbuster que des œuvres tirées de la haute culture n’est qu’un hasard. Mais, un tel hasard est aussi celui d’une rencontre – et, pour Deleuze, une rencontre est quelque chose à cultiver en vue d’en tirer les plus belles, les plus riches et, oui, les plus intenses conséquences. Telle est donc la « pop’philosophie » que nous défendons : l’art de tirer de la rencontre avec les objets les plus triviaux les conséquences les plus élevées – un art qui, s’il n’est pas excitant, n’est rien ».
La semaine de la Pop philosophie a débuté lundi en s’interrogeant : « sommes-nous dans un nouveau « moment » philosophique ?

Mardi 22 octobre à 18H00
Galerie de l’Ecole Supérieure d’Art et de Design Marseille Méditerranée (30 bis, Boulevard Chave – 13005 Marseille)
Les trente glorieuses au miroir des tontons flingueurs
Avec Olivier Coquard (professeur de philosophie au Lycée Henri IV)
Film éreinté par la critique mais succès public convenable à sa sortie française en novembre 1963, es Tontons Flingueurs ont acquis très rapidement un statut incontestable de Film-culte. Parmi les raisons de cette véritable réussite, la présence dans ce film d’une impressionnante série d’images de ce que vivait et pensaient les deux générations des Trente Glorieuses : les parents, nourris par la tradition et sortis de la guerre, et la jeunesse, imprégnée de modernité et de valeurs nouvelles. Tout y est : depuis l’émergence de la société de consommation au contexte nouveau de la diplomatie, de la fin de l’époque coloniale à l’américanisation des mœurs, de la confrontation politique à l’affrontement générationnel. L’analyse de cette période passera donc par celle de trois séquences du film : la bande annonce d’abord, qui permet en particulier de mieux comprendre le public visé par l’œuvre ; la « scène de la péniche », où l’on peut découvrir assez précisément la conscience économique des contemporains des Trente Glorieuses en France – y compris la question de la main d’œuvre et celle de la société des loisirs ; puis la célébrissime « scène de la cuisine », où s’enchaînent considérations sur l’incompréhension entre les générations, allusions à la diplomatie, regards sur le passé guerrier et colonial de la France. Le charme du film tient à la façon dont la réalisation sait jouer avec les codes du film policier, aux dialogues d’une très grande qualité, au jeu des acteurs dont la qualité est renforcée par des complicités nombreuses et à une maîtrise formelle des techniques du cinéma suffisante pour faire des Tontons Flingueurs l’une des références du cinéma français.
Olivier Coquard

Mardi 22 octobre à 20H00
Bar Rock La Maison Hantée, 10 rue Vian, 13006, Marseille
Métaphysique de la clope
Avec Guillaume Pigeard de Gurbert (professeur de philosophie)
Pendant que l’Etat nous répète que « Fumer tue », chacun continue d’éprouver que fumer est sa façon de vivre. Tabac ou pas, le dernier acte ne sera-t-il pas tragique pour tous de toute façon ? A cet égard, chaque cigarette qui se consume est une sorte de sablier qui nous met sous le nez ce que d’ordinaire nous ne voulons pas voir, à savoir le temps qui passe et qui ne reviendra pas. Chaque instant passé est comme chaque cigarette écrasée : une perte irréparable. On court aussitôt à la suivante et la conscience humaine se met alors à tituber entre l’effroi de la mort et son refus. La fumée qui regarde ainsi la mort dans les yeux semble ne pas pouvoir s’empêcher de lever les yeux au ciel pour lorgner du côté de l’éternité. Car c’est un fait : la fumée monte au ciel. Il se pourrait donc que l’objet de commerce et le logo sanitaire nous dérobent la dimension métaphysique du tabac. L’habitude de voir une source de profit ou de diagnostiquer une pathologie là où se joue une pratique métaphysique, n’est-elle pas symptomatique de notre époque qui rêve de normaliser le mystère de l’existence humaine ?
Guillaume Pigeard de Gurbert

Mercredi 23 octobre à 11H00
Ecole Supérieure d’Art et de Design Marseille Méditerranée (184, avenue de Luminy – 13009 Marseille)
La Pop Philosophie n’existe pas
Avec Francesco Masci (philosophe)
La pop philosophie est une fable à l’envers, où il n’y a même pas de happy-end. Cette fable raconte l’histoire d’une grenouille qui embrasse la princesse pour essayer de rompre le charme qui pèse sur la culture occidentale. Mais aucun jeu vidéo, aucune série télé ou actrice porno n’a le pouvoir de transformer une posture théorique traditionnelle, qui reste non questionnée. La pop philosophie surgit comme une forme mineure d’autobiographie involontaire au moment terminal du post-structuralisme. Elle ne nous fait rien connaître des choses triviales du monde dont elle s’occupe, mais elle dit beaucoup sur la destinée de la modernité, sa perte dans le néant, son nihilisme, qui, coïncidant avec une stratégie esthétique de la pensée, n’est que la marque de son néant politique. « Pop philosophie » est le nom d’un retour à une interprétation hyperclassique, pré-kantienne, du monde. Le « plan d’immanence » dans lequel le sujet despotique de la tradition occidentale est censé se laisser affecter et « infecter » par l’« impur » des événements éphémères pour finalement dépérir, ressemble beaucoup au plan de la construction perspectiviste inventé à Florence dans les premières décennies du XVe siècle, même si ce dispositif a subi une modification. Il n’y a pas de définitions certaines de la pop philosophie, qui a volontairement laissé ouverte l’ambiguïté et la contradiction entre une filiation warholienne et une démarche populiste. Nous pouvons par contre affirmer qu’il y a pop philosophie quand ce n’est plus le sujet qui regarde vers le néant d’un point de fuite infini, mais la multitude dissolvante des objets anodins et éphémères de la culture populaire qui s’adresse au sujet. En se chargeant de ce néant, la philosophie laisse échapper, pour la première fois, un aveu involontaire à propos du nihilisme ontologique qui est son destin depuis les débuts de la modernité. Le choix de « la projection » du monde et donc d’une relation sujet-objet esthétiquement déterminée a décidé que les promesses de la modernité devaient se réaliser par la culture et pas par le politique : sur le plan des images et des événements et pas sur celui de l’opposition et du conflit non moralement déterminé. La modernité reste prisonnière de l’illusion fondée par le schéma géométrique d’ordonnancement florentin, même si elle tente de l’inverser. Mais, dans cette fuite vers le néant infini, dans ce jeu d’ombres et de projections, loin de la confrontation des groupes et des partis, c’est la Florence de Brunelleschi qui l’emporte sur la Florence du Machiavel.
Francesco Masci

Mercredi 23 octobre à 11H00
BMVR – Alcazar (58, cours Belzunce – 13001 Marseille)
Tintin au Pays de l’ordre
Avec Jean-Marc Terrasse (directeur de l’auditorium du musée du Louvres)
Il est sans âge, sans mémoire, sans avenir. Tintin fige le temps, nous entraînant dans un monde abstrait pourtant plus réel que le nôtre et dont les stéréotypes sont devenus nos références. La puissance et la cohérence de cet univers sont le fruit d’un travail acharné conduit par Hergé et ses collaborateurs, obsédés qu’ils étaient par la mise en forme d’un monde totalement ordonné. Ou presque.
Mais de quel ordre s’agit-il ? A-t-il vraiment quelque chose à voir avec les critiques politiques qui ont été faites aux premiers albums des années 30 ? Cet ordre hergéesque n’est-il pas plutôt lié à une dimension plus intérieure et personnelle ? Cette enquête débouche, bien sûr, sur son lot de révélations… sinon, quel intérêt ?

Une conférence SuperTalk
www.supertalk.fr

Mercredi 23 octobre à 20H00
GRIM (3, impasse Montévidéo – 13006 Marseille)
Dans le cadre des mercredis de montévidéo
Noise Music : La grammaire des forces musicales : le Noise
Avec Boyan Manchev (philosophe) et Matthieu Potte-Bonneville (philosophe, ancien président du Collège International de Philosophie)
La pratique du noise (« la musique noise ») réaffirme la question de la matière en tant que question fondamentale de l’art. Par conséquent le noise apparaît en tant que pratique radicalement matérialiste : en tant que matérialisme qui n’est pas fondé sur une idée substantielle de la matière mais qui procède de l’expérience de la matière en tant que champ tekhno-aisthetique subjectif, un champ d’opération de forces dynamiques et polémiques. Ainsi le noise désigne un nombre de pratiques qui tendent à transformer ou à exprimer la puissance des tekhnai.
La « musique » noise se dresse contre la commodification techno-médiatique du son. Le son du monde étant saturé, la tekhné-noise ouvre des fissures énergétiques dans ses massifs. On va donc considérer le noise non seulement comme un procédé artistique atypique mais aussi comme une tekhné de transformation active : comme une eco-techné du son. En tant que mobilisation de la puissance, le noise s’attache non pas tellement à refaire la grammaire technique que la grammaire affective, c’est-à-dire la grammaire des forces qui organisent les entités techno-esthétiques. Dès lors le bruit apparaît en tant que chant des forces musicales.
Notre question sera donc celle de la grammaire affective. Une grammaire affective est-elle possible? En d’autres termes : qu’est-ce qu’une grammaire des forces ?
Boyan Manchev

Jeudi 24 octobre à 14H30
BMVR – Alcazar (58, cours Belzunce – 13001 Marseille)
Gaston Lagaffe philosophe
Avec Pierre Ansay (docteur en philosophie, ancien diplomate)
Gaston Lagaffe, philosophe, artiste et résistant. Par un trésor d’exemples concrets tirés de notre quotidien, André Franquin propose des réponses philosophiques autour d’une question simple : comment mener une vie bonne au milieu d’un monde qui l’est moins ?
La mise en perspective de philosophes – notamment Spinoza, Deleuze et Lordon – avec Gaston jette un triple éclairage : sur l’œuvre de Franquin d’abord mais aussi sur les philosophes convoqués pour cette rencontre et, surtout, sur ce qui tisse ou défait la trame de notre vie.
Pierre Ansay

Jeudi 24 octobre à 16H00
BMVR – Alcazar (58, cours Belzunce – 13001 Marseille)
Bambi n’a pas de trou au cul : Une introduction critique au monde merveilleux de Walt Disney
Avec Françoise Gaillard (historienne des idées)
Le monde de Disney c’est l’utopie du bonheur tel que nous le concevons, c’est-à-dire comme une assurance contre l’angoisse. Rien, en effet, de plus conforme aux fantasmes dont s’accompagne, dans nos sociétés l’idéologie démocratique du bonheur. Et pourtant rien de moins populaire, au sens traditionnel du terme, que le royaume magique de Mickey qui expurge la mort de la vie, qui ignore le sexe, qui a la phobie de l’organisme, et qui est en proie à une obsession hygiénique et sécuritaire.
Certes les attractions, qui sont une très vieille invention humaine, provoquent de la liesse, de la joie, du plaisir bon enfant, mais cet univers ritualisé, codifié, dont sont exclus l’inattendu, l’événement au sens philosophique, et pas seulement journalistique du terme, est un univers gentiment totalitaire.
Le prix du bonheur à la Walt Disney n’est-il pas trop élevé?
Françoise Gaillard

Jeudi 24 octobre à 18H00
cipM – Centre International de Poésie de Marseille (2, rue de la Charité – 13002 Marseille)
La playlist des philosophes
Avec Marianne Chaillan (philosophe)
Qui penserait s’initier à la philosophie de Hume en écoutant Céline Dion ou à celle de Heidegger en chantant Alain Souchon ou Saez ? Qui associerait Lara Fabian à Levinas et Stromae au philosophe janséniste Pascal ? De la même manière, qui pourrait soupçonner que Lady Gaga nous invite à questionner les conditions du bonheur ou que Johnny Hallyday nous conduit sur les pas de Rousseau relativement à la question du désir ? Pourtant de Chérie Fm à Skyrock en passant par Nostalgie ou Virgin Radio, la musique que nous écoutons nous fait parfois entrer, sans que nous ne nous en rendions compte, en terre philosophique ! Et nos jeunes lycéens révisant le bac n’ont peut-être pas toujours tort de le faire en musique !
Jean-Jacques Goldman ou Léo Ferré en maître de philosophie, est-ce bien si surprenant ? Les paroles de leurs chansons, que nous connaissons tous par cœur, ne peuvent-elles pas constituer une voie d’accès à la compréhension des problèmes qui animent les grands textes de philosophie ?
Cette petite conférence se proposera de débusquer la philosophie à l’œuvre dans quelques grands tubes de la chanson de variété pour nous montrer qu’allumer sa radio peut se révéler aussi instructif qu’ouvrir un livre de philosophie.
Marianne Chaillan

Jeudi 24 octobre à 22H00
La Dame Noir Dancing – Trolleybus Night Club (24, quai Rive Neuve – 13007 Marseille)
philo-clubbing : Je pense donc je jouis
Avec Francis Métivier(philosophe)
Le sexe est le plus grand des vides de la philosophie. Il est arrivé, dans certains textes notoires, de nous trouver à deux doigts du délit porno-philosophique. Mais les penseurs ont, à ce moment-là, fermé les volets de leur imaginaire. Pourtant, chaque position sexuelle, chaque pratique, chacun des états dans lequel le sexe nous met, pourrait bien correspondre à une conception philosophique de la chose…
« Je baise donc je suis » : du point de vue du sujet sexuel en acte, la perspective de notre conscience pensante, dans son rapport au corps, nous fait exister. Mais le sexe est avant tout une question de positions et de pratiques, possibles seulement parce que nous en avons une intelligence préalable et une conscience simultanée : « Je pense donc je jouis », donc. Francis Métivier présentera cette idée, dans une déambulation nocturne, illustrée et sonore.
Francis Métivier

Vendredi 25 octobre à 18H00
Galeries Lafayette (48, rue Saint Férréol – 13001 Marseille)
Naissance de la femme
Avec Didier Nourisson (historien)
Et si la femme, bien loin de sortir de la cuisse de Jupiter ou de la côte d’Adam, était née de la consommation ? Drôle d’histoire. On peut la faire remonter au XVIe siècle, l’époque où les femmes paraissent dans l’espace public, à la table du seigneur ou dans les premières auberges ; dans les représentations plastiques des écoles artistiques comme dans la littérature de la Renaissance. Et déjà, les premiers regards sur les femmes qui consomment sont peu sympathiques, au point que tout usage est aussitôt assimilé à un excès. Excès de beauté pour l’une (Diane de Poitiers), abus de pouvoir pour l’autre (Catherine de Médicis). Toujours et déjà femmes fatales. Plus populaires, les femmes qui cèdent à la boisson (« prises » de boisson) finissent en «combustion humaine spontanée».
Le grand siècle de la consommation débute à la fin du XIXe siècle. C’est aussi celui de la femme qui s’émancipe par ses consommations, que l’ « on » (la rumeur, les hommes) va forcément considérer comme excessives. Le temple de la consommation, ici le grand magasin, sert d’écrin à tous les excès. La lecture de Zola fait bien sûr le bonheur des dames. «Lionne» au XIXe, « garçonne » début XXe, voici que la femme devient «féministe», volant en cela un qualificatif médical. «Hystérique», «excentrique», «morphinée», «alcoolique», la femme s’émancipe et le jugement s’alourdit. Mais définir sa culpabilité n’est-ce pas en rester à la négation de son identité ?
Didier Nourisson

Samedi 26 octobre à 11H00
MuCEM – Musée des Civilisations de l’Europe et de la Méditerranée (1, esplanade du J4 – 13002 Marseille)
Dieu et l’image : Du Veau d’or à Pierre et Gilles
Avec Odon Vallet (docteur en droit et sciences des religions)
Faut-il être iconoclaste ou iconolâtre ?
Des injures du capitaine Haddock à l’extase de l’art sacré, presque toutes les religions sont passées d’un extrême à l’autre.
Montrer Dieu est-il obscène ou vénérable ?
Odon Vallet

Samedi 26 octobre à 19H00
TNM La Criée (30, quai Rive Neuve – 13007 Marseille)
Philosophie à l’heure de l’apéro
En partenariat avec Libération
Avec la participation de : Nicolas Demorand (rédacteur en chef, Libération), Marc Semo (rédacteur en chef monde, Libération), Francis Métivier (philosophe), Robert Maggiori (journaliste et philosophe)
La pop-philosophie se diffuse à grande vitesse, en tant que catégorie «anti-académique», et apte à réduire quelque peu la «grandiloquence» de la philosophie «classique». Elle fait sortir la philosophie des amphithéâtres et l’invite à entrer dans l’agora médiatique, ou à s’immerger dans un océan étrange objets techniques et informatiques, de téléphonie, de série tv, de musique rock, de graphic novel, etc.. Mais la notion d’ «actualité», qui mobilise forcément la presse écrite et radio-télévisée, continue à être une notion obscure, comme celle d’ «événement». Philosophes et journalistes peuvent-ils conjoindre leurs savoirs et leurs expériences pour l’éclairer quelque peu?
Robert Maggiori

Samedi 26 octobre à 20H00
TNM La Criée (30, quai Rive Neuve – 13007 Marseille)
Nuit de la pop philosophie
Soirée animée par Leslie Auguste, comédienne
Première partie : Pub et philosophie

Quelques grammes de philo dans un monde de pub, Gilles Gervisch (professeur de philosophie)
Il y a bien longtemps que la publicité ne se contente plus de vendre des savonnettes. Dans la plupart des cas, ce ne sont plus des objets ou des services qu’on nous présente, mais des marques, des valeurs et même, des « concepts ». Du coup, la publicité est saturée de grandes phrases philosophiques qui sont censées nous apprendre à vivre, et n’ont souvent qu’un rapport lointain avec le produit en question.
Gilles Vervisch

L’esclavemaître : Dominique Quessada (écrivain et docteur en philosophie)
À première vue, tout les oppose. Chacune peut considérer l’autre comme son antithèse parfaite : spontanément, la publicité apparaît facilement comme une figure inversée de la philosophie, une sorte d’anti-philosophie.
À vrai dire, leur opposition est bien trop parfaite pour ne pas cacher quelque chose : un lien secret de type familial relie sur un mode trans-historique et paradoxal ces deux pratiques du discours. En fait, la publicité a repris les idéaux de la philosophie platonicienne pour les incarner dans le réel des républiques modernes. La publicité constitue, malgré le scandale que cela représente pour la pensée, le triomphe et l’achèvement de la philosophie.
Le discours publicitaire a commencé son œuvre en position de servilité : esclave des marques et des autres modes de discours. Puis, comme dans la dialectique du maître et de l’esclave dont Hegel a défini les termes, l’esclave s’est rendu maître du maître, et le maître, esclave de l’esclave. Mais ce mouvement a eu lieu en détruisant dans son effectuation le cadre bipolaire qui permettait le jeu et l’existence même de la dialectique : l’esclave s’est rendu maître du maître en rendant indiscernable la différence entre l’un et l’autre À travers la généralisation sociale du mode publicitaire, le devenir du discours a ainsi subverti le cadre général de la dialectique. Issus du cœur problématique de nos démocraties, s’installent alors dans les individus, les sociétés et les discours, une tentative de dépassement généralisé de la division, un au-delà de la dialectique, une forme d’existence inédite, régie par l’idée inquiétante, mais étrangement subversive, d’une « monolectique » contemporaine : celle de l’Esclavemaître – à la fois image du statut du discours publicitaire dans son rapport aux autres discours, figure de l’homme en démocratie avancée, et métaphore de l’inscription existentielle dans laquelle nous sommes aujourd’hui plongés.
Dominique Quessada

La publicité peut-elle transformer le réel? Laurent Habib (directeur de Babel Communication et écrivain)
Depuis ses origines, la communication moderne a toujours soutenu l’essor du capitalisme. Hier la réclame s’est mise au service du développement de marchés de masse. Puis la publicité a fait rêver comme une nouvelle culture et les gens se sont passionnés pour les marques, nouvelles idoles d’une économie et d’une société mondialisées.
Mais la communication s’est aussi faite destructrice. Avec des idées vaines censées exciter les pulsions de sur-consommation, elle a maquillé l’impuissance des marketeurs à porter sur le marché de réelles innovations au service des gens, celle des politiques à agir et changer le réel, celle des entreprises à créer une richesse partagée. Elle a fait office de paravent du mensonge et outil de manipulation, inspirant la révolte ou la distance, le combat ou la renonciation.
Pourtant, il n’y a pas de fatalité à cette évolution. L’économie moderne propose de nouveaux schémas de création de valeur dont le moteur sont les actifs immatériels de l’entreprise – les idées, les marques, les savoirs, les brevets, les systèmes d’organisation, les cultures, les talents. Dans cette nouvelle économie la production et la distribution de biens matériels ne sont plus les seuls soutiens de la croissance. La relation se substitue à l’acquisition. La marque devient idée et s’impose comme une vision constituée du monde, un choix délibéré qui justifie la valeur de l’achat en lui adjoignant une dimension d’engagement idéologique. Dans cette nouvelle économie, la communication peut à nouveau jouer un rôle moteur en devenant transformative. Elle pourrait ainsi créer de nouvelles richesses, de nouveaux usages, une nouvelle acception de la modernité, bref servir le réel.
Laurent Habib

Deuxième partie : Cinéma et philosophie

La fin du monde, la fin du film. Peter Szendy (philosophe et musicologue)
La fin du film, c’est la fin du monde.
La fin du monde, c’est la fin du film.
On tentera de sonder cette double équivalence, qui fait la loi du genre apocalyptique, dans toutes ses résonances et toutes ses conséquences.
Un film est un monde, qui commence et qui finit, qui s’ouvre et qui se clôt : voilà ce que l’on se dit souvent et spontanément, sans trop y réfléchir, en allant au cinéma ou en sortant d’une séance. Ce qu’on a peut-être plus de mal à penser, c’est que le monde est un film ou, comme disait Deleuze, que l’univers est « un métacinéma ».
De cette double fin — du monde et du film, du monde comme du film —, on commencera par décrire les figures : le compte à rebours, l’aveuglement, la radiation et l’irradiation, le gel, la fêlure ou la déchirure…
Peter Szendy

Road Movie – Marc Rosmini (philosophe)
A partir d’un montage de séquences empruntées à divers films de route, Marc Rosmini nous propose une expérience hybride. Dépassant le statut de conférencier pour adopter la posture du « bonimenteur des vues animées », qui commentait en direct les images muettes du cinéma des premiers temps, il tresse son propos au flux des travellings et des panoramiques.
Marc Rosmini.

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