Mars bleu: Entretien avec le Professeur Jean-François Seitz, Président de la FFCD

Publié le 29 février 2016 à  21h44 - Dernière mise à  jour le 29 octobre 2022 à  13h44

Dans le cadre du mois dédié au dépistage précoce du cancer colorectal, Mars Bleu, des actions de sensibilisation ont été dévoilées ce lundi à Marseille lors d’une Conférence de Presse en présence du Pr Lucien Piana, président de l’Arcades, de son vice-président le Pr Jean-François Seitz, Président de la Fédération Francophone de Cancérologie Digestive et du Dr Yves Rinaldi, coordinateur au sein de l’association Arcades. Quant au rôle que joue Marseille dans la recherche et la mise en place des nouveaux traitements pour les cancers du côlon, «il est très important» comme en témoigne l’entretien accordé à Destimed, par le Professeur Jean-François Seitz, directeur du Service d’oncologie digestive de la Timone et Président de la Fédération Francophone de Cancérologie Digestive (FFCD).

Professeur Jean-François Seitz, directeur du Service d'oncologie digestive de la Timone et président de la FFCD (Photo D.R.)
Professeur Jean-François Seitz, directeur du Service d’oncologie digestive de la Timone et président de la FFCD (Photo D.R.)

Destimed: Quels sont selon vous Pr Seitz les progrès thérapeutiques les plus marquants, les plus encourageants dans le traitement du cancer du côlon ?
Pr Seitz: D’énormes progrès ont été faits ces dernières années. Rappelons-nous qu’il y a encore 25 ans, le traitement se résumait à l’ablation chirurgicale (quand elle était possible) et que les rechutes étaient fréquentes. C’est le mérite d’une étude française, que j’ai coordonnée avec le soutien de la FFCD, la Fédération Francophone de Cancérologie Digestive, d’avoir montré en 1994 qu’une chimiothérapie par le 5FU, modulé par une vitamine l’acide folinique, administré pendant 6 mois, réduisait de moitié le risque de rechute après ablation d’un cancer du colon avec atteinte ganglionnaire. Alors que l’équipe de la Mayo Clinic (Rochester-USA) venait de montrer un effet similaire avec 1 an de chimiothérapie par le 5FU seul: pour les patients cela a été un énorme avantage de réduire de moitié comme nous le préconisions la durée du traitement adjuvant post-opératoire. C’est une autre étude française qui devait montrer 10 ans plus tard que l’adjonction d’une 2e molécule de chimiothérapie, l’oxaliplatine réduisait encore le risque de rechute (schéma FOLFOX). Ce fut ensuite l’avènement des biothérapie ciblées, les antiangiogéniques et les anti-EGFR qui, associées à la chimiothérapie ont révolutionné le traitement des cancers du colon avec métastases à distance. Ceci soit en rendant résécables (autrement dit enlevables) des métastases (hépatiques notamment) initialement non opérables soit, lorsque confronté à des métastases qui ne seront jamais opérables, de rendre la maladie chronique et permettre ainsi aux patients de vivre, parfois plusieurs années sans symptômes (alors que l’espérance de vie à ce stade est inférieur à 6 mois sans traitement ).

Des exemples prouvent que la Recherche française est bien au premier plan. Faut-il en déduire qu’il y a beaucoup de collaborations internationales ?
Oui, la Recherche française reste très compétitive. Ce sont les Français, qui encore récemment, ont lancé 2 études internationales explorant l’intérêt des biothérapies associées à la chimiothérapie adjuvante. Ces études ont malheureusement été négatives mais ont permis d’établir de très grandes bases de données biologiques (mégabases). Lesquelles permettent d’effectuer de nombreux travaux sur les mécanismes de rechute ou de résistance à certains traitements. Ce sont les Français qui encore aujourd’hui ont lancé une vaste étude cherchant à réduire la durée de la chimiothérapie adjuvante par le FOLFOX de 6 mois à 3 mois. Les résultats seront disponibles en 2017. Précisons que dès les premières études de chimiothérapie adjuvante, nous avions mis en commun nos résultats avec les équipes italiennes, canadiennes et nord-américaines pour mieux sélectionner les patients devant recevoir une chimiothérapie post opératoire en fonction de la biologie de la tumeur ou de l’âge.
En tant que président de la FFCD, j’ai œuvré pour que les trois groupes coopérateurs français, la FFCD, Unicancer-GI et le Gercor, conduisent leurs essais en commun au sein d’un inter-groupe, le PRODIGE (Partenariat de Recherche en Onclogie DIGEstive), afin de répondre plus vite aux questions posées et d’augmenter notre visibilité internationale. Le PRODIGE conduit actuellement 45 études dans les cancers digestifs, dont une dizaine dans les cancers colorectaux. Mon équipe à Marseille coordonne plusieurs de ces essais et dirige (pour ne pas dire à nouveau conduit) des études biologiques et génétiques: une de ces études qui devrait être présentée à Chicago début juin à l’ASCO (American Society of Clinical Oncology) montre que certains caractères génétiques du patient améliorent l’efficacité des anti-angiogeniques sur sa tumeur du colon.

Quelles pistes pour les progrès à venir ?
Grâce aux progrès réalisés en 25 ans, on guérit aujourd’hui en France 60% des cancers colorectaux au lieu de 40%. Cela est lié aux progrès de l’endoscopie (on peut maintenant enlever au cours d’une coloscopie certains cancers superficiels et les guérir), de la chirurgie (plus précise pour curer les ganglions, enlever les cancers du bas rectum sans léser les nerfs pelviens et en conservant beaucoup plus souvent le sphincter anal, enlever les métastases hépatiques…). Alors que la fréquence de ce cancer a augmenté de 50% en 25 ans (42 000 nouveaux cas annuels en France), la mortalité, elle, est resté stable (17 500 décès par an, ce qui reste malheureusement la 2e cause de mortalité par cancer dans notre pays, et 5 fois plus que la mortalité routière). On compte beaucoup sur le nouveau test (immunologique) de recherche de sang dans les selles qui a remplacé depuis juin 2015 l’ancien test (Hemoccult) : il est 2 fois plus efficace pour trouver les petits cancers et 3 fois plus pour dépister les adénomes avancés, ces polypes qui risquent de dégénérer rapidement, et dont l’ablation sous coloscopie permet d’éviter l’apparition du cancer. Avec ce test, s’il était réalisé par tous les assurés, hommes et femmes de 50 à 75 ans, ont éviterait 10 000 décès chaque année en France; et s’il était réalisé par la moitié d’entre eux ont sauverait 5 000 vies (actuellement la participation est seulement de 30%), et dans 10 ans on verrait la fréquence du cancer diminuer de 20% (9 000 cancers évités) grâce à l’ablation des polypes: alors mobilisons nous pour le dépistage ..!!!
Pour le traitement des formes avancées, on compte beaucoup sur les progrès de la biologie moléculaire qui identifie de nouvelles cibles pour les médicaments de biothérapie. La FFCD avec l’intergroupe PRODIGE, en collaboration avec l’Institut National du Cancer (INCa) et l’INSERM, qui lance dans le cadre du plan Valls sur la génomique une vaste opération dans les cancers du colon, va débuter en fin d’année un essai très innovant utilisant une quinzaine de molécules de biothérapies ciblées sur les anomalies moléculaires de la tumeur.
Propos recueillis par Christine LETELLIER

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