Négociations israélo-palestiniennes : « Le plan B » par le professeur Gilbert Benhayoun, président du Groupe d’Aix*

Publié le 31 janvier 2014 à  13h31 - Dernière mise à  jour le 27 octobre 2022 à  17h14

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Les négociations entre Israéliens et Palestiniens, qui ont débutées fin juillet 2013, et dont il est prévu qu’elles se termineront fin avril, auront au moins permis, le maintien d’un calme relatif, la libération par les Israéliens de prisonniers palestiniens, la poursuite de l’aide américaine au Palestiniens, ce qui n’était pas forcément acquis compte tenu de la position du Congrès américain. Les chances que ces négociations aboutissent, sont loin d’être nulles. Les Américains vont présenter, à très court terme, un accord-cadre qui serait soumis à l’approbation des Israéliens et des Palestiniens. Il est probable que cet accord-cadre sera accepté par les deux parties, avec néanmoins un certain nombre de réserves. Cependant, dans l’hypothèse où, fin avril, au terme des neuf mois prévus, les négociations s’enlisent et n’aboutissent pas, quel serait alors le Plan B que chaque partie pourrait mettre en œuvre ?

Les américains et les européens.

Il est probable que les américains prennent du recul et laisseraient Israéliens et Palestiniens face à face. Thomas Friedman, journaliste au New York Times, avait depuis plusieurs années suggéré au Président américain de se retirer de la participation active aux négociations et d’attendre que les protagonistes, fatigués, se tourneraient à nouveau vers les États-Unis afin que ceux-ci mettent fin à une situation « perdant-perdant ».
Concernant l’attitude que pourrait adopter l’Union européenne en cas d’échec des négociations, l’actuel ministre des finances israélien, (1) Lapid, a déclaré, le mercredi 29 janvier 2014, lors du Forum organisé par l’INSS, (The Institute for National Security Studies), think tank israélien, que l’Europe pourrait remettre en cause l’Accord d’association signé avec Israël en 1995, ce qui aurait des conséquences dramatiques pour Israël aussi bien sur le plan économique (les échanges avec l’Europe représentent 33% du commerce extérieur israélien) que sur le plan politique

Les Palestiniens

En août 2011 un groupe, The Palestine Strategy Group, composé de 30 membres s’était réuni pour réfléchir aux différentes « options pour atteindre les objectifs stratégiques dans un contexte de rupture des négociations bilatérales ». Quatre options étaient considérées comme acceptables (de 1 à 4), quatre autres ne l’étaient pas (de 5 à 8).

Les options acceptables étaient les suivantes :
-(1) Un État Palestinien souverain – frontières de 1967 – Jérusalem / capitale – solution juste du problème des réfugiés (droit au retour/compensations)
-(2) Un État unique bi-national
-(3) Une simple démocratie : « un homme, une voix ». Égalité devant la loi
-(4) Une Confédération entre la Jordanie et le futur État palestinien indépendant.

Les options inacceptables sont :
-(5) Poursuite du statut quo, continuation sans fin des négociations,
-(6) État palestinien avec des frontières provisoires, une souveraineté limitée, sous le contrôle effectif d’Israël.
-(7) Séparation unilatérale par Israël imposant le tracé des frontières + restrictions au déplacement des palestiniens.
-(8) Toute solution qui rattacherait Gaza à l’Égypte et la Cisjordanie à la Jordanie.
Le scénario 1 est considéré par la majorité des membres du groupe comme le plus réaliste, le plus acceptable, et celui qui a l’appui de la communauté internationale. Cependant, dans l’hypothèse où ce scénario échoue il faudra adopter un Plan B. Ce Plan (stratégie par défaut) consisterait à dissoudre l’Autorité palestinienne et laisser Israël assurer directement la responsabilité de l’administration. Le Groupe a néanmoins conscience que ce plan présente de réels dangers pour les Palestiniens. Il compliquera les problèmes politiques internes. Il se traduira par la perte de milliers d’emplois, par le retour à l’occupation des Israéliens. Cette situation pourrait à terme conduire à l’annexion de territoires, à l’émigration de nombreux palestiniens. Et ceux qui resteront seront considérés comme citoyens de seconde zone. Israël pourra décider le tracé des frontières. Le problème des réfugiés sera non résolu.
Néanmoins, la possibilité de dissoudre l’Autorité palestinienne doit être conservée, « autrement Israël nous entrainera d’une impasse à une autre (…), le status quo lui permettant de développer les implantations et de d’accroître leur contrôle économique et politique« .
Une troisième Intifada militaire nous semble très peu probable car ce n’est pas dans l’intérêt des Palestiniens. Aussi, le Plan B palestinien pourrait, toujours dans l’hypothèse d’un échec des négociations actuelles, se développer en deux temps. A court terme, il prendrait la forme d’une Intifada diplomatique qui se substituerait à l’Intifada armée. Les Palestiniens se retourneraient vers les Nations-Unies et tenteraient d’obtenir la condamnation d’Israël devant la Cour pénale internationale, et encourageraient la politique de boycott. En avril dernier Saeb Erakat, l’actuel responsable de l’équipe palestinienne de négociation, a présenté un document aux leaders palestiniens, « Dirasa 13 » ou « Etude 13 ». Il s’agit de ce que les Palestiniens devraient entreprendre si les négociations échouent. Pour lui, la question n’est pas de savoir si les négociations vont échouer mais plutôt de savoir quand elles vont échouer. Il a intitulé son plan : « le moment de vérité – la croisée des chemins – les décisions du sort« . Il faut, dit-il, rédiger une constitution, se réconcilier avec le Hamas, rejoindre les organisations internationales, adopter les conventions internationales comme la Quatrième Convention de Genève, la Convention de Vienne sur les relations diplomatiques, y compris la résolution des conflits.
A long terme, la dissolution de l’Autorité palestinienne n’est pas à exclure, ce ne serait ni dans l’intérêt des Palestiniens, ni celui des Israéliens, qui auraient, d’un jour à l’autre, à assurer la gestion administrative de plusieurs millions de Palestiniens. Au coût financier énorme s’ajoutera le risque accru d’attentats meurtriers contre ceux qui auront à assurer les services publics.

Les Israéliens

Lors de la conférence organisée par l’INSS, Amos Yadlin a proposé un plan B. Dans l’hypothèse où un accord n’est pas possible, les Israéliens définiraient la frontière avec les Palestiniens de manière unilatérale, et se retireraient derrière cette frontière. Cette action unilatérale serait coordonnée avec les américains. A ceux qui considèrent que l’expérience passée de désengagement unilatéral de Gaza en 2005 a été une mauvaise décision, il fait remarquer que personne aujourd’hui en Israël ne souhaite occuper à nouveau la Bande de Gaza. Il ajoute que sa préférence est qu’un accord aboutisse et permette la création d’un État palestinien. Mais si ce n’est pas possible alors Israël devra se retirer sur la ligne de sécurité, laissant ainsi 85% de la Cisjordanie aux Palestiniens y compris la vallée du Jourdain. Pour lui l’erreur commise en 2005 fut d’évacuer la totalité de la Bande de Gaza. Il aurait fallu, selon lui, conserver une partie de la Bande afin d’inciter les Palestiniens à poursuivre les négociations afin d’obtenir la totale évacuation. D’après Yadlin, le Plan B ne devrait être mis en œuvre qu’après le refus des Palestiniens de l’offre qui devra être généreuse de la part des Israéliens. Dans cette hypothèse, Israël devrait s’assurer le soutien des États-Unis, de la France, de l’Allemagne et de la Grande Bretagne. Il est très critique envers le gouvernement israélien qui n’a eu de cesse, dans cette période délicate de négociations, d’annoncer la construction de nouveaux logements dans les colonies, ce qui a eu pour effet de focaliser l’attention, et ainsi de rendre les Israéliens responsables d’un éventuel échec des négociations. Il ajoute, amer, « we are losing the blame game« . Yadlin avait affirmé, lors d’une conférence précédente, un pessimiste est un optimiste qui a de l’expérience. J’ai, ajoute-t-il, « une longue expérience » et, infirmant l’adage, « je reste optimiste« .

*Le Groupe d’Aix, présidé par Gilbert Benhayoun comprend des économistes palestiniens, israéliens et internationaux, des universitaires, des experts et des politiques. Son premier document, en 2004, proposait une feuille de route économique, depuis de nombreux documents ont été réalisés, sur toutes les grandes questions, notamment le statut de Jérusalem ou le dossier des réfugiés, chaque fois des réponses sont apportées.

(1) Pour Lapid, l’annulation du Traité d Association avec l’UE, qui est déjà prête, pourrait réduire les exportations, infléchir la croissance et créer du chômage. “If negotiations with the Palestinians stall or blow up and we enter the reality of a European boycott, even a very partial one, the Israeli economy will retreat, the cost of living will rise, budgets for education, health, welfare and security will be cut [and] many international markets will be closed to us,” he said. “If there will not be a political settlement, the Israeli economy will face a dramatic withdrawal that will substantially hurt the pocket of every Israeli.”

(2) A. Yadlin a été général dans l’armée de l’air israélienne et responsable des services militaires de l’information de 2006 à 2010. Il est l’actuel directeur de l’INSS.

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