Festival d’Aix-en-Provence: On a vu « Alcina » au Grand Théâtre de Provence : sortilèges, sexe et succès

Publié le 3 juillet 2015 à  19h56 - Dernière mise à  jour le 27 octobre 2022 à  19h19

Alcina, Patricia Petibon, essaye de retenir Ruggiero, Philippe Jaroussky, en usant de ses charmes. En vain. (Photo Patrick Berger / artcomart)
Alcina, Patricia Petibon, essaye de retenir Ruggiero, Philippe Jaroussky, en usant de ses charmes. En vain. (Photo Patrick Berger / artcomart)

Non Alcina n’est pas nymphomane; elle est, tout simplement, follement amoureuse de Ruggiero. Elle est un peu sorcière, aussi, et avec l’aide de sa sœur Morgana qui est, elle, nympho ascendant sado-maso, elle n’hésite pas à transformer ses amants éconduits en animaux par le biais de la machine à sortilèges trônant au premier étage du palais. Double monde que celui des sœurs qui, lorsqu’elles quittent les lieux de plaisir et de rencontre avec les humains, vieillissent et perdent leurs charmes en passant la porte. C’est dans cet environnement assez étrange que Katie Mitchell installe son «Alcina». La dame affectionne ces univers mystérieux, parfois rudes et ces doubles niveaux qui facilitent les propos schizophrènes. C’est un dispositif identique qu’elle avait pensé, avec bonheur, pour la création événementielle de «Writen on skin» ici même il y a quelques saisons. Pour «Alcina», qui ouvrait le Festival jeudi en fin de journée, le dispositif a encore fonctionné. On pourra simplement reprocher, du bout des lèvres, un côté sexe provocateur, qui vient ponctuer certaines scènes. Un peu comme si Katie Mitchell se croyait obligée de surligner certains caractères au Stabilo ! Cela dit, le traitement scénique est cohérent, dynamique et réussi. Jusqu’au final où les deux sœurs rabougries prennent place dans les vitrines de leur cabinet de curiosités, là où se trouvaient, quelques instants auparavant, les amants victimes des sortilèges. «Alcina» c’est aussi, et surtout, trois heures de musique et d’airs signés Haendel. Ce qui est terrible c’est que les moindres secondes d’ennui vous font parfois basculer dans cet état semi comateux de lutte contre la fermeture des yeux, suivi de la chute finale du menton sur la poitrine avant un redressement nerveux de la tête qui se met à battre le rythme de gauche à droite pour bien indiquer au voisin que l’on ne s’est pas assoupi ! Et bien, figurez-vous que jeudi soir, les deux premières heures, données d’un seul tenant, sont passées comme une lettre à la poste. Il faut dire que la fosse accueillait un remarquable Freiburger Barockorchester mené à la perfection par le maestro Andrea Marcon. On était à quelques années lumières de ce que les mêmes nous avaient donné à entendre l’an dernier avec «Ariodante» à l’Archevêché; représentation, il est vrai, perturbée par un mouvement social. Jeudi, l’orchestre c’était de l’or en barre dans un écrin de velours: précision, couleurs, joie… Sans parler du continuo qui fut parfait du début jusqu’à la fin. Dirigeant depuis le clavecin, le maestro Marcon fut grand, livrant une interprétation toute de finesse et de subtilité. Quant aux voix, que dire si ce n’est que cette distribution est d’une belle homogénéité. Avec une mention particulière au jeune Elias Mädler, Oberto, comédien hors pair et voix d’une assurance étonnante pour un adolescent. Du côté des «grands» rien à redire sur les prestations de Katarina Bradic (Bradamante), Anthony Gregory (Oronte) et Krzysztof Baczyk, un Melisso très présent à la belle voix de basse. Reste le trio «majeur». La Morgane de Anna Prohaska est agréable, physiquement et vocalement, même si elle ne nous fait pas vraiment frémir. Idem pour le Ruggiero de Philippe Jaroussky. Il a la technique, la puissance, mais devrait donner un peu plus de personnalité à son rôle. Katie Mitchell lui a peut-être demandé de rester en retrait… C’est dommage car c’est un Ruggiero un tantinet falot qui nous est proposé. Surtout qu’à ses côtés, Patricia Petibon irradie dans le rôle-titre. Quel bonheur de retrouver ici la soprano en pleine possession de ses moyens physiques et vocaux. Elle donne une épaisseur et une dimension bienvenues à son personnage d’Alcina. Le jeu est travaillé, précis, empli de caractère et d’émotion. La ligne de chant est superbe, précise, sans faille et sans vibrato intempestif. Du grand art que nous avons apprécié avec un plaisir extrême. Et si cette production a obtenu un beau succès, aux saluts, Patricia Petibon a bien mérité l’ovation qui lui a été réservée. Rien que pour la voir et l’entendre, mais aussi pour la musique de Haendel, cette «Alcina» mérite le déplacement.
Michel EGEA
Pratique. Autres représentations les 4, 10, 12, 16, 18 et 20 juillet au Grand théâtre de Provence à 19 heures. Informations et réservations au 08 20 922 923 et sur www.festival-aix.com – Tarifs de 30 à 250 euros.

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