On a vu à l’Opéra de Marseille : une Traviata de femmes

Publié le 18 juin 2014 à  13h00 - Dernière mise à  jour le 27 octobre 2022 à  17h54

Entourée d'Alfredo (Teodor ILincai) et de Germont (Jean-François Lapointe), Violetta (Zuzana Markova) vit ses derniers instants... (Photo Christian Dresse)
Entourée d’Alfredo (Teodor ILincai) et de Germont (Jean-François Lapointe), Violetta (Zuzana Markova) vit ses derniers instants… (Photo Christian Dresse)

Renée Auphan, Eun Sun Kim et Zuzana Markova : trio de charme et trio gagnant pour la nouvelle production de « La Traviata » qui clôt la saison à l’Opéra de Marseille. Mardi soir, pour la première, on jouait à guichets fermés. Histoire de se rappeler que si cet opéra de Verdi est le plus joué au monde, il est aussi l’un des plus aimés.
Une salle qui n’avait d’yeux et d’oreilles que pour Zuzana Markova qui prenait le rôle titre. Après son inoubliable « Lucia » en février dernier sur cette même scène, déjà une prise de rôle, la toute jeune soprano semble avoir fait de la maison lyrique marseillaise son lieu « porte bonheur ». Et personne ne s’en plaindra, surtout pas ceux qui l’entendront dans cette Traviata qu’elle chante encore deux fois (les 19 et 21 juin), la non moins charmante et talentueuse Mihaela Marcu incarnant Violetta en alternance avec elle. Renée Auphan, qui mettait en scène cette production, une première pour elle aussi, s’était fixée pour objectif de redonner toute son élégance, mais aussi sa subtilité et sa puissance émotionnelle, à un livret trop souvent « charcuté » et interprété au grès des humeurs des scénographes.

En travaillant aux côtés de Zuzana Markova, vierge de toutes références, elle a pu façonner le joyau à sa guise. «Je ne veux pas d’une Violetta qui pleurniche et sur laquelle on s’apitoie facilement», avait-elle dit.
Qu’à cela ne tienne la jeune soprano affirme sa personnalité de courtisane, d’entrée de jeu, puis tombe amoureuse, vit le traumatisme de la séparation, l’humiliation, l’agonie et la mort avec une grâce et une sensibilité surprenantes pour une interprète qui aborde le rôle. Elle est tout en fragilité mais dégage une puissance émotionnelle troublante.
Ce qui est remarquable, c’est que sa voix s’adapte à chaque situation.
Piano, mezzo, la ligne de chant est limpide et lorsqu’il faut donner un peu plus, la soprano sait le faire avec précision et volume. Une prise de rôle des plus réussies. Et une mise en scène « top classe » de Renée Auphan, comme elle nous en a donné l’habitude, sans fioritures, et très juste. Dans l’instant elle passe de moments joyeux, presque triviaux, comme la scène des gitanes et du torero, à la pure, et dure, émotion de l’humiliation de Violetta. L’acte ultime est remarquablement traité et la mort de l’héroïne dans les bras d’Alfredo en vient à nous tirer quelques larmes. Simple, mais rudement efficace. Une mention très bien, enfin, pour les costumes somptueux créés par Katia Duflot et qui sont totalement adaptés à la vision de Renée Auphan pour cette Traviata.

La troisième pièce maitresse de cette production c’est Eun Sun Kim, la directrice musicale. A la tête de l’orchestre de l’Opéra qui, avec Verdi est en partition de connaissance, elle donne un réel volume musical à l’œuvre, se servant avec à-propos des couleurs de l’ensemble. Elle est aussi fine et précise accompagnant idéalement le travail de la metteur en scène dans les parties où la sensibilité et l’émotion prennent le dessus. Le chœur, quant à lui, est très attentif et livre de beaux tutti. Une belle direction de la directrice Coréenne, visiblement très heureuse d’être là.
Sur le plateau, aux côtés de Zuzana Markova, Sophie Pondjiclis impose sa Flora puissante, vocalement, et joueuse, scéniquement. Christine Tocci est une Annina discrète mais bien présente. Chez les hommes, Teodor Ilincai incarne un Alfredo très juvénile. Après des débuts hésitants, il arrive à stabiliser son chant et se sort plutôt bien des airs qui lui sont dévolus en fin d’ouvrage. Avec ce rôle, il semble être en limite de tessiture. Dans le rôle de Giorgio Germont, Jean-François Lapointe est en tous points remarquable. Dans son austère costume de protestant provençal, il incarne à la perfection le père manipulateur arrivant sans aucun problème à faire ressentir aussi son trouble et son affection pour Violetta tout en lui imposant le sacrifice de la rupture. Vocalement le baryton est au sommet de son art, précis, puissant, d’une musicalité sans faille: une très grande prestation saluée, comme il se doit, par un triomphe. Un mot, enfin, pour ceux qui sont un peu plus dans l’ombre : l’imposant, scéniquement et vocalement, baron Douphol incarné par Jean-Marie Delpas, le frêle marquis de Christophe Gay qui joue et chante bien la comédie, le docteur d’Alain Herriau, empli d’humanité, Gaston de Letorières et Giuseppe, incarnés respectivement par Carl Ghazarossian et Camille Tresmontant.
Un beau succès pour cette nouvelle production qui prouve, une fois de plus, que l’opéra peut et sait vivre à Marseille…
Michel EGEA

Pratique
Représentations du 17 au 21 juin à 20 heures, le 22 à 14 h 30.
Réservations au 04 91 55 11 10

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