On a vu au Festival d’Aix-en-Provence : « super Minko » et les siens enchantent « Les Boréades »

L’histoire se répète-t-elle ? Ou Bernard Foccroulle, le directeur du Festival d’Aix-en-Provence s’est-il penché dans les archives ? Toujours est-il qu’en 1982, année de la création mondiale des «Boréades» au théâtre de l’Archevêché, «La Flûte enchantée» et «Le Turc en Italie» étaient aussi au programme. Trente deux ans plus tard, les mêmes œuvres animent les nuits festivalières aixoises. Et, 250 ans après que Rameau ne meure, laissant son opéra «Les Boréades» non joué, ce chef d’œuvre du baroque français a retrouvé vie, en version concert, l’espace d’une soirée au Grand Théâtre de Provence. Et quelle vie ! C’était vendredi soir, au 18e jour de juillet.

Sous la direction de Marc Minkowski, Julie Fuchs fut une remarquable Alphise. Un grand moment. (Photo Jean-Claude Carbonne)
Sous la direction de Marc Minkowski, Julie Fuchs fut une remarquable Alphise. Un grand moment. (Photo Jean-Claude Carbonne)

Au commencement il y a Rameau. Marc Minkowski ne s’y est pas trompé, il a fait acclamer la partition. Quelle musique ! Une composition jouissive pour les sens. C’est précis, d’une finesse de dentellière brugeoise, d’une beauté de tous les instants, c’est expressif, parfois sauvage, rien n’est laissé au hasard et on se délecte de ces plages musicales sans y trouver une faiblesse. Oui, Rameau est grand et son art a la vertu de ne point lasser l’auditeur; ce qui n’est pas le cas chez tous les compositeurs baroques.
Mais il est vrai que pour donner toute sa dimension à cette musique, la qualité de celui qui la dirige et de ceux qui l’interprètent est primordiale. Et c’est là qu’intervient Marc Minkowski, «super Minko» qui, entre le «Turc en Italie» et ces «Boréades», n’a eu de cesse de nous étonner. Un directeur musical totalement épanoui cette année, qui insuffle un dynamisme de tous les instants par une direction parfois extravertie mais qui est tellement juste. Il n’a pas manqué l’occasion de faire de cette interprétation de l’ouvrage de Rameau l’un des grands moments du festival. Sous sa conduite, les musiciens du Louvre Grenoble sont lumineux à tous les pupitres. Volume, couleurs, rondeur, finesse, précision : leur chef fondateur obtient d’eux tout ce qu’il veut.
Qu’elle est grande et belle la musique baroque interprétée à ce niveau !
Derrière l’orchestre, «super Minko» dispose d’une autre phalange de luxe, vocale celle-là, avec l’Ensemble Aedes, chœur préparé par Mathieu Romano qui prouve que le nombre n’influe en rien sur la présence et le volume. A l’extrême précision des voix, se joint les nuances et un phrasé exceptionnels. De la belle ouvrage.
Puis il y a les solistes qui, à une exception près, peuvent se vanter d’avoir appartenu à l’Académie européenne de musique du Festival. A commencer par Julie Fuchs, merveilleuse Alphise. «Pour une fois je suis reine», tweetait la jeune femme à ses amis avant la représentation. Et quelle reine. Nul besoin de gloser sur son charme naturel et sa plastique irréprochable, bellissima ! Mais c’est vocalement que l’ex-pensionnaire du conservatoire d’Avignon fut lumineuse. Elle est là dans un registre qui lui convient parfaitement et dans lequel nous l’avons trouvée très à l’aise. Beaucoup d’assurance dans sa prestation avec un timbre superbe et des séances totalement réussies de haute voltige vocale. Son grand air de l’orage en est l’illustration parfaite.
Présente sur scène quasiment en permanence, sa prestation est restée égale, sans aucune baisse de régime. Du grand chant… On en redemande, vite, vite !
A ses côtés, quelle joie de retrouver Chloé Briot, qui avait quitté son costume de sale enfant et oublié les sortilèges, pour incarner vocalement Sémire, l’amour, Polymnie et la nymphe. Et bien, figurez vous qu’elle y est arrivée ! Un petit bijou vocal qui, lui aussi, est idéalement positionné dans un tel registre. La voix est limpide, précise, avec du volume. Que demander de mieux ?
Puis il y a le côté masculin de la distribution. A commencer par Samuel Boden, Abaris, le seul que ne soit pas passé par l’académie. Un beau ténor à la voix souple et puissance. Calisis, lui, a la voix de Manuel Nunez-Camelino. Une voix un peu acide mais qui ne dénote pas.
Jean-Gabriel Saint-Martin, Borilée, est un beau baryton, puissant et précis. Damien Pass est un baryton basse avec une voix volumineuse et des beaux graves pour incarner Borée et, enfin Mathieu Gardon, est très présent dans son interprétation vocale d’Adams et Apollon; joli timbre et bonne puissance.
Vous vous en doutez, le triomphe était au bout du chemin. Vraiment mérité, cette fois-ci. Dommage que cette production soit un one shot festivalier. On aurait eu plaisir à l’entendre à nouveau. Mais elle est dans nos mémoires et c’est déjà un grand bonheur.
Michel EGEA


21 juillet 1982 : la création mondiale au Festival d’Aix-en-Provence

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Dans les couloirs du Grand Théâtre de Provence, vendredi soir, nous n’étions pas très nombreux à pouvoir dire « j’y étais ! » Alors, pour répondre aux questions posées, nous avons plongé dans nos archives pour retrouver le programme de cette année-là illustré sur sa couverture par une Reine de la nuit imaginée spécialement pour la circonstance par Carzou. Et dans ce programme, la double page d’ouverture de la section consacrée aux «Boréades» que nous reproduisons ci-dessus avec la
distribution et l’équipe qui a œuvré sur cette création mondiale. Louis Erlo, que nous avons eu grand plaisir à revoir ces derniers jours à Aix-en-Provence, était directeur général du Festival. Et une pensée émue pour ceux et celles dont les noms figurent sur cette page, en particulier «Pinpin», Jean-Paul Dupin, qui, derrière ses lunettes, est
encore dans nos cœurs et nos esprits…
M.E.

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