On a vu au Grand Théâtre de Provence – « Roméo et Juliette »: Preljocaj forever !

Publié le 2 décembre 2015 à  20h58 - Dernière mise à  jour le 27 octobre 2022 à  20h55

Émilie Lalande, Juliette et Jean-Charles Jousni, Roméo, magistraux interprètes sur la scène du Grand Théâtre de Provence. (Photo Jean-Claude Carbonne).
Émilie Lalande, Juliette et Jean-Charles Jousni, Roméo, magistraux interprètes sur la scène du Grand Théâtre de Provence. (Photo Jean-Claude Carbonne).
C’est l’univers étrange et futuriste d’Enki Bilal qui sert de cadre à l’action, les costumes étant signés par le même Bilal et Fred Sathal, la styliste marseillaise. (Photo Jean-Claude Carbonne)
C’est l’univers étrange et futuriste d’Enki Bilal qui sert de cadre à l’action, les costumes étant signés par le même Bilal et Fred Sathal, la styliste marseillaise. (Photo Jean-Claude Carbonne)

Vingt ans après avoir découvert «Roméo et Juliette », le ballet d’Angelin Preljocaj, au gymnase du Val de l’Arc dans le cadre de «Danse à Aix», c’est au Grand Théâtre de Provence (GTP) que le chorégraphe remet sur scène une œuvre emblématique de son répertoire avec laquelle, en 1996, il voulait se présenter au public de sa nouvelle ville d’accueil, Aix-en-Provence. Car, il ne faut pas oublier qu’en 1995 l’artiste avait quitté Châteauvallon pour cause d’émergence de l’extrême droite dans cette commune. Vingt ans plus tard l’extrémisme a toujours cours dans la région et ce «Roméo et Juliette» n’en prend que plus de puissance.
Alors que les cheveux blancs sont arrivés, que les traits sont plus marqués sur les visages, le ballet, lui, n’a pas pris une ride. Ni dans le propos éternel, universel, interculturel, inter cultuel, de l’union impossible et fatale entre deux jeunes qui s’aiment, ni en ce qui concerne la chorégraphie née dans l’esprit fertile de Preljocaj qui, si elle paraît terriblement moderne aujourd’hui, était donc monumentalement visionnaire il y a plus de vingt ans. Dans l’environnement onirique, et lui aussi intemporel, créé par Enki Bilal, les castes s’affrontent, pauvres face aux riches, sans autre issue que le néant puisque le noir ultime se fait sur les dépouilles de Roméo et Juliette. Contrairement aux Capulet et Montaigu de Shakespeare, ici les protagonistes ne trouvent pas dans cette double mort une voie menant à la Paix. Sombre monde… Tellement réaliste, aussi.
Vingt ans après, je n’ai pas honte de l’avouer, une larme est arrivée à perler sur ma joue lorsque les enfants, à tour de rôle, cherchent la vie l’un dans l’autre, comme deux petits animaux retrouvant leurs instincts primaires face à la mort. Des chats qui saisissent délicatement la patte de l’autre avec la gueule pour chercher un peu de vie; des gestes désespérés d’enlacements qui ne tiennent plus. Et le désespoir presque palpable qui envahit la salle; et l’émotion qui grandit, et la larme qui monte… Ces scènes sont emblématiques du génie de Preljocaj : tellement charnelles, tellement humaines, tellement animales qu’elles en deviennent éternelles. Jusqu’au bout elles hanteront mon esprit comme elles le font depuis vingt ans. Puis il y a les détails… Le diable se cache dans les détails, dit-on, et Angelin Preljocaj soigne les détails. La marque du chorégraphe, c’est aussi dans un temps de suspension, dans un mouvement de main, dans un regard appuyé qu’elle se trouve. Une multitude de détails qui font passer le ballet du parfait au plus que parfait. C’est vrai que l’écriture chorégraphique de Preljocaj est hyper exigeante, mais l’exigence est, ici, la clef de voûte de la beauté; et toute la puissance qui transparaît dans les ensembles trouve un contrepoint sensuel dans chacun de ces détails. Élémentaire, mon cher Watson !
Puis il y a la chair et l’âme de celles et ceux qui ont la charge, lourde charge, de donner vie sur scène, aux propos du chorégraphe. Une compagnie qui se singularise avant tout par sa jeunesse et la beauté de chacune de ses composantes. Tous ont accepté l’exigence du travail demandé par Angelin Preljocaj et tous apportent leur pierre à l’édifice. Alors, bien entendu, il y a la Juliette d’Émilie Lalande, le Roméo de Jean-Charles Jousni, éblouissants de tendresse entre des pas de deux chargés de vitalité et d’émotion ; il y a le Tybalt de Marius Delcourt, aussi sombre que violent, le Mercutio et le Benvolio de Fran Sanchez et Liam Warren, dynamiques et puissants… Sans oublier les nourrices, Céline Marié et Nagisa Shirai, qui comptent parmi celles pour lesquelles le chorégraphe a soigné les fameux détails… Puis, tous les autres qui ne nous en voudront pas de ne pas tous les citer ici mais qui peuvent légitimement revendiquer une part du succès. Vingt ans après il faut courir voir «Roméo et Juliette» au Grand théâtre de Provence sous peine de passer à côté d’un chef-d’œuvre signé Preljocaj.
Michel EGEA
Pratique – Autres représentations les 3 et 4 décembre à 20 h 30 – le 5 décembre à 15 heures – Réservations : 08 2013 2013 – lestheatres.net

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