On a vu au Gymnase programmé par La Criée, Denis Podalydès faire triompher l’amour selon Marivaux

Publié le 28 décembre 2018 à  11h01 - Dernière mise à  jour le 29 octobre 2022 à  13h46

« Le triomphe de l’amour » de Marivaux mis en scène par Denis Podalydès un spectacle d’une beauté à couper le souffle. (Photo Pascal Gely)
« Le triomphe de l’amour » de Marivaux mis en scène par Denis Podalydès un spectacle d’une beauté à couper le souffle. (Photo Pascal Gely)
On retiendra d’abord du spectacle «Le triomphe de l’amour», la pièce de Marivaux mise en scène par Denis Podalydès -donnée au Théâtre du Gymnase de Marseille dans le cadre d’une programmation faite par La Criée-, la beauté du décor signé Alessandro Lanzillotti. Représentant le jardin du philosophe Hermocrate tirant sur le vert, il est absolument magnifique de poésie, et souligne l’art pictural de son concepteur. Il faut dire que l’infatigable sociétaire de la Comédie française Denis Podalydès ne sait pas rater une aventure scénique. Nous avons dit ici combien son «Scapin» de Molière proposé récemment à la Criée était un chef d’œuvre d’équilibre d’élégance, d’inventivité. On ajoutera que c’est en ce qui le concerne une constance, pour le plus grand bonheur des spectateurs d’ailleurs. Épaulé par la scénographie tout en nuances de son complice Eric Ruf, et par l’apport du travail musical de Christophe Coin, présent sur scène, Denis Podalydès a quasiment réinventé l’amour selon Marivaux, en montrant combien sa pièce au demeurant assez légère, quant à son intrigue, se révélait une critique acerbe et très moderne des mœurs et de la société. Le propos n’a pas pris une ride, «le texte lorgne du côté de Racine, moins le vers», souligne le metteur en scène et de cette comédie créée le 12 mars 1732. Il reste aujourd’hui des portraits colorés, et une heureuse diversité de tons, d’ambiances, où d’une intrigue sentimentale assez simple Marivaux tire un pamphlet contre les faux-semblants. L’image de soi, et celle qu’on veut imposer aux autres, on les retrouve dans une histoire de portraits peints que l’on se passe de mains en mains à des fins stratégiques. Léonide, princesse de Sparte, détentrice d’un pouvoir usurpé par son oncle Léonidas sur le prince Cléomène veut le restituer à l’héritier légitime de Cléomène, le jeune Agis, élevé en secret par l’austère philosophe Hermocrate, et ce, dans la haine de l’usurpatrice. Au dessein politique s’est joint l’amour car Léonide est tombé amoureuse d’Agis. Déguisée en homme sous le nom de Phocion, et accompagnée de sa suivante Corine, devenue Hermidas, elle s’introduit chez Hermocrate, et obtenant la complicité du jardinier Dimas et du valet Arlequin parviendra à ses fins après bien des circonvolutions où l’on verra Hermocrate succomber aux sirènes de la passion. Drôle la pièce ne l’est pas si on y regarde de près, mais ici tout est luxe, volupté, jeu de miroirs, et si l’amour porte des ailes, pour voltiger comme le précisait Beaumarchais ici il n’est pas heureux en soi comme le signalait Aragon. Fête des sens et de l’esprit, tenu par des acteurs exceptionnels, Philippe Duclos en Hermocrate, Dominique Parent en Dimas et Jean-Noël Brouté, truculent Arlequin se taillant la part du lion, «Le triomphe de l’amour» ainsi proposé réjouit et envoûte. C’est quasi parfait, (on émettra des réserves sur les jeunes actrices) et nourri d’instants musicaux étonnants -comme l’interprétation de la chanson «Plaisir d’amour »-, c’est à l’image des pièces montées par Stéphane Braunschweig qui a un peu la même esthétique d’approche théâtrale que Denis Podalydès d’une beauté formelle et visuelle à couper le souffle. C’est autant le triomphe de Marivaux que de Podalydès en fait !
Jean-Rémi BARLAND

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