Plénière du Conseil départemental 13 : quand l’aide aux communes met le feu aux poudres

Publié le 24 décembre 2018 à  10h03 - Dernière mise à  jour le 28 octobre 2022 à  20h43

Elle constitue une politique emblématique du Conseil départemental des Bouches-du-Rhône, mais sa répartition fait toujours causer. Elle ? L’aide aux communes, bien sûr. La séance du vendredi 14 décembre n’a pas échappé à la règle, offrant notamment sur le sujet une passe d’armes entre Benoit Payan (PS) et Yves Moraine (LR).

(Photo Robert Poulain)
(Photo Robert Poulain)
Le Conseil départemental des Bouches-du-Rhône n’est pas concerné à titre direct par l’affaire du fait de ses compétences, il n’empêche que l’ombre du drame de la rue d’Aubagne aura plané dans l’enceinte du vaisseau bleu tout au long de la plénière du 14 décembre dernier. Du remplacement en urgence du poste de 13e vice-président, occupé jusqu’ici par le démissionnaire Thierry Santelli (pour mémoire propriétaire d’un appartement frappé par un arrêté de péril dans le quartier de Saint-Mauront), et endossé à présent par Maurice Rey, aux allusions à peine voilées faites au fil des délibérations relatives au budget primitif 2019 par une opposition qui se devait de saisir cette perche-là…

C’est tout d’abord Benoît Payan (PS) qui s’y colle, avec la volonté de marquer un grand coup, au moment du rapport relatif à l’aide aux communes. Alors que Martine Vassal affiche sa volonté de continuer à s’en servir pour être «le premier soutien aux communes et le premier investisseur public aux côtés des entreprises locales. L’an prochain, près de 50 M€ seront mobilisés pour des projets attendus par les Marseillais, pour renforcer la métropole. Toutefois, toutes les communes, quelle que soit leur étiquette, seront aidées. Personne ne sera oublié». Plus concrètement, le dispositif sera utilisé sur des thématiques précises : la transition énergétique, l’accompagnement pour la mobilité réduite, les subventions pour équiper et rénover les équipements de restauration collective et enfin, le ravalement de façades. C’est alors que Benoît Payan fait la lecture de l’amendement proposé par son groupe. «L’aide aux communes n’est pas une politique anecdotique, elle se chiffre à plus de 140 M€ cette année. Or cette politique, nous la trouvons injuste. Lorsque l’on mobilise près d’un million d’euros pour un petit village des Alpilles, on se dit que Noailles est loin. Nous trouvons injuste de financer des équipements somptueux quand d’autres n’ont rien… Surtout lorsque cela finance d’une main ce que l’État reprend de l’autre, faute pour les communes de respecter la loi.»

Prime à la vertu ?

C’est ainsi que le chef de file du groupe socialiste et écologiste tente de raccrocher les wagons avec la problématique du moment… «Marseille traverse une crise historique. L’habitat insalubre, c’est la conséquence d’une crise du mal-logement. Il faut engager un cercle vertueux. Dans notre département, plus de 100 000 personnes vivent dans des conditions insalubres. Il faut réserver la manne de l’aide aux communes pour les seules vertueuses, celles qui respectent les textes. » Ceux de la loi Duflot bien sûr, relatifs à l’obligation de respecter le palier exigé de 25 % de logements sociaux. Ainsi ce que prône Benoît Payan, c’est un positionnement plutôt cher aux partis de gauche, l’équité plutôt que l’égalité. Ne pas donner indistinctement à toutes les communes, quelles que soient la santé ou les performances financières de ces dernières. Mais corréler cela en fonction des besoins… ainsi que de la façon dont elles s’acquittent de leurs obligations sociales. Ce pour «construire un territoire plus juste et plus solidaire». Toutefois, le discours ne se départit pas de certaines contradictions. Tout d’abord, si Marseille «souffre», si «Noailles est loin», la cité phocéenne n’en est pas moins devenue hors-la-loi puisqu’elle ne remplit pas ses obligations en termes de logement sociaux, « ce qui était le cas avec les 20 % de la loi SRU », rappelle Richard Mallié (LR). Alors, selon le raisonnement de Benoît Payan, il faudrait donc la pénaliser en la privant de l’aide aux communes… ou bien bénéficierait-elle d’une exception ?

Pas touche aux villages…

Et de fait, nombre d’élus vont monter au créneau. A commencer par Jacky Gérard, du groupe socialiste républicain, qui voit dans l’amendement proposé «une méconnaissance de la gestion des communes». Le maire de Pélissanne fait notamment remarquer à Benoît Payan que son couplet sur le petit village des Alpilles ne tient pas, puisque «les communes de moins de 3 500 habitants ne sont pas concernées par l’aide aux communes». Puis il revient sur le sujet du logement social, qualifiant la loi Duflot d’aberration. «Elle est rétroactive, sa base de calcul c’est l’ensemble de tous les logements d’une commune. Par ailleurs, il s’agit d’une obligation quantitative et non pas qualitative. Ainsi, on peut construire des immeubles de T1 et de T2 pour être dans les clous de la loi, mais on n’y logera pas les familles… » Et d’enfoncer le clou en revenant sur la présomption de non-vertueux des communes en la matière. «Dire que les maires n’ont pas la volonté de faire du logement social est faux. On fait ce que l’on peut ! Il y a divers problèmes, tels que la disponibilité et le prix du foncier, les contraintes, tels les plans de prévention des risques… » Une intervention qui fait écho à celle de Jean-Pierre Maggi, la veille lors du conseil métropolitain. «Je veux faire du logement social ! Mais quand on superpose tous les risques, qu’ils soient sismiques ou relatifs aux inondations, sans oublier la préservation des terres agricoles, sur 32 hectares je ne peux produire que 600 logements», argumentait ainsi le maire de Velaux. Et puis, ce n’est pas tout, illustre encore Jacky Gérard : «Une fois que l’on a réalisé ces immeubles, il faut aussi penser aux équipements, crèches, écoles, stations d’épuration, axes routiers… Supprimer l’aide aux communes serait donc contre-productif. Il faut toutes les aider, puisque 99 % des maires ont la volonté de faire des logements sociaux. »

Benoît, ce héros

C’est au tour de Yves Moraine de prendre la parole, et de se focaliser dans un premier temps sur la manœuvre, plus que sur le fond. «Benoît Payan est un chef de tambouille politicienne, il fait feu de tout bois. Il vous dit une chose en tête-à-tête et une autre en public. En privé, il flagorne. En séance, il fracasse. Benoît Payan est socialiste, une position qui n’a rien de honteuse. Voire même héroïque par les temps qui courent ! Mais il a été guériniste, menucciste, carlottiste, pour devenir aujourd’hui exclusivement… payaniste ! Vous êtes jeune Monsieur Payan, mais vous faites de la vieille politique… avec l’objectif de rattraper Samia Ghali dans la course aux prochaines élections municipales.» L’ancien avocat poursuit ensuite ce qui ressemble à s’y méprendre à un réquisitoire, en s’attaquant au fond, précisant avec hauteur que «le domaine est technique, difficile, il ne mérite pas la simplification. Sur le drame de la rue d’Aubagne, une enquête est en cours, elle dira les responsabilités. Mais on ne peut pas accuser la majorité actuelle de ne rien avoir fait depuis 95. Elle a éradiqué les bidonvilles, réhabilité la rue de la République, réalisé la ZAC du Rouet… Et parfois, on nous disait : « vous allez trop vite, trop fort, vous voulez évacuer les gens »… Ainsi, cet amendement n’est pas sérieux », conclut-il.

Municipales 2020, 1er round…

D’autres fondent comme un seul homme sur cette figure clé du groupe socialiste écologiste, comme Richard Mallié par exemple, le qualifiant de «roi de l’embrouille, puisqu’à Marseille, il y a peu de citoyens qui paient l’impôt »… Ou Lionel Royer-Perreaut, ironisant : «Aujourd’hui, Monsieur Payan a découvert la complexité du logement social ». Et de revenir sur l’implication future de 13 Habitat dont il a la présidence, quant au rachat d’immeubles à rénover et à relouer en centre-ville aux côtés d’autres bailleurs sociaux. «On ne vous a pas attendus», assènera-t-il encore. D’aucuns n’hésitent pas à parler non plus d’«amendement scélérat», déplorant par ailleurs que l’on politise le débat en exploitant le récent drame phocéen. Certes, le texte de l’amendement n’était pas dénué de maladresses, certes il en a choqué beaucoup, ce dans un contexte particulièrement tendu… Toutefois, on peut s’interroger sur la violence des salves dont a fait l’objet un Benoît Payan qui s’affirme comme une valeur montante au sein des rangs socialistes. Et cela n’échappe à personne à droite, ni à Jean-Claude Gaudin, qui lors des vœux 2018, avait déjà fait allusion à ce dernier comme «au pitchounet qui pensait à son fauteuil de maire en se rasant », ni à Yves Moraine, qui l’a dit sans ambages lors de la plénière… Alors il faudra voir ce que donneront les conclusions de l’enquête judiciaire en cours sur le drame de la rue d’Aubagne, il faudra voir aussi dans quelle mesure les Marseillais seront oublieux ou pas, de ce dernier – et ce, quand bien même la majorité en place depuis quatre mandats aura-t-elle œuvré sur les questions de logement – quand le temps de la campagne municipale aura sonné. Mais peut-être bien qu’en 2020, ce qui apparaîtra comme «héroïque », c’est entrer en lice du côté des Républicains… Alors, pour tout challenger qui se respecte, il est permis d’espérer.

Les enfants le bec… hors de l’eau

Mais il n’empêche que cet amendement n’aura pas fait mouche. Au point même qu’il suscite la gêne chez certains groupes de l’opposition tel celui du communiste Claude Jorda. Lequel essaiera de tempérer la chose en évoquant son attachement à l’aide aux communes. Puis en proposant de mettre en place une commission pour la transparence de ce dispositif, comme cela avait été fait du temps de Jean-Noël Guérini… Josette Sportiello, la présidente du groupe socialiste écologiste, abondera en fin de séance dans le même sens que Benoît Payan dans son discours final, ce malgré le rejet de l’amendement en question : «Face aux défis que nous devons relever pour répondre aux fractures sociales et territoriales, ne faut-il pas repenser collectivement nos politiques ? Les asseoir sur de réels critères ? Décider par exemple de faire de l’aide aux communes un véritable outil de planification, d’aménagement, de solidarité territoriale ? De même, nos aides généreuses à la Ville de Marseille ont-elles jamais servi à combattre le logement indigne ? Certes non ! » Et de pointer du doigt le fait que dans l’actuel budget primitif, «l’habitat indigne n’apparaît pas, l’urgence est absente, et la solidarité immédiate n’est pas visible. » Elle espère toutefois que le DM1 corrigera cela…
Martine Vassal, quant à elle, portera une dernière estocade à Benoît Payan, au moment du rejet de l’amendement : «A force de se ronger les chevilles, on finit par mordre la poussière. J’ai annoncé des mesures pour Marseille, il est vrai que vous n’êtes pas élu au conseil métropolitain, il vous fallait bien exister quelque part», conclura-t-elle, taxant l’élu d’opposition de récupération politique. Outre l’aide aux communes, c’est avec la vocation sociale du Conseil départemental que Michèle Rubirola (toujours du groupe socialiste écologiste, qui aura décidément été très en forme ce jour-là…) prend le relais un peu plus tard. Avec une proposition : affecter la totalité de la subvention de 1,8 M€ destinée initialement au Cercle des nageurs, et finalement annulée, aux sinistrés de la rue d’Aubagne. Mais Didier Réault apporte sur la question un autre éclairage… « Il faut faire la différence entre le budget de fonctionnement et le budget d’investissement», fait-il la leçon, sous-entendant qu’il ne peut y avoir de vases communiquant de l’un à l’autre. « En faisant votre coup médiatique avec l’annulation de cette subvention, vous l’avez rendue caduque. On ne peut pas la mettre dans le budget de fonctionnement. Ces 1,8 M€ ne bénéficieront ainsi qu’au compte administratif. Ces vestiaires ne constituaient pas seulement un luxe pour les grands sportifs du Cercle des nageurs. Les équipements profitent aux enfants des écoles, qui viennent y apprendre à nager. Ce sont donc aussi les enfants qui seront pénalisés. Les vestiaires n’étaient plus aux normes, ils ne pourront plus aller dans cet établissement.» Ainsi les discussions budgétaires se prêtent-elles bien souvent à controverse. Elles cristallisent notamment deux façons bien distinctes de concevoir la gestion d’une collectivité, selon le bord politique. C’est d’autant plus vrai au sein du Conseil départemental, où deux visions de l’action sociale s’affrontent. Et les effondrements de la rue d’Aubagne n’ont rendu que plus manifestes ces disparités.
Carole PAYRAU

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