Portrait. Pierre Hancisse : un grand marathonien du verbe, un homme de conviction et un ardent défenseur de l’Art

Publié le 18 janvier 2019 à  11h18 - Dernière mise à  jour le 29 octobre 2022 à  13h46

Pierre Hancisse seul (Photo Harcourt) et avec Vincent Winterhalter dans
Pierre Hancisse seul (Photo Harcourt) et avec Vincent Winterhalter dans
«On vante souvent les qualités d’esthète de Macha Makeïeff dont chacun des spectacles est une œuvre d’art et on a raison. Mais on n’insiste pas assez sur le fait qu’elle possède aussi un sens du rythme tout à fait hors du commun». Pierre Hancisse, dithyrambique quand il évoque la metteuse en scène d’exception qu’est la patronne de la Criée pour qui il éprouve affection et grand respect admiratif d’ajouter : «Elle est à fois chorégraphe, femme de musique, peintre des sentiments des personnages autant que des décors. Elle semble vivre sur la face cachée de la lune, et puis elle est drôle, et donne aux comédiens une énergie constante». Tout cela, l’ancien pensionnaire de la Comédie-Française qui, rentré en 2012 dans la Maison de Molière la quittera voilà deux ans pour vivre de nouvelles aventures, l’a parfaitement illustré tout au long des représentations de «La fuite» de Boulgakov, créée en octobre 2017, repris cet hiver. Incarnant «Le roi des cafards», un personnage fantasque, pratiquement ubuesque, Pierre Hancisse a montré surtout à l’occasion combien pour lui chez un acteur de théâtre le travail de l’esprit rejoignait celui du corps. Se déployant avec une force incroyable, et un sens de l’onirisme qui lui permettent de faire respirer le texte jusque dans ses silences, il répète volontiers que de l’harmonie de la parole et des gestes naît la crédibilité d’un travail scénique. Et humblement d’ajouter: «Quand on joue on ne se sert pas soi-même. L’acteur est là pour raconter l’histoire dont il est partie prenante, et il doit prendre en charge la tension du récit». Là encore on suivra Pierre Hancisse dans son raisonnement, lui qui considérant le «Roi des Cafards» de Boulgakov comme singulier a fait de son personnage un héros lunaire, mi-ange, mi-démon, et surtout très ressemblent à ceux que l’on trouve dans la commedia dell’arte, avec ce poids intrinsèque du mime, et de la danse. « Dans la pièce de Boulgakov « le Roi des cafards » ne fait partie du déroulé de l’histoire que dans le tableau 5 », explique Pierre Hancisse. «Macha l’a rajouté dans les tableaux 6, 7 et 8, et s’inscrivant de façon graphique, non conventionnel, il devient un motif esthétique, pour dans un mouvement géométrique s’imposer comme un être mystérieux relevant d’un autre monde». Ayant pris un bonheur fou à jouer dans «La fuite», faisant plus qu’apprécier la direction de Macha Makeïeff, l’acteur vient d’accepter de retrouver la Criée pour se joindre à la troupe de «Trissotin» cette fois, la pièce conçue par Macha autour des «Femmes savantes » de Molière. «J’y joue Lépine en remplacement d’un acteur empêché. J’ai seulement 7 alexandrins à déclamer mais l’esprit de troupe c’est servir un collectif, et se rendre disponible pour des petits rôles. Et puis je retrouve mon camarade de « La fuite » Vincent Winterhalter et ça c’est génial», lance-t-il avec enthousiasme.

Un parcours étonnant

Parcours étonnant en tout cas que celui de ce comédien magique, qui fils de Thierry Hancisse rentré au Français en 1986, poursuit une carrière loin des modes, des chapelles, des réseaux d’influence. Né un 3 février formé dès l’âge de seize ans au cours Florent, Pierre Hancisse y reçoit l’enseignement de David Garel, Fanny Laudicina et Jerzy Klezyk. Il apparaît dans des longs métrages, notamment dans Les Innocents de Bertolucci en 2002 aux côtés de Louis Garrel, avant de s’engager dans un parcours universitaire. Mais une fois diplômé de la Sorbonne et de HEC, il réintègre le cours Florent. En 2010, il interprète Léandre dans Le Distrait de Jean-François Regnard avec la compagnie Le Théâtre en Crise au Théâtre du Temps. En 2011, il joue sous la direction de Jerzy Klezyk dans une adaptation de L’Éveil du printemps de Wedekind.
Pierre Hancisse entre à la Comédie-Française le 15 octobre 2012. Il y joue Molière pour Hervé Pierre (George Dandin) et Véronique Vella (Psyché), Shakespeare pour Muriel Mayette-Holtz (Le Songe d’une nuit d’été) et Edmond Rostand pour Denis Podalydès (Cyrano de Bergerac). Il joue également dans Les Estivants de Maxime Gorki par Gérard Desarthe, et Innocence de Dea Loher par Denis Marleau. Il est Hémon dans Antigone d’Anouilh mise en scène par Marc Paquien, Dorante dans Le Petit-Maître corrigé de Marivaux (il y est exceptionnel) mis en scène par Clément Hervieu- Léger, L’Étranger dans Intérieur de Maurice Maeterlinck mis en scène par Nâzim Boudjenah. Une quintessence de grands textes, et une myriade de bons metteurs en scènes ont jalonné son parcours, si bien que l’on n’est pas étonnés de retrouver Pierre Hancisse se muer en lecteur, lui qui a participé au marathon des mots, pour signer des enregistrements intégraux d’œuvres littéraires contemporaines.

Enregistrements intégraux de romans français

Contacté par Catherine Lagarde il a enregistré trois romans pour Écoutez lire de Gallimard. A savoir : «2084, la fin du monde» de Boualem Sansal enregistré avec son père Thierry. Nous sommes en Abistan. L’Abistan, immense empire, tire son nom du prophète Abi, « délégué » de Yölah sur terre. Son système est fondé sur l’amnésie et la soumission au dieu unique. Toute pensée personnelle est bannie, un système de surveillance omniprésent permet de connaître les idées et les actes déviants. Officiellement, le peuple unanime vit dans le bonheur de la foi sans questions. Le personnage central, Ati, met en doute les certitudes imposées. Il se lance dans une enquête sur l’existence d’un peuple de renégats, qui vit dans des ghettos, sans le recours de la Religion. Un texte d’une grande acuité politique et poétique. Puis signalons « Juste avant l’oubli » d’Alice Zeniter. Nous sommes à Mirhalay où il règne une atmosphère étrange. C’est sur cette île perdue des Hébrides que Galwin Donnell, maître incontesté du polar, a vécu ses dernières années avant de disparaître brutalement – il se serait jeté du haut des falaises. Depuis, l’île n’a d’autre habitant qu’un gardien taciturne ni d’autres visiteurs que la poignée de spécialistes qui viennent tous les trois ans commenter l’œuvre de l’écrivain mythique. Cet été-là, Émilie, qui commence une thèse sur Donnell, est chargée d’organiser les journées d’études consacrées à l’auteur. Elle attend que Franck, son compagnon, la rejoigne. Et Franck, de son côté, espère que ce voyage lui donnera l’occasion de convaincre Émilie de passer le restant de ses jours avec lui. Mais sur l’île coupée du monde rien ne se passe comme prévu. Galwin Donnell, tout mort qu’il est, conserve son pouvoir de séduction. «Je me suis régalé à lire ce roman», confie Pierre Hancisse. «Les conférences des Universitaires sur l’île sont hilarantes, et Alice Zeniter tient les émotions, les personnages, avec une grande sincérité.» Et enfin, troisième réalisation à ce jour d’un enregistrement intégral d’un roman réalisé par Pierre Hancisse : « Le mystère Henri Pick » de David Foenkinos. Dans ce roman qui vient d’être adapté à l’écran (le film signé Remi Bezançon sortira le 6 mars avec Fabrice Luchini, Camille Cottin, Vincent Winterhalter ou encore le jeune Louka Meliava, dans le rôle de Georges Charles d’Anthes,) David Foenkinos, signe le récit d’une enquête littéraire pleine de suspense. Cette comédie pétillante offre aussi la preuve qu’un roman peut bouleverser l’existence de ses auditeurs. En Bretagne, un bibliothécaire décide de recueillir tous les livres refusés par les éditeurs. Ainsi, il reçoit toutes sortes de manuscrits. Parmi ceux-ci, une jeune éditrice découvre ce qu’elle estime être un chef-d’œuvre, écrit par un certain Henri Pick. Elle part à la recherche de l’écrivain et apprend qu’il est mort deux ans auparavant. Selon sa veuve, il n’a jamais lu un livre ni écrit autre chose que des listes de courses… Aurait-il eu une vie secrète? Auréolé de ce mystère, le livre de Pick va devenir un grand succès et aura des conséquences étonnantes sur le monde littéraire. Il va également changer le destin de nombreuses personnes, notamment celui de Jean-Michel Rouche, un journaliste obstiné qui doute de la version officielle. Et si toute cette publication n’était qu’une machination? D’une voix prenante, Pierre Hancisse rend plus émouvant encore, que ne le fait Foenkinos, chaque personnage du roman. «Il y a chez David une grande maîtrise de la narration», précise-t-il non sans avoir rajouté que ces expériences de lecteur sont pour lui de grands moments de liberté. On le voit Pierre Hancisse, est un grand marathonien du verbe, un homme de conviction et un ardent défenseur de l’art en général.
Jean-Rémi BARLAND

L’acteur Pierre Hancisse retrouve La Criée ce vendredi 18 janvier pour jouer Lépine des «Femmes savantes» – Plus d’info et réservation: theatre-lacriee.com/

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