Premier forum économique algéro-français à Paris : Entretien avec Jean-Louis Levet, Haut responsable à la coopération industrielle et technologique franco-algérienne

Publié le 6 juillet 2015 à  19h25 - Dernière mise à  jour le 27 octobre 2022 à  19h19

(Photo D.R.)
(Photo D.R.)

Quelles sont vos premières impressions à l’issue de ce premier Forum économique algéro-français qui s’est tenu à Paris ?
J’en tire trois observations principales: il a réuni un public important et motivé, illustrant ainsi la dynamique qu’il y a entre les deux pays ; il y avait de nombreuses et de nombreux entrepreneurs et, point très important en particulier cette nouvelle génération, entreprenante, compétente, souhaitant aller de l’avant; de nombreux dirigeants d’entreprises algériennes s’étaient déplacés et se sont adressés aux chefs d’entreprises français en leur faisant passer un message que j’interprète de la façon suivante: «Nous voulons travailler, coopérer, entreprendre avec vous, nous avons la volonté de croître, d’améliorer la qualité de nos produits, de nous internationaliser, nous devons y aller ensemble, maintenant !».

Pouvez-vous nous dresser un premier bilan de ce partenariat et que peuvent espérer les entreprises françaises pour les inciter à s’introduire encore plus sur le marché algérien?
La coopération économique entre les deux pays se construit autour de trois axes principaux pour un mode de développement adapté au nouveau siècle : formation; interface recherche/entreprises/territoires; co-investissement. Ou trois chantiers, comme dirait mon homologue Bachir Dehimi. Nous construisons ensemble des projets d’exemplarité devant exercer des effets de transformation : par exemple dans les domaines de la normalisation, de la responsabilité sociétale de l’entreprise, de la métrologie, de la montée en qualité des compétences, de la co-production dans des activités très diverses : manufacturier, agro-alimentaire, numérique, etc. Autant d’exemples qui doivent montrer l’intérêt pour les acteurs français (universités, PME, clusters, etc.) de prendre le temps d’étudier le marché algérien, d’identifier des partenaires professionnels, de rentrer dans des processus de travail avec des opérateurs algériens. Nous sommes là pour les y aider. Construire une relation de confiance nécessite, comme toujours dans la vie, du temps, de la compréhension de ce pays, de l’écoute. Il faut aussi que s’accentuent les efforts des acteurs algériens pour parler de leur pays en France même, communiquer, montrer que leur pays a la ferme volonté de développer une économie entrepreneuriale et attractive pour les investisseurs. Dans cette perspective, ce forum à Paris constitue un bon exemple, qu’il faut multiplier à travers toute la France qui a de très nombreux territoires où se développent des clusters, des pôles de compétitivité, etc. Quelques jours avant, celui organisé par Business France à Paris aussi, a permis de réunir de très nombreux entrepreneurs des deux pays. Ce fut un mois de juin faste !

D’aucuns évoquent encore certaines lourdeurs administratives à surmonter, voire des difficultés liées à la fiscalité ou les relations bancaires par exemple. Quel est votre point de vue en tant que Haut Responsable de ce partenariat?
Les Algériens sont très lucides sur les points qu’ils doivent améliorer, pour créer un climat des affaires plus attractif, plus incitateur à l’investissement et au financement de l’innovation, de l’entrepreneuriat. Des mesures sont prises en ce sens. Au cours du forum dont nous parlions au début de notre entretien, un dirigeant d’entreprise disait: «Nous sommes les poissons, et pour vivre et croître, il nous faut une eau de qualité». C’est tout l’enjeu, créer un écosystème économique propice à la croissance des entreprises et donc à la création d’emplois, dont nos deux pays ont tant besoin.

L’Algérie est en pleine mutation économique et tend à sortir du « tout pétrole » avec cette obligation de repenser son économie y compris dans le nouveau partenariat avec la France, qu’en pensez-vous ?
Oui, il suffit d’ailleurs de lire -je le dis en tant qu’économiste- les publications d’universitaires algériens, des rapports de think tank algériens, de rapports publics, etc. pour comprendre combien ce pays est très conscient de devoir mener une transformation profonde de ses structures administratives et économiques : passer d’un modèle d’économie administrée à un nouveau modèle économique fondé sur le risque entrepreneurial, la diversification de son économie, la densification de son tissu d’entreprises, des interfaces fortes entre le monde universitaire et le monde de l’entreprise, des modes efficaces de financement des entreprises et des processus publics de décision efficaces, cette transition en cours est fondamental pour l’avenir du pays et en particulier pour les jeunes qui ont besoin, comme partout ailleurs, de perspectives. Quant au mode de relation entre la France et l’Algérie il se transforme aussi, notre objectif commun, notre cap commun, notre vision commune : accélérer le passage d’un mode relationnel fondé sur le commercial (export/import) à un mode de coopération où tout le monde y gagne. D’autant que le processus de mondialisation ne cesse de s’accélérer (mutations technologiques, montée de grandes puissances émergentes etc.) et les défis deviennent d’envergure mondiale (changement climatique, gestion de l’eau, démographie, mobilité des personnes, etc.). Aussi le temps de la constitution concrète et de la mise en œuvre des projets ne cesse de s’accélérer. Aller vite, ensemble, sans précipitation, avec de part et d’autre, une sphère publique aux processus fluides, sinon d’autres décideront à notre place de notre devenir.

Ali Haddad 1er responsable du FCE-Forum des chefs d’entreprises -organisation patronale privée- est devenu un interlocuteur incontournable dans le partenariat avec les entreprises françaises. Que pensez-vous de son offensive, jugée par certains comme trop libérale, quand dans le même temps l’État Algérien en grand stratège conduit seul le développement économique du pays?
Je n’ai pas à juger de l’action du président du FCE dans son pays. Je constate simplement, dans le cadre de ma Mission, qu’il est, pour les relations entre nos deux pays, en tant que président du FCE un responsable actif, entouré de dirigeants d’entreprises algériennes -que je connais pour la plupart pour avoir visité leurs sites de production dans les différents territoires du pays- de grande qualité dans des activités industrielles et de service fort variées. Nous travaillons ensemble à développer la coopération autour des axes que j’évoquais plus haut. Nous avons déjà eu depuis février dernier, plusieurs séminaires de travail autour de thématiques communes, qui mobilisent des entreprises membres du FCE, avec bien entendu mes interlocuteurs du ministère de l’industrie avec lesquels je travaille main dans la main.

En Algérie, on évoque souvent la voix que veut faire entendre le collectif «Nabni» avec pour ambition d’intervenir dans les débats économiques, les entreprises, les marchés… Quel regard portez-vous sur cette organisation et que peut-elle apporter au partenariat algéro-français?
Tout pays a besoin de clubs de réflexion, de think tank d’études et de prospectives, de lieux de construction commune de diagnostics et de propositions ; plus ils sont présents dans le débat citoyen, plus ce dernier y gagne en qualité et en sérieux. J’ai lu attentivement les travaux de Nabni qui réunit des personnalités aux parcours très différents ; ils enrichissent ma connaissance de l’Algérie et donc l’action que je mène. Il pourrait aussi être utile pour la France et l’Algérie d’accroître des réflexions sur des sujets communs, et notamment sur les domaines de la coopération, ses modes d’actions possibles, ses évolutions souhaitables, etc.

Quels sont vos prochains rendez-vous dans le cadre du partenariat algéro-français et quels projets immédiats en direction de cette relation?
La préparation du prochain Comité mixte économique franco-algérien en octobre vraisemblablement, comme les deux années passées, respectivement à Paris et à Oran. Montrer que nous avons avancé sur les projets ayant fait l’objet de conventions, et sur de nouveaux projets de coopération. Il n’y a pas de petits ou de grands projets, chaque projet de partenariat constitue un lien de plus entre l’Algérie et la France. Et multiplier, comme je le fais depuis ma prise de fonction en juin 2013, les contacts dans les territoires français et algériens. Je serai d’ailleurs en Algérie à nouveau les 6 et 7 juillet prochains et à plusieurs reprises dès la rentrée en septembre.
Jacky NAIDJA

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