Primaire: A Marseille, Hamon révise les fondamentaux de gauche

Publié le 14 janvier 2017 à  20h42 - Dernière mise à  jour le 29 novembre 2022 à  12h31

Au lendemain du premier débat télé de la primaire socialiste (sic), Benoît Hamon, un des challengers sérieux, est le premier à venir tester son effet, en ce glacial vendredi 13, dans la deuxième ville de France. Téméraire?

Benoît Hamon est le premier candidat de la primaire de la gauche à venir tester son programme à Marseille (Photo Robert Poulain)
Benoît Hamon est le premier candidat de la primaire de la gauche à venir tester son programme à Marseille (Photo Robert Poulain)
Un public venu en nombre majoritairement composé d'étudiants  (Photo Robert Poulain)
Un public venu en nombre majoritairement composé d’étudiants (Photo Robert Poulain)

Dans le 6e, à l’Espace Julien, lieu emblématique d’une Marseille plus bobo-cool et branchée que paupérisée, la salle se remplit très vite de jeunes. Phénomène plutôt rare pour ce genre de réunion, alors est-ce qu’«à Marseille plus qu’ailleurs» les idées de Benoît Hamon font mouche comme le rêvent les animateurs locaux du courant Hamon, Marion Pigamo et Yannick Ohanessian?

Des sympathisants socialistes indécis et beaucoup d’étudiants venus en curieux

Au premier rang, on retrouve de rares élus locaux et pas l’ombre d’un sulfureux parlementaire ou patron dont le PS 13 a le secret. Le plus jeune et pourtant militant aguerri, Benoit Payan, conseiller départemental et président du groupe socialiste de la Ville, a longtemps été le chef du MJS Marseillais ; Michèle Rubirola, conseillère départementale (EELV) pour la note écolo; Denis Rossi, un ex Vice-président du département du temps faste de Jean-Noël Guérini ou encore Edouard Baldo, conseiller municipal d’opposition à Aix-en-Provence. Dans le gros de la salle, le ban et l’arrière ban du MJS, des sympathisants socialistes indécis et beaucoup d’étudiants venus en curieux, intéressés par la «cohérence du discours» jugé finalement «plus sérieux que Mélenchon», son discours sur l’Europe, moins médiatisé, séduit pourtant par exemple Sylvain Rebeizat, étudiant en architecture ou encore Anthéa Miglietta, élève de Sciences-po Aix, qui apprécie sa vision «moderne et à long terme» avec un traitement des «vraies questions» écologique, numérique et institutionnelle. Elle s’est engagée à gauche en 2012, elle dit avoir été déçue par le quinquennat mais pas découragée. Tarik Chakor, un ancien secrétaire général du MJS, approuve lui aussi le dépoussiérage de thèmes trop rebattus dans les campagnes, «ses idées répondent à la période de transition dans laquelle nous sommes, du revenu universel à la reconnaissance du vote blanc », il ouvre d’autres perspectives.
Lilly Wood & the Prick’s à fond, entre deux clips vidéos vulgarisant les grands sujets, un animateur pousse le son pour accueillir les intervenants illustrant les préoccupations du candidat, l’environnement (Manuel Valls a-t-il autorisé la poursuite du rejet des boues rouges dans les Calanques ?) et l’économie sociale et solidaire dont il a été Ministre (la loi Macron a-t-elle été pensée pour les puissants ?). Ça envoie. A l’applaudimètre, c’est Olivier Leberquier, ex-Fralib aujourd’hui DG de la SCOP-Ti (qui produit et commercialise le thé 1336) qui emporte la salle. Pot de terre contre pot de fer, les salariés du Thé Eléphant ont renversé leur dirigeant, un géant mondial de l’agroalimentaire, Unilever et sont devenus leurs propres patrons. Leur combat était donné perdant, ils ont gagné, justice a été rendue, la salle salue le courage et la morale de l’histoire. «Aujourd’hui, les écarts de salaires sont de 1 à 1,25, avec Unilever c’était du 1 à 200», rappelle Leberquier. Loi Hamon contre loi Macron, il fustige cette «loi travail qui nous ramène vers le passé». Les 32 heures, le SMIC à 1800€.. le syndicaliste-patron attend «des mesures fortes de justice sociale». Et il tonne, «la guerre des classes est une réalité objective ! ». La salle ovationne.

«Ceux qui font les Loi Travail sont ceux qui ont un boulot et qui en sont heureux »

Le candidat en vient à dérouler ses «idées d’avenir», tranquillement alors qu’il est déjà plus de 21heures, un peu enrhumé, mais «ce n’est pas une allergie au débat d’hier, ce n’est pas Manuel non plus» que l’on se rassure, il rappelle qu’il est né avec la crise. Il fait un peu de latin et d’étymologie pour sortir de la lutte des classes et élever son raisonnement sur sa vision du travail et sa répartition inégalitaire. Avec deux cibles privilégiées, Macron et Valls, devenus les «dévots» de la croissance et du PIB. «Ceux qui font les Loi Travail sont ceux qui ont un boulot et qui en sont heureux ». Ceux là, dans le décompte Hamon, sont très peu nombreux et visent donc «à côté de la plaque». Alors, le candidat dit que dans cette logique «has been», les bac+5 finiront «uberisés» en chauffeurs de maîtres, qu’ils doivent le refuser, mais que dit-il à «ceux qui tiennent les murs» (les sans diplôme des quartiers) dont il parle brièvement? On n’a pas bien compris. De toute façon, ils ne sont pas dans la salle. En revanche, il est clair sur les valeurs de gauche et il rappelle très vite que ses camarades ont oublié leurs fondamentaux. Un marronnier pour les socialistes à l’épreuve du pouvoir. Il reprend une phrase de Manuel Valls devant le Medef «moi, j’aime les entreprises» mais rétorque-t-il «c’est aussi stupide que de dire j’aime les poissons. Sait-on s’il s’agit de sardines ou de requins?». Le CICE est resté coincé comme l’arête dans la gorge de Benoit Hamon. L’argent public n’est pas allé aux Scop nous dit l’ex Ministre de l’Économie Sociale et Solidaire, «nous avons fait une offrande de 40 milliards et le sacrifice du droit du travail, tout ça sur l’autel d’une croissance qui n’est pas revenue…» La salle acquiesce.
En contrepoint, Benoît Hamon explique qu’il ne se trompe pas, que le point du PIB ne peut pas être un objectif, que l’Allemagne ne peut pas être un modèle avec l’explosion de sa précarité. Il veut se montrer réaliste face à la numérisation des emplois et le défi écologique mais sans renoncer au rêve d’un travail qui émancipe, d’une démocratie quasi-directe, d’une France bio, ce rêve étant alors le seul guide légitime des politiques publiques. Il a pour lui d’avoir mis en débat le revenu universel d’existence pour revoir notre rapport au travail et permettre de mieux réfléchir la transition qu’implique la révolution numérique. Il rappelle volontiers la création de la Sécu en 1945 à laquelle peu croyaient et que l’on n’imagine pas abolir aujourd’hui. Bref, ce revenu «n’a absolument rien d’impossible». Avec le même raisonnement sur le thème institutionnel, il vise large, hyper-démocrate, avec la reconnaissance du vote blanc ou un 49.3 citoyen mais curieusement sans projet de proportionnelle. Il ne parlera pas d’Europe, pourtant le public l’aurait volontiers suivi sur le sujet. Il est près de 23 heures, le candidat signera quelques autographes sur les affiches pour ses plus fervents soutiens, la journée a été longue, on a révisé et actualisé nos fondamentaux de gauche et presque oublié qu’un socialiste est encore Président de la République. En sortant du cocon de l’Espace Julien, la dispersion est rapide, on est saisi par le froid. La réalité vous rattrape vite.
Morgane TURC

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