Marseille. Rencontre d’Averroès. table ronde sur la question « entre dictature et démocratie, est-ce la fin de l’Histoire ou d’une histoire?

Publié le 23 novembre 2012 à  4h00 - Dernière mise à  jour le 26 août 2023 à  16h06

« Qu’opposer à la folie de la peur si ce n’est la folie de l’Homme qui rêve ? », c’est par ces mots que Thierry Fabre, le fondateur et concepteur des Rencontres d’Averroès produites et réalisées par l’Espaceculture -Marseille, lance la 19e édition de la manifestation.

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2_pb234325.jpg3_pb234327.jpg4_pb234329.jpgLes quatre intervenants Les 4 intervenants de la première table ronde des Rencontres d’Averroès ont débattu sur la question « entre dictature et démocratie, est-ce la fin de l’Histoire ou d’une histoire? » (Photos Serge Payrau)

La cité entre politique et gouvernance

Thierry Fabre revient sur le thème de l’édition : « La Cité est-elle en danger ? Mieux vaut se poser la question avant qu’il ne soit trop tard ». Puis de rappeler : « Notre objet est de coaliser de l’intelligence pour tenter d’y voir plus clair ». et c’est devant une salle toujours aussi comble, que s’est tenue la première table-ronde. Il est question de « entre dictature et démocratie. Fin de l’Histoire ou fin d’une histoire ? ». Les intervenants ne seront pas vraiment rassurants sur l’état de nos démocraties même s’ils notent l’émergence de nouvelles pratiques politiques, avec les « Indignés » ou, encore, « Occuper Wall Street ». En même temps, l’agora qu’ils ont proposé, le débat avec le public, a été une ode à la politique tant c’était intelligent, drôle, pertinent.

« La Démocratie est une construction fragile »

Françoise Arvanitis, journaliste, vit depuis des décennies en Grèce, elle ouvre le débat en avançant : « La Démocratie n’est pas une donnée, c’est une construction fragile, particulièrement dans certains pays comme la Grèce qui a connu une guerre civile atroce que tout le monde a oublié. Le pays a vécu sous la tutelle pour ne pas dire la baguette des USA qui se targuaient de protéger la démocratie alors que nous vivions dans un État de non-droit. Une situation que nous avons eu à subir jusqu’en 1974, la chute des colonels, l’abolition de la royauté après un référendum. » Mais, ajoute-t-elle : « La démocratie était là mais nous avions gardé les défauts du régime autoritaire. A droite, je me souviens d’un ministre du parti de la Nouvelle Démocratie, lors des Assises de son mouvement me dire : mais pourquoi avons nous besoin de faire cela alors que nous avons le pouvoir ? »

A gauche, elle insiste sur le rôle du Parti Communiste : « On a occulté le rôle de la résistance sous prétexte qu’elle a été menée sous l’égide du Parti Communiste. Cette résistance a été stigmatisée par les Anglais puis les Américains. Des résistants ont ainsi été arrêtés voire exécutés. Cela a été vécu comme une injustice et a bloqué toute possibilité d’évolution du Parti Communiste Grec. Et, dans ce contexte, une démocratie de la rue s’est développée, un mode de fonctionnement qui n’a pas permis le développement d’une culture de la négociation, des compromis ».

Pendant des années le pays a vécu dans la démocratie « mais cela était fragile et la crise a exacerbé toutes les faiblesses de notre système, un parti d’extrême-droite, l’Aube dorée, prend de l’ampleur, dans un pays où ¼ de la population vit sous le seuil de pauvreté, la xénophobie, le racisme se développe ».

« le mot consensus était révolutionnaire »

Pilar Martinez-Vasseur aborde la situation espagnole : « Nous avons eu pour la première fois la démocratie en 1931, la République est donc arrivée dans le contexte de la crise économique de 1929 et de la montée du fascisme et du communisme alors que le mouvement de masse, en Espagne, c’était les anarchistes avec leur 2,5 millions de membres. La République a entrepris de nombreuses réformes, certaines ont eu un effet immédiat, d’autres, malheureusement non, telle la réforme agraire dans un pays où plus de 60% de la population survivaient de l’agriculture. C’est dans ce contexte que c’est déclaré la guerre civile, suite à un coup d’État raté car les militaires n’imaginaient pas que la République se défendrait ».
Suit une longue dictature, Franco meurt. « L’Espagne, ne fera pas une rupture, encore moins une révolution mais un compromis. Ce fut une transition violente, sous la pression de l’Armée, dans un pays où Napoléon nous a appris qu’avec une baïonnette on peut tout faire sauf s’asseoir dessus. Alors, dans ce cadre, il faut bien voir que le mot consensus était révolutionnaire ».

« Une société qui n’a jamais fait de travail de mémoire »

Ahmet Insel, parlant de la Turquie, lance : « Chez nous il y a deux permanences, nous n’arrivons pas, d’une part, à sortir de la transition et, d’autre part, notre demande d’entrée dans l’Europe ». Il rappelle : « Nous avons un pays qui a vu se mettre en place en 1953 une République, mais dictatoriale. A partir des années 50 nous avons expérimenté le multipartisme mais toujours dans une culture autoritaire. En 2000 les islamo-conservateurs arrivent au pouvoir. L’armée qui se considérait comme fondatrice de la République et propriétaire de l’État est définitivement vaincue. Nous sommes alors dans un système démocratique, où les élections ne sont pas truquées. Mais cela ne suffit pas, car, comme en Grèce, la société ne connaît pas le consensus. De plus, c’est une société qui, jamais, n’a fait son travail de mémoire, qui n’a jamais reconnu le génocide arménien, l’élimination des Chrétiens, la volonté de turquiser les Kurdes. Nous sommes dans une société qui vit avec une peur refoulée : la perte de l’empire ottoman et, la crainte de voir l’État, de nouveau, se réduire. Cette peur fait que la population s’attache à un chef’ ».
Il poursuit : « Mais lorsque l’on regarde la planète n’est-ce pas l’autoritarisme démocratique qui est le plus représenté ? Nous avons des poussées autoritaires en Grèce, en Hongrie… Puis il y a des formes d’autoritarisme plus moderne avec la troïka qui gère des pays à la place des élus, qui coopte des personnes politiquement correctes ». Puis de conclure « La démocratie, c’est son propre, a des déclinaisons vers sa sortie car, sa nature fait qu’elle peut être remise en cause ».

Berlusconi : la post-démocratie

Angelo d’Orsi enseigne l’histoire de la pensée politique « de Platon à Berlusconi ». « Après la chute du mur de Berlin, l’effondrement de l’URSS, on a vu le monde entrer dans une guerre permanente, le capitalisme devenir hyper-capitalisme, la distance entre riches et pauvres s’accroître, plus 20 points en 20 ans aux Etats-Unis, les classes moyennes se sont effondrées. Ironie de l’histoire, c’est la victoire de Marx qui avait écrit qu’une poignée de personnes détiendrait la majorité des richesses mondiales. Berlusconi s’inscrit dans cette logique, il a dit que c’était fini le temps où le parlement gouvernait. Il a dit : Moi, c’est l’État. Berlusconi est l’aboutissement de l’Italien moyen qui ne veut pas payer d’impôt et ne respecte pas les règles».
Mais pourquoi, comment Berlusconi a-t-il pu arriver, rester au pouvoir : « Il est arrivé parce qu’en 1989 le Parti Communiste Italien s’est fait hara-kiri, parce que ces dirigeants se pressaient tous devant les télés pour dire que, certes, ils avaient été responsables du PCI mais qu’ils n’avaient jamais été communistes, qu’ils étaient des libéraux. Et Berlusconi n’avait qu’à dire : vous voyez, ce n’est pas moi qui le dit, ce sont les responsables du PCI. Et puis, si cela ne suffisait pas, il a eu aussi l’aide de Craxi, le socialiste, qui lui a donné le contrôle de trois réseaux de télé, qui lui a permis d’avoir le soutien de banques, et d’ailleurs, dans « Forza Italia », la première organisation politique de Berlusconi, une grande partie des dirigeants venait du PS ».
Un débat s’instaure, Ahmet Insel explique qu’en Turquie, ironie de l’histoire, c’est la police qui protège ceux qui manifestent pour la reconnaissance du génocide arménien. «Nous sommes dans les limites de la démocratie mais, attention en disant cela. Il ne faut pas basculer dans une logique où on considérerait que le peuple n’est pas prêt pour la démocratie, qu’il a besoin du despote éclairé ».

« Comment parler de démocratie en Grèce lorsque la troïka impose au gouvernement de ne plus s’occuper de rien »

Françoise Arvanitis va dans le même sens : « Je ne suis pas sûre que si un référendum était organisé en Grèce sur la question des sans-papiers, le sort de ces derniers en sortirait amélioré. De même, on entend de plus en plus dire, à propos des politiques: tous pourris. Faut-il s’en étonner lorsque l’on voit l’Europe menée une politique qui tend à déposséder les peuples de leur destin et de leur souveraineté. Comment parler de démocratie en Grèce lorsque la troïka impose au gouvernement de ne plus s’occuper de rien ? ».
En face de cela, Pilar Martinez-Vasseur note : « C’est vrai que l’on assiste, en Espagne aussi, à un rejet des politiques, mais, en même temps, on voit de nouvelles formes politiques se créer, nous avons eu les Indignés, le mouvement arrive sans doute à son terme, mais il donnera vie à de nouvelles vagues.»
Un intervenant, dans la salle, note que l’Europe a été critiqué mais demande si Espagne, Grèce, Italie, font leur auto-critique. Oui, répondent les uns et les autres, disent les rêves d’Europe des Lumières. Avant qu’Ahmet Insel ne lâche : « Si un étudiant me donne un modèle tel que l’euro, je lui donne un zéro. Car c’est le fantasme de la banque libre du XIXe siècle. Si la Grèce et l’Espagne n’étaient pas dans la zone euro , ils ne connaîtraient pas une crise aussi grave ». Angelo d’Orsi ajoute : « Aujourd’hui le mot clé c’est gouvernance, on ne parle plus de politique . La gouvernance c’est le pouvoir invisible, c’est elle qui va casser la gueule aux Grecs. Il y a contradiction entre le besoin de transparence et la gouvernance qui met le pouvoir entre les mains de quelques uns ».

Luc CONDAMINE

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