Rencontres d’AverroĂšs: Et le verbe s’est fait clair (1/4)

C’est un Thierry Fabre, initiateur et concepteur des Rencontres d’AverroĂšs, grave, qui a ouvert la 25e Ă©dition, ce 16 novembre, en citant Gilles Deleuze pour qui: «L’Ă©thique c’est ĂȘtre Ă  la hauteur de ce qui nous arrive», signalant que des amis, certains Ă©tant intervenus lors des prĂ©cĂ©dentes Ă©ditions, ont Ă©tĂ© emprisonnĂ©s le matin mĂȘme en Turquie. Et de souhaiter que «les Rencontres nous aident Ă  ĂȘtre Ă  la hauteur de ce qui nous arrive». Puis de prĂ©senter le thĂšme de cette Ă©dition: «Quelles relations entre les sexes, d’hier Ă  demain, en MĂ©diterranĂ©e?». La premiĂšre table ronde s’est interrogĂ©e sur le rĂŽle et la place des monothĂ©ismes dans la relation entre les sexes. Ainsi que sur la relation entre les grands textes, considĂ©rĂ©s comme sacrĂ©s et les textes profanes, juridiques, nationaux comme internationaux, qui fondent les relations entre les sexes et les genres. L’interprĂ©tation est-elle possible? Et qu’en-est-il des valeurs universelles? Sont-elles occidentales ou universelles?

Thierry Fabre, initiateur et concepteur des Rencontres d'AverroĂšs a annoncĂ© que des amis ont Ă©tĂ© emprisonnĂ©s le matin mĂȘme en Turquie (Photo Philippe MaillĂ©)
Thierry Fabre, initiateur et concepteur des Rencontres d’AverroĂšs a annoncĂ© que des amis ont Ă©tĂ© emprisonnĂ©s le matin mĂȘme en Turquie (Photo Philippe MaillĂ©)
Macha MakeĂŻeff, la directrice La CriĂ©e qui accueille les Rencontres, insiste, en avant-propos, sur l’extrĂȘme privilĂšge, «d’entendre une pensĂ©e structurĂ©e». Thierry Fabre revient sur l’ambition de la manifestation en citant RenĂ© Char, «faire longuement rĂȘver ceux qui ordinairement n’ont pas de songes, et plonger dans l’actualitĂ© ceux dans l’esprit desquels prĂ©valent les jeux perdus du sommeil». Thierry Fabre pour qui, ces journĂ©es sont «de l’imaginaire en acte. Chaque annĂ©e nous pensons la MĂ©diterranĂ©e des deux rives indissociablement liĂ©es, reliĂ©es pour le meilleur et pour le pire alors que le meilleur n’est pas si loin». Sophie Bessis, journaliste avant de devenir, entre autres, secrĂ©taire adjointe de la FĂ©dĂ©ration internationale des droits de l’Homme et membre de la haute instance tunisienne pour la sauvegarde de la rĂ©volution, la rĂ©forme politique et la transition dĂ©mocratique, met en exergue le texte le plus important en matiĂšre d’Ă©galitĂ© homme/femme: «le traitĂ© ratifiĂ© par la quasi-totalitĂ© des États Ă  l’AssemblĂ©e GĂ©nĂ©rale des Nations Unies, en 1979 qui approuve la Convention sur l’élimination de toute forme de discrimination a l’égard de la femme». Malheureusement, ajoute-t-elle: «Il existe la possibilitĂ© de dĂ©poser des rĂ©serves au texte». Dans le mĂȘme temps a lieu la rĂ©volution iranienne. «Le monde est entrĂ© dans une phase de retour ou de secours du religieux avec des consĂ©quences extrĂȘmement nĂ©fastes pour la condition des femmes». Face Ă  cela «un courant s’est levĂ© contre la lecture misogyne et propose une lecture fĂ©ministe du Coran», indique-t-elle. Une lecture qui, dans des pays rĂ©gis par le religieux «peut reprĂ©senter une avancĂ©e». Mais, quand le texte sacrĂ© ne s’adresse qu’aux croyants, le texte profane s’adresse Ă  tous. «Et je refuse de dire que l’universel est occidental mĂȘme si cela a pu ĂȘtre le cas», insiste Sophie Bessis.

«On devrait dire « Dieu, s’il existe, a dit»

Les textes sacrĂ©s, oui, mais le rabbin et docteur en philosophie Marc-Alain Ouaknin s’interroge sur la prĂ©sence divine, sur la lecture des textes, leur interprĂ©tation: «Il y a deux types de textes: une Loi Ă©crite, la Torah. Elle est commentĂ©e de gĂ©nĂ©ration en gĂ©nĂ©ration ce qui donne le Talmud ». Et, ĂȘtre dans le judaĂŻsme «c’est se rĂ©fĂ©rer au Talmud dans lequel toute pensĂ©e est prĂ©sentĂ©e comme une opposition entre deux pensĂ©es». «On parle de Dieu comme d’un personnage conceptuel, le Dieu du texte n’est pas celui de la rĂ©alitĂ©. On devrait dire « Dieu, s’il existe, a dit ». Et la Torah a Ă©tĂ© donnĂ©e aux Hommes, elle n’est plus au ciel. Ce sont les Hommes qui doivent gĂ©rer le monde et pas Dieu», explique-t-il avant d’interroger: «Si nous n’avons pas besoin de Dieu et du texte pourquoi les textes sont-ils lĂ  et offerts Ă  l’interprĂ©tation». «Tous les textes sont offerts Ă  l’interprĂ©tation et Ă  la concurrence des interprĂ©tations et la grandeur d’un texte rĂ©side là», prĂ©cise le rabbin Ouaknin. Sophie Bessis ne partage pas ce point de vue : «Les textes religieux ont une exigence d’obscuritĂ©, il n’en va pas de mĂȘme pour les Lois civiles qui ont un impĂ©ratif de clarté». «Mais alors pourquoi des avocats dans les Tribunaux? On y interprĂšte le droit et, en matiĂšre de droit international, il y a aussi interprĂ©tation Ă  partir de la traduction. Nous sommes une civilisation du langage, l’interprĂ©tation est notre grandeur, sans interprĂ©tation nous tomberons dans le piĂšge de l’idĂ©ologie»

«L’Église est en retrait par rapport Ă  JĂ©sus»

Monique Baujard, juriste est devenue, aprĂšs des Ă©tudes de thĂ©ologie, la premiĂšre femme directrice du service « Famille et sociĂ©té ». Elle en vient Ă  la Bible: «C’est un ensemble de textes composĂ©s Ă  des Ă©poques diffĂ©rentes. Les auteurs essaient de dire quelque chose de Dieu dans l’existence des hommes et des femmes. Et ils le disent avec les mots, les idĂ©es de leur Ă©poque. C’est un ouvrage qui est donc de culture patriarcale dans lequel la femme est souvent invisible». Pour elle: «La Bible est une parole imbriquĂ©e de Dieu et des Hommes» comme une invitation Ă  relativiser, interprĂ©ter. Ainsi, comment prendre ce texte, ces textes? Elle se fait l’Ă©cho du Pape François pour qui: «La Bible est une compagne de voyage». «Si on lit ces textes, poursuit-elle, pour chercher une confirmation de ses idĂ©es, ce n’est pas un bon usage». Elle aborde la question de JĂ©sus: «Il y a chez lui une grande libertĂ© en rupture avec son Ă©poque, il discute thĂ©ologie avec les femmes, ne les rĂ©duit ni Ă  la maternitĂ© ni au mĂ©nage». Et de juger: «L’Église est en retrait par rapport Ă  JĂ©sus». Et c’est du monde anglo-saxon qu’arrive une Ă©volution, une lecture plus fĂ©minine qui met notamment en exergue le fait que «ce sont les femmes qui sont lĂ  pour la rĂ©surrection et non les hommes et, ce sont elles, qui annoncent la bonne nouvelle. Elle sont apĂŽtres». Avant de dĂ©noncer la rĂ©forme grĂ©gorienne «qui sĂ©pare le clerc des autres et qui donne la seule parole d’autoritĂ© aux clercs, donc aux hommes puisque mĂȘme si une femme effectue toutes les Ă©tudes de thĂ©ologie sa parole ne sera jamais d’autoritĂ© puisqu’elle ne peut pas ĂȘtre clerc.» «Il y a encore du boulot Ă  faire dans l’Ă©glise», assĂšne-t-elle.

Il n’y a, aucun verset qui prĂ©sente ou symbolise l’homme comme chef de famille

Asma Lamrabet est mĂ©decin biologiste, thĂ©ologienne musulmane, elle vient de dĂ©missionner du Centre d’études fĂ©minines en islam (Cerfi) qu’elle dirigeait Ă  Rabat (Maroc) sous la pression de l’institution religieuse et des milieux conservateurs. Un conflit naĂźt de sa prise de position publique en faveur de l’égalitĂ© homme/femme en matiĂšre d’hĂ©ritage. «La question de la femme est centrale dans l’impasse que connaĂźt le monde arabo-musulman, souligne-t-elle, Il faut distinguer dans le Coran le message spirituel et l’Islam institutionnel car l’amalgame entre les deux rend le message inaudible». «Le spirituel est compatible avec les valeurs universelles, mais cela est amoindri par l’Islam institutionnel qui, quelle que soit sa tendance, se construit sur un socle commun de misogynie qui a Ă©tĂ© pourvoyeur de toutes les discriminations». Mais, observe-t-elle: «Depuis les annĂ©es 90, il y a une dynamique fĂ©minine qui est en marche dans le monde musulman».

Elle insiste sur l’importance de revenir au Coran et non de partir des textes universels dans le monde arabo-musulman «parce que le rĂ©fĂ©rentiel religieux est incontournable qu’on le veuille ou pas. Parce que les rĂ©gimes laĂŻques et autoritaires qui Ă©taient en place ont instrumentalisĂ© le religieux et bloquĂ© l’Ă©volution de sa pensĂ©e». Partir des textes, c’est ce qu’elle a fait en publiant, en 2017 «Les femmes en islam : les questions qui fĂąchent». «Il y a 17 questions qui fĂąchent, seules 6 relĂšvent du Coran, 6 versets qui sont socio-conjoncturels. Ils peuvent ĂȘtre dĂ©construits trĂšs facilement, d’autant plus qu’il existe 21 versets Ă©galitaires. Toutes les autres questions relĂšvent de la juridiction musulmane. Alors aujourd’hui la question qui se pose est politique, l’Islam a besoin de plus d’espaces de liberté».

Au niveau d’avancĂ©e, elle cite le Code de la famille refondĂ©, en 2004, au Maroc: «Cela a permis de mettre en contradiction le Coran et ses exĂ©gĂšses. Il n’y a, par exemple, aucun verset qui prĂ©sente ou symbolise l’homme comme chef de famille mais au contraire de versets de coresponsabilité» Pour Marc-Alain Ouaknin la force ne rĂ©side pas dans les textes mais dans leur Ă©tude. Et cette Ă©tude-juge-t-il, «n’a pas pour but d’arriver Ă  une interprĂ©tation mais de mettre l’esprit en mouvement. Cela permet Ă  l’humain de rester intellectuellement capable de changer d’oreille. L’Ă©tude nous dĂ©livre, comme le disait Alain d’un automatisme de pensĂ©e». Il Ă©voque le masculin et le fĂ©minin: «Il faut revenir Ă  la langue d’origine et chaque mot, en hĂ©breu, Ă  deux significations. Le mot pour masculin signifie Ă©galement mĂ©moire, celui pour fĂ©minin: oubli». Des rĂ©action se font entendre dans la salle: «Il y a un prĂ©jugĂ© nĂ©gatif sur l’oubli mais si on relit Nietzsche on voit que celui-ci explique que, pour pouvoir ĂȘtre Homme il faut de la mĂ©moire mais pas seulement, il faut aussi l’oubli car comment un progressiste peut-il se faire entendre si nous n’oublions pas l’ancienne interprĂ©tation.»
Michel CAIRE

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