Retour sur le centenaire de la librairie Maupetit à Marseille : zoom sur les coulisses du métier de critique littéraire avec Olivia de Lamberterie et Nelly Kaprièlian

Publié le 16 septembre 2019 à  10h22 - Dernière mise à  jour le 29 octobre 2022 à  12h30

100 ans, un siècle, qu’elle a pignon sur rue ! C’est pour célébrer ce bel anniversaire que la librairie Maupetit a organisé au début de l’été, dans ce cadre et entre ses murs, des moments d’échanges et de débats. Au programme du deuxième temps, une percée dans le monde des critiques littéraires, en compagnie d’Olivia de Lamberterie et de Nelly Kaprièlian. Un éclairage intéressant en cette rentrée littéraire 2019.

Une percée dans le monde des critiques littéraires, en compagnie d’Olivia de Lamberterie et de Nelly Kaprièlian (Photo M.B.)
Une percée dans le monde des critiques littéraires, en compagnie d’Olivia de Lamberterie et de Nelly Kaprièlian (Photo M.B.)
Olivia de Lamberterie et Nelly Kaprièlian ont présenté leurs ouvrages respectifs à la librairie Maupetit (Photo M.B.)
Olivia de Lamberterie et Nelly Kaprièlian ont présenté leurs ouvrages respectifs à la librairie Maupetit (Photo M.B.)
On peut les qualifier de critiques influentes à Paris. Olivia de Lamberterie, rédactrice en chef adjointe du magazine Elle et chroniqueuse sur France 2/Télé matin ainsi que sur France Inter pour Le Masque et la Plume et, Nelly Kaprièlian, responsable des pages littéraires du magazine Les Inrocks, dirigeant par ailleurs les pages livres de Vogue et participant elle aussi à l’émission Le Masque et la Plume, ont fait découvrir les coulisses de leur métier de critique littéraire, au public marseillais. Ceci à l’occasion du centenaire de la librairie Maupetit, célébré à grand renfort de débats et de rencontres. Elles ont par ailleurs signé leurs livres respectifs : «Le manteau de Greta» et «Véronica» chez Grasset pour Nelly Kaprièlian, «Avec toutes mes sympathies» chez Stock, pour Olivia de Lamberterie, qui a reçu en 2018 le prix Renaudot. L’occasion de vivre un peu la vie de ces deux professionnelles de la plume, de mieux connaître les fondamentaux d’un métier pas forcément accessible par le biais d’une école… mais surtout en faisant preuve de culot. A la base, il faut remplir trois pré-requis, selon Nelly Kaprièlian : «Aimer la lecture, les auteurs, les romans. Il faut aimer réfléchir à la littérature et écrire aussi, parce que l’on est sur la presse écrite». Au-delà de ça, donc, pour se frayer un chemin dans ce métier, «il ne faut pas avoir peur de décrocher son téléphone» ou de contacter les rédactions par mail, pour «se proposer pour des stages, pour des articles. Et ne pas hésiter à écrire sur des formats courts, puisqu’on ne démarre pas de suite en faisant l’interview de Gustave Flaubert ». Rester humble donc. Mais aussi «travailler dur. Croire au facteur chance».

Un métier «à réinventer»

Et enfin, c’est un lieu commun, ne pas se décourager… puisque l’on ne vit pas toujours bien de ce métier. Tout dépend de son statut, en définitive. «Soit vous appartenez à une rédaction, comme c’est le cas de Nelly, aux « Inrocks » et le mien à « Elle ». Soit effectivement c’est une activité sûrement plus compliquée quand vous travaillez à la pige et qu’il faut avoir du culot pour frapper à la porte des journaux», observe Olivia de Lamberterie. Et puis, il faut garder à l’esprit que le métier se transforme. «Aujourd’hui, grâce aux réseaux sociaux, chacun peut le réinventer. C’est pour ça que les gens de 20 ans qui me disent que les journaux sont morts, que la presse, c’est la sidérurgie… c’est un peu vrai. Mais je pense qu’il y a d’autres pistes à explorer». Cela veut dire changer de supports et aller au-delà de la presse écrite, rebondit Nelly Kaprièlian. «Il faut se tourner vers le podcast, la vidéo. La presse écrite telle qu’on la connaît n’est pas appelée à durer encore cinquante ans, trente, voire 10 peut-être». D’où la nécessité «de devenir polyvalent et de traiter un peu tout». Ainsi Nelly Kaprièlian traite-t-elle «tout ce qui est littéraire : des récits, des romans, des mémoires»… d’autant que c’est la notion même de genre littéraire qui devient floue : «Il y a plein de débats aujourd’hui sur ce qui est roman, récit, autobiographie, mémoire, autofiction…»

De bonnes relations dans l’ensemble avec les éditeurs

Puis une fois dans la place, l’impératif, c’est de composer avec les éditeurs, ce qui n’est pas si complexe aux dires des deux femmes, qui reçoivent en temps de pré-rentrée littéraire quelque 30 à 50 livres par jour. Rien de moins… Pour autant, c’est un métier «où on travaille assez bien avec des gens de bonne compagnie. Et la sincérité et l’honnêteté valent vraiment pour tout le monde. Après, on a tous raconté des coups de force, des ruptures, des insultes mais je trouve que ce n’est pas du tout le pain quotidien de notre métier», note Olivia de Lamberterie. Une position partagée également par Nelly Kaprièlian. «On me demande beaucoup si je n’ai pas trop de pression de la part des éditeurs… En fait si on veut ne pas en avoir, on n’en a pas. On leur fait comprendre très vite que ça ne marchera pas, et tout aussi vite, ils le comprennent.» Des éditeurs dont les deux critiques reconnaissent l’utilité, pour la diversité de la production littéraire, la volonté, typique de l’Hexagone, de rechercher de nouveaux talents avant de faire de l’argent. «Il faut rappeler qu’il y a une forme d’exception de l’édition française. Contrairement au monde de l’édition anglo-saxon, en France on n’attend pas que chaque livre rapporte de l’argent». C’est le cas par exemple de l’œuvre de « jeunes auteurs, des auteurs confidentiels qui sont vraiment très littéraires, qui sont importants et qui doivent exister. Moi je respecte les éditeurs français pour cela, Olivia aussi». Partant de ce postulat, les rapports sont cordiaux avec ces derniers, mais aussi avec leurs attachés de presse, interlocuteurs privilégiés des journalistes critiques littéraires. «Au bout d’un moment, on se connaît. Les attachés de presse savent qui on est, quelle ligne éditoriale on défend… c’est un rapport de complicité qui se met en place. On leur demande de mettre en avant les titres qui peuvent nous intéresser, mais pas tout leur catalogue, parce qu’on n’en finit plus». Une cordialité qui n’empêche pas les deux critiques de protéger leurs équipes des relances des attachés de presse, quand ces journalistes se sont vu attribuer un livre à lire, à vue d’article. «Je veux que dans mon équipe, les journalistes puissent lire tranquillement sans avoir quelqu’un sur le dos. Et ça au bout d’un moment, elles ou ils le savent. C’est un rapport à deux».

Sauver la librairie indépendante

Ainsi les éditeurs tiennent-ils une place importante dans l’écosystème littéraire… tout comme les librairies indépendantes telles que Maupetit. « Parce qu’elle accueille des auteurs ou des débats. Par ailleurs, je trouve très important d’entrer dans une librairie pour acheter un ouvrage, quel qu’il soit. Je n’ai aucun mépris pour les gens qui entrent afin d’y acquérir des livres que moi je ne lirai pas. Par exemple des littératures très, très grand public, celle de Guillaume Musso, de Marc Lévy … parce que je pense qu’on peut repartir avec un autre livre. C’est à dire que la librairie, on y entre pour un livre, ou pour rien. Simplement peut-être pour s’y réfugier, parce qu’il pleut… et on peut acheter un petit livre de poche merveilleux qui va nous amener à lire et à lire davantage», poursuit Nelly Kaprièlian. Et Olivia de Lamberterie de renchérir à ce sujet : «J’étais au Salon du Livre avec Jean-Paul Hirsch, directeur des Éditions P.O.L. Nous nous approchions d’un stand de littérature qu’on appelle Young Adult, avec des filles gothiques et quelques 3 000 personnes qui faisaient la queue … Et Jean-Paul Hirsch a eu cette réflexion : « ils repartent avec un livre qu’on ne connaît même pas, gothique. Mais il n’est pas exclu qu’un jour ils rencontrent Flaubert …  » Je me suis dit : « il a raison ! » Donc on a toutes les raisons d’être optimiste».

Le jeune, l’avenir du livre ?

Bref, un attachement aux librairies indépendantes qui leur dicte à toutes deux de ne jamais commander sur des places de marchés en ligne, « parce qu’on ne peut pas flâner et que l’on ne veut pas se laisser guider par les suggestions d’algorithmes mercantiles». Ainsi les deux journalistes mettent-elles un point d’honneur à continuer à aller dans des librairies et à acheter des livres, malgré tous ceux qu’elles reçoivent gratuitement, en service de presse. Des gestes qui permettront de préserver l’avenir de la lecture et du livre. Encore qu’Olivia de Lamberterie se dit «assez optimiste» sur le sujet. Déjà parce que l’avenir de la littérature, ce sont les jeunes d’aujourd’hui. Or «les petits français sont de très gros lecteurs», analyse-t-elle. Peut-être est-ce dû à la vitalité du secteur jeunesse, dans lequel s’illustrent «des génies dont personne ne parle». Mais aussi parce que la librairie indépendante est aussi une librairie qui vit : «ce qui est fascinant c’est de voir le nombre d’événements organisés, chaque jour en France. Débats, rencontres, lectures, musique… Or, sans libraires, il n’y a pas de livres. Et c’est d’autant plus important aujourd’hui qu’il y a un changement de prescription. Les journaux ont moins de pouvoir et je pense que les libraires ont vraiment une très grande responsabilité».
son_copie_petit-388.jpgEntretien croisé des deux critiques littéraires Nelly Kaprièlian et Olivia de Lamberterie double_itw_nelly_kaprielian_et_olivia_de_lamberterie_-2.mp3
Carole PAYRAU (rédaction) et Mireille BIANCIOTTO (son)

Documents joints

Articles similaires

Aller au contenu principal