Retour sur les Rencontres d’Averroès: quelles libertés face aux pouvoirs autoritaires?

Publié le 27 décembre 2017 à  22h46 - Dernière mise à  jour le 28 octobre 2022 à  17h48

Cengiz Aktar, Lina Attalah, Jacques Rupnik et Michel Tubiana ont eu a débattre, dans un théâtre de la Criée à Marseille toujours aussi comble et attentif, sur «quelles libertés face aux pouvoirs autoritaires?». Une question qui se pose avec de plus en plus d’acuité notamment en Europe. Après des années de libéralisation, d’ouverture, le temps de «l’ouvert» semble révolu, note les organisateurs en signalant «l’affirmation des pouvoirs autoritaires dans la Pologne des frères Kraczinsky, la Hongrie de Viktor Orban ou la Tchéquie de Vacav Klaus. sans oublier l’ampleur des vagues nationales-populistes qui traversent désormais toute l’Europe».

Jacques Rupnik, Lina Attalah, le journaliste Daniel Desesquelle, Cengiz Aktar, Michel Tubiana sont intervenus sur «quelles libertés face aux pouvoirs autoritaires?» (Photo Michel Caire)
Jacques Rupnik, Lina Attalah, le journaliste Daniel Desesquelle, Cengiz Aktar, Michel Tubiana sont intervenus sur «quelles libertés face aux pouvoirs autoritaires?» (Photo Michel Caire)

«On n’exporte pas la démocratie. Il appartient aux peuples de la construire»

Cengiz Aktar, politologue, universitaire turc, enseigne aujourd’hui en Grèce. Il rappelle: «Je suis venu pour la première fois en 2008, il y avait alors un grand débat sur comment pouvait-on parler dans une même phrase d’Islam et de démocratie? On commençait alors à tirer la sonnette d’alarme. Il fallait que l’Europe ne repousse pas la Turquie, mais il y avait un manque mutuel de volonté. Erdogan commençait à se sentir fort, à se demander s’il avait besoin de l’Europe ou être le patron du Moyen-Orient. La folie des grandeurs était là. Arrive les protestations populaires, les révélations de corruption puis la tentative de coup d’État de l’an dernier». Michel Tubiana, avocat et ancien président de la Ligue des droits de l’homme, insiste sur le fait qu’:«on n’exporte pas la démocratie. Il appartient aux peuples de la construire. Et, s’il ne peut être question de transiger sur les valeurs, les chemins, en revanche, peuvent être différents». Or, pour lui: «L’Europe a accepté l’éradication des oppositions en Égypte, en Tunisie…». «La vraie question, poursuit-il, n’est pas que la rive Sud ne porte pas les mêmes aspirations mais de ne pas dresser des murs ou des fosses mortuaires».

«Même s’il y a des élections, certains compétiteurs sont plus égaux que d’autres»

Mais pourquoi l’Europe de l’Est a-t-elle pu réussir la transition démocratique. Pour Jacques Rupnik, directeur de recherche à Sciences Po Paris, spécialiste de l’Europe centrale et orientale, et de la transition démocratique, cela est dû : «d’une part, à une opposition qui existait dans ses pays et, d’autre part, l’entrée dans l’Union Européenne a été un facteur très important de démocratisation». Il ajoute que la question est de savoir pourquoi des pays connaissent aujourd’hui une régression. Et de pointer du doigt «le recul de l’État de droit dans ces pays alors que c’était l’un des premiers thèmes de la dissidence». Il met également en exergue les attaques contre la société civile, la main mise sur l’audiovisuel public en Pologne et en Hongrie. Un ensemble de facteurs qui fait que: «même s’il y a des élections, certains compétiteurs sont plus égaux que d’autres». En matière d’information, Lina Attalah, raconte son expérience, en Égypte. Journaliste, elle est cofondatrice et rédactrice en chef de Mada Masr, site d’actualités bilingue arabe-anglais et l’une des rares voix médiatiques indépendantes en Égypte: «Nous témoignons du recul des libertés et nous n’hésitons jamais à publier même si la plupart du temps nous avons peur». «Notre site, ajoute-t-elle, est un de ceux qui est actuellement bloqué, mais tout ce qui est censuré est recherché». Cengiz Aktar revient à la Turquie: «50 000 personnes sont emprisonnées dont 500 avocats,170 journalistes. 15 universités sont fermées ainsi que 2 500 associations. Erdogan se fiche de la constitution, tous les jours la loi est violée. Le régime a l’armée, la police, la milice. La société civile bat de l’aile, elle n’a plus aucun recours tant à l’intérieur qu’à l’extérieur. Il n’y a plus de contre-pouvoir, le seul qui pouvait l’être, l’Europe, a totalement abandonné la Turquie, parfois avec soulagement. La Cour européenne des droits de l’Homme refuse toutes les demandes de ressortissants turcs». Michel Tubiana se veut moins pessimiste: «Je rentre de Turquie, je suis stupéfait de voir la capacité de la société civile à résister même si nombre d’opposants ont été obligé de partir. Et nous pouvons aider la société de l’intérieur mais aussi de l’extérieur à travers l’Europe et, nous devons interpeller nos États ». Cengiz Aktar reprend: «C’est vrai qu’il y a une résistance mais elle est très limitée. Les femmes sont extraordinaires, les Kurdes sont toujours en résistance». Michel Tubiana en revient à l’Europe: «Elle n’a jamais parlée de façon aussi désunie. Le seul organe qui lui donne un peu de cohérence est le moins démocratique, à savoir la Commission. De plus l’Europe n’a plus les moyens de ses prétentions sur le terrain économique. Et, aujourd’hui, l’Europe a peur d’elle-même et des autres».
Michel CAIRE

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