SNCM

Bruxelles veut-elle saborder la flotte ?
La commission européenne a décidé ce jeudi 2 mai d’exiger de l’ancienne compagnie publique le remboursement de 220 M€ liés à des aides publiques perçues au titre du « service complémentaire ». Une décision dont le timing interpelle puisque le Conseil d’Etat instruit toujours sa propre enquête sur le sujet. Et qui surtout pourrait signer l’arrêt de mort d’une compagnie qui connaît déjà de graves difficultés financières. La SNCM a d’ores et déjà indiqué sa volonté de faire appel, un recours qui est suspensif.

C’était l’une des trois épées de Damoclès qui pesaient sur l’avenir de la SNCM : le possible remboursement des aides publiques perçues par la compagnie maritime dans le cadre de la délégation de service public (DSP) pour la période 2007-2013, portant sur la desserte entre le continent et l’Ile de Beauté, au titre du « service complémentaire » en haute saison. Or, le couperet est tombé ce jeudi 2 mai : la commission européenne a condamné l’ancienne compagnie publique, à rembourser à la collectivité territoriale de Corse, d’ici la fin août, 220 M€ correspondant à ces subventions couvrant les périodes de pointe de la saison touristique. Un coup qui pourrait être fatal à la SNCM, aujourd’hui détenue à 66% par Véolia Transdev – société issue de la fusion de Véolia Transport et de Transdev, filiale de la Caisse des dépôts et consignations, elle-même filiale de l’Etat -, 25% par l’Etat et 9% par les salariés. Mais cette dernière a d’ores et déjà indiqué qu’elle ferait appel de cette décision. Et en la matière, l’appel est suspensif…
Ces sommes ont été versées à la compagnie maritime dans le cadre de la convention signée avec la collectivité territoriale de Corse et l’Office des Transports de Corse (OTC), l’établissement public à caractère industriel et commercial (EPIC) de la collectivité territoriale de Corse dont la mission principale est la gestion des subventions qui lui sont accordées par l’Etat français au titre de la continuité territoriale. Ce contrat prévoit, outre les 66 M€ alloués à la SNCM et la CMN pour le service de base (cargos passagers et fret, tout au long de l’année), une subvention de 33 M€ attribuée par l’OTC aux ferries de la SNCM pour les périodes de pointe. Introduit en 2002, ce dispositif, supprimé dans la prochaine DSP, permettait à la Collectivité territoriale de Corse de rembourser les compagnies faisant bénéficier certaines catégories de passagers de tarifs préférentiels (jeunes, personnes âgées, familles et résidents en Corse). Une aide financière que Pierre Mattei, le directeur général de Corsica Ferries, principal concurrent de la SNCM, a toujours contestée. Dès 2007, le groupe italien avait ainsi saisi la commission de Bruxelles.

Une enquête ouverte le 27 juin dernier

Et, après des années de procédures juridiques, un premier coup de théâtre était intervenu dans ce dossier le 27 juin dernier. La Commission européenne avait alors décidé de lancer une enquête approfondie afin de déterminer si les aides financières perçues par la SNCM et la CMN étaient conformes aux règles de l’Union européenne (UE) ? Et d’ores et déjà, la Commission indiquait qu’à ce stade, elle « n’exclut pas que les compensations de service public reçues par ces entreprises puissent leur procurer un avantage indu sur leurs concurrents dans le marché intérieur ». Les autorités françaises étaient ainsi invitées à « démontrer qu’il existe un besoin réel de service public » et que le service complémentaire fourni par les deux compagnies lors des pointes de trafic en période de vacances scolaires et pendant la saison d’été ne pouvait pas « être assuré par les seules forces du marché ». Sans compter que Bruxelles émettait également des doutes sur le fait que « les paramètres du mécanisme de compensation aient été fixés au préalable de manière objective et transparente ».
Une analyse qui a donc été confirmée par le jugement intervenue ce jeudi 2 mai. La Commission européenne a en effet conclu que « les aides perçues par la SNCM pour un service dit « complémentaire » destiné à couvrir les périodes de pointe pendant la saison touristique ne viennent compenser aucun besoin réel de service public. Ces subventions ont procuré un avantage injustifié à la SNCM et doivent par conséquent être restituées aux contribuables. » « Les citoyens ont besoin de services publics efficaces et répondant à de vrais besoins, explique Joaquín Almunia, vice-président de la Commission européenne chargé de la Concurrence. Il est légitime de recourir à des subventions pour compenser le coût du service public de desserte maritime de la Corse, qui permet d’atténuer les contraintes liées à l’insularité. Mais lorsque le marché peut répondre aux besoins des voyageurs dans les mêmes conditions, il est anormal d’utiliser l’argent du contribuable pour favoriser un opérateur particulier. Les règles de l’UE ne permettent pas seulement de préserver une concurrence saine ; elles garantissent aussi la transparence des financements accordés et le bon usage des deniers publics. »

Une décision « infondée » aux yeux des salariés et du gouvernement

Une décision qui a bien entendu ravi Pierre Mattei, directeur général de Corsica Ferries. « Nous attendions bien sûr cette décision car nous contestions depuis des années cette notion de « service complémentaire » qui visait uniquement à favoriser une compagnie en difficulté financière », a-t-il commenté.
Sauf que ce jugement de la Commission européenne est loin de mettre fin à un feuilleton juridique déjà long de 7 ans. La SNCM ne manque ainsi pas de faire remarquer que « les voies d’appels et de recours en droit pour contester cette décision de l’Europe existent. Nous allons les saisir avec la plus grande fermeté et la plus grande détermination. » Quant au président du directoire de la SNCM, Marc Dufour, il se borne pour l’heure à qualifier la décision de Bruxelles d’« incident de parcours », insistant sur le fait que les recours sont suspensifs.
La même combativité est de mise dans les rangs des salariés. Ainsi Frédéric Alpozzo, secrétaire général du syndicat CGT des marins de la SNCM, souligne que « si vous devez rembourser 220 M€, vous mettez la clef sous la porte, mais on ne l’imagine pas un seul instant ». Et d’estimer que « cette condamnation est infondée ». « Cela fait des années que nous contestons l’acharnement juridique de Corsica Ferries, qui a oublié de dire à la Commission qu’elle a touché de son côté 150 millions de subventions de l’Etat au titre de l’aide sociale (NDLR : aide sociale au passager) », dénonce le syndicaliste.
Décision « infondée » ? C’est également l’avis du gouvernement français qui « estime pour sa part que ce service complémentaire, destiné à renforcer pendant les périodes de pointe le service permanent assuré sur les lignes desservant la Corse pendant toute l’année, répond à un besoin réel de service public », réaffirment dans un communiqué commun Pierre Moscovici, ministre de l’Economie et des Finances, Arnaud Montebourg, ministre du Redressement productif, et Frédéric Cuvillier, ministre des Transports, à la Mer et à la Pêche. L’Etat considère en effet que « la compensation correspondant à ce service est assise sur des paramètres fixés de façon objective et transparente, à la suite d’une procédure de mise en concurrence ouverte à tous ». Dès lors, le gouvernement « étudie les différentes solutions pour faire reconnaître la régularité de la délégation de service public entre la Corse et le continent et se réserve toutes les voies de droit pour contester la décision de la Commission européenne ».

L’Europe « voudrait faire couler le navire SNCM qu’elle ne s’y prendrait pas autrement »
Reste que si elle devait se confirmer la décision de la Commission de Bruxelles risquerait bel et bien de signer l’arrêt de mort de la SNCM. Car on voit mal comment l’entreprises, qui emploie 3 000 salariés dont 2 000 permanents, pourrait faire face à une telle ardoise alors qu’elle a déjà essuyé 12 M€ de pertes en 2011 et 13 M€ en 2012 pour un chiffre d’affaires de 300 M€. « J’estime que l’Europe a une drôle de conception du service public. Elle voudrait faire couler le navire SNCM qu’elle ne s’y prendrait pas autrement », tranche ainsi Eugène Caselli (PS). Et le président de la communauté urbaine Marseille Provence Métropole (MPM) se souligner ce qui lui apparaît comme une incohérence de la part de la Commission de Bruxelles. « Si le transfert des passagers du continent vers la Corse pendant la période d’été n’est pas un service public, alors l’Europe pourrait aussi considérer que les trains estivaux supplémentaires mis en place par la SNCF ne le sont pas non plus ? », pointe-t-il.
Appelant l’Etat et la SNCM à « contester cette injonction devant les tribunaux par tous les moyens appropriés », il signale que « cette décision fait courir un risque d’annulation de la privatisation de l’entreprise qui date de 2006 et pourrait contraindre l’Etat à se substituer aux actionnaires. Les conséquences financières seraient, alors, extrêmement lourdes ». « Cette situation qui pourrait porter un coup fatal à la SNCM ainsi qu’à ses 2 400 salariés n’est pas acceptable. Aussi je vais immédiatement saisir le ministre des transports pour lui faire part de mon extrême inquiétude et lui demander un éclairage sur les intentions de l’Etat », conclut-il.
Même son de cloche à l’Hôtel de Ville de Marseille où le sénateur-maire Jean-Claude Gaudin (UMP) évoque une « véritable condamnation ». « Cette décision met gravement en cause l’avenir de cette entreprise qui se trouve déjà en grande difficulté financière, rappelle-t-il. J’espère une intervention ferme, rapide et efficace du gouvernement auprès des autorités de Bruxelles, en faveur de la SNCM qui compte aujourd’hui plus de 2 000 salariés et occupe une place importante dans l’économie de l’aire marseillaise. » Et d’insister sur le fait que « son activité doit absolument être maintenue afin de préserver les nombreux emplois directs et indirects qui en dépendent et notamment une grande partie de toute l’activité des bassins Est du Grand Port Maritime de Marseille ». « Nous devons unir tous nos efforts pour que la décision européenne ne conduise pas la SCNM à disparaître », plaide-t-il.

Une décision « prématurée »

Le Premier adjoint au maire de Marseille Roland Blum (UMP) juge quant à lui que ce « nouveau coup dur » porté à l’ancienne compagnie publique, « déjà en grande difficulté financière », intervient « en outre de manière prématurée ». « Le Conseil d’Etat instruit sur le même sujet son enquête, dans le cadre du contentieux qui oppose la SNCM à son principal concurrent Corsica Ferries », rappelle-t-il. Un point que n’a pas manqué de soulever également Maurice Perrin, représentant des actionnaires-salariés de la compagnie maritime et délégué syndical CFE-CGC, qui juge la décision de la Commission européenne « très choquante » en termes de délai et de droit. « On ne prend pas une décision au niveau européen alors que des contentieux nationaux sont toujours en cours », dénonce-t-il. Et de pointer également le caractère « profondément anormal » de la décision de ce jeudi « compte tenu des délais habituels de traitement de ce genre de dossier », qui sont, selon lui, « au minimum de 18 mois » selon lui, alors que la Commission n’a ouvert son enquête que le 27 juin dernier.
Pour Roland Blum, il est dans ces conditions « impératif que l’Etat interjette appel de cette décision de la Commission européenne et parvienne à faire reconnaître la régularité de service public de la SNCM entre la Corse et le continent ». « Il en va de l’avenir de cette entreprise qui avec près de 2 000 salariés permanents et autant d’emplois indirects, joue un rôle majeur dans l’économie marseillaise », argumente-t-il.

A quoi joue Bruxelles ?

Une décision d’autant plus regrettable que la SNCM semblait voir son avenir se dégager en partie sur l’un des trois dossiers qui menaçaient son avenir. Il semble qu’elle ait en effet toutes les chances d’être choisie, d’ici quelques semaines, par la collectivité territoriale de Corse et l’OTC pour assurer, avec la CMN, la continuité territoriale dans le cadre de la DSP pour la période 2014-2023. Toutefois, le périmètre de cette nouvelle DSP étant plus restreint que celle de la période antérieure (70 M€ de subventions annuelles au lieu de 104 M€), même en cas de décision positive, des menaces pèseraient encore sur l’avenir de 600 marins désormais exclus de la DSP.
Des incertitudes demeurent par ailleurs sur la volonté de Véolia de se maintenir à la tête de la compagnie.
Enfin, Bruxelles n’en a peut-être fini avec la SNCM puisqu’elle examine en parallèle, toujours à la demande de Corsica Ferries, un ensemble de mesures de soutien pour environ 230 M€ dont a bénéficié l’ancienne compagnie publique entre 2002 et 2006 dans le cadre de sa restructuration et de sa privatisation. La commission pourrait là aussi exiger le remboursement de tout ou partie de ces sommes.
Et on ne peut que s’interroger : comment la commission peut-elle exiger, dans la période crise actuelle le remboursement de 220 M€ dans un délai de seulement quatre mois ? Quelle entreprise, même en bonne santé financière serait en capacité d’y parvenir ? Et quel intérêt y aurait-il à faire disparaître une entreprise détenue aujourd’hui majoritairement par l’Etat français (58% des parts, 25% directement et 33% via la Caisse des dépôts et consignations (CDC) qui détient 33%, la moitié des parts de Véolia Transdev) ?

Serge PAYRAU

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