SNCM : Entretien avec Frédéric Alpozzo, secrétaire du syndicat CGT des marins.

Publié le 13 novembre 2014 à  22h30 - Dernière mise à  jour le 29 octobre 2022 à  13h44

Le tribunal de commerce rendra sa décision ce vendredi. Le destin de la SNCM sera ainsi statué en liquidation ou en redressement judiciaire. Dans ce cadre Frédéric Alpozzo, secrétaire du syndicat CGT des marins, revient sur nombre de points du dossier. Entretien.

Frédéric Alpozzo, secrétaire du syndicat CGT des marins (Photo Philippe Maillé)
Frédéric Alpozzo, secrétaire du syndicat CGT des marins (Photo Philippe Maillé)

Dans quel état d’esprit êtes-vous ?
Ce dossier est révélateur de la politique de ce gouvernement qui pratique le mensonge. Un gouvernement de la finance et anti républicain qui fait le jeu de l’extrême droite puisque qu’il défend aujourd’hui l’exploitation des travailleurs en France sur le principe du pays d’origine et l’évasion fiscale puisque le siège de Corsica Ferries est en Suisse. Ainsi on ne joue pas pour son pays et on ne respecte pas les droits et la législation française. On défend le low cost, l’évasion fiscale, la mise en concurrence des travailleurs et l’exploitation des travailleurs dans l’Union européenne. On est également en présence d’acteurs financiers qui ont fait les mêmes écoles, Jean-Marc Janaillac, président de Veolia Transdev et Jean-Pierre Jouyet des proches de François Hollande sans oublier Antoine Frérot le PDG de Veolia qui vient de remporter un contrat de service public de l’eau avec la Communauté urbaine Marseille Provence Métropole. Contrat qui vient de se faire épingler par la Chambre régionale des comptes pour dire que c’est un contrat qui nuit aux deniers du contribuable. Comment les élus peuvent accorder de tel contrat en marché public à des entreprises qui se comportent comme des voyous avec l’argent des contribuables ? On est en présence également d’un phénomène grave celui de conflits d’intérêts. Pour exemple des gens qui sont un jour à la tête d’une multinationale sont le lendemain dans un cabinet ministériel.

Êtes-vous confiants pour la suite des événements ?
Je crois en la justice. Le dossier qui est en cours et entre les mains du tribunal de commerce mais ce dossier relève du pénal. Nous dénonçons dans ce dossier les malversations financières des actionnaires et des dirigeants qui ont mis la SNCM dans cette situation. Il faut aujourd’hui que cela cesse et que l’on sorte rapidement de ces procédures de redressement qui vont conduire l’entreprise à sa liquidation avec des milliers de salariés et des entreprises qui en cascade vont disparaître. Je siège au Conseil de surveillance et nous avons déposé plainte pour le résultat financier de Veolia. Et Veolia, l’État qui est à ses côtés, plutôt que de chercher à céder sa participation à la SNCM avec un opérateur industriel dans un projet d’entreprise, préfère se débarrasser de l’entreprise. On espère que cela n’arrivera pas mais la DSP va repasser dans les prochains mois par un appel d’offres et on verra qui sera le nouveau bénéficiaire, à qui va profiter le crime. On a des gens qui se partagent des biens et l’argent des contribuables et des sociétés publiques au détriment des salariés, de l’emploi et de l’intérêt général puisqu’on aura tué de l’emploi durable pour des décennies.

Si cette situation extrême devait arriver que va-t-il se passer ?
Demain les usagers se retrouveront avec des low cost. Je peux les rassurer, comme sur la Sardaigne, il y aura une flambée des prix, sans avoir l’emploi, la qualité de services et la sécurité. Et ils ne feront pas travailler les entreprises locales. C’est pour cela d’ailleurs qu’il y a un groupement d’entreprises en Corse qui s’est manifesté. Il faut savoir que l’argent public fait aussi fonctionner l’économie locale. Et je tiens à souligner qu’aujourd’hui, le gouvernement et les élus socialistes ne sont pas aux côtés des salariés et ont pris des dispositions qui favorisent la libéralisation du secteur et la casse du service public. Seuls les élus communistes sont intervenus, ont fait des propositions tant au sein de l’Assemblée de Corse que de l’Assemblée nationale pour porter l’intérêt général, pour l’emploi, le service public et les salariés. Ils ont proposé une loi pour imposer le Pavillon français premier registre sur l’ensemble du transport maritime en France et sur la continuité territoriale; ils ont proposé d’imposer des critères d’âge des navires sur la DSP, des critères sociaux; Ils ont également proposé la transparence fiscale et que des garanties soient apportées par tous les armateurs quel que soit leur nationalité. Je constate que les propositions avancées par les élus communistes ont été rejetées par les autres groupes politiques au niveau national et local. Et je tiens à dire qu’au-delà de la SNCM, on ne peut pas continuer comme cela avec 6 millions de chômeurs et ne pas répondre aux besoins sociaux et environnementaux.

Dans vos propos vous revenez souvent sur l’importance du rôle de l’État. Quel est-il selon vous ?
C’est l’État qui réalise les grands projets d’infrastructures. Le comble c’est que c’est le FMI qui demande à l’Union européenne de réaliser les grands projets d’investissement avec l’argent public des États. Alors, s’il n’y a pas la puissance publique qui réalise les infrastructures, les routes, etc. on n’aurait jamais eu le TGV, la conquête spatiale, ces fabuleux projets qui ont créé en cascade des activités durables pour les entreprises privées ; les grands secteurs de l’industrie, l’automobile, la sidérurgie, la métallurgie et construire des bateaux avec des nouvelles technologies pour ne pas polluer la mer. A propos des bateaux, le gouvernement nous a dit: « on attend la croissance ». J’ai cherché la croissance à tous les coins de rues, je ne l’ai pas trouvée. On nous prend vraiment pour des imbéciles. Je rappelle que le rôle du politique c’est quand même de mettre l’économie au service de l’intérêt général. C’est le politique qui fait les lois, qui passe des marchés publics qui légifèrent pour répondre aux besoins de la population; créer les conditions pour les nouveaux modes de transport, etc.

Les services publics sont-ils en grand danger ?
On a dit qu’on a bien traversé la crise parce qu’en France on avait des services publics forts qui attiraient des entreprises. Parce qu’avec le Conseil national de la résistance on a sécurisé les services publics comme la SNCF, la Poste… Le service public, c’est quoi ? C’est de l’argent public qui est utilisé pour un service de qualité au meilleur coût pour les usagers, aussi bien pour les entreprises que les particuliers. Les bénéfices retirés, quand les services publics ne sont pas mis en concurrence, servent à réinvestir dans l’outil de travail ; à baisser les tarifs pour les usagers. Aujourd’hui qu’est-ce qu’on voit ? On a privatisé l’énergie EDF, GDF, les tarifs ont flambé, ils ont été mis en concurrence alors qu’ils étaient partenaires et maintenant on ouvre à la concurrence. Même problème pour la SNCM alors qu’elle faisait des bénéfices, alors qu’elle avait 40 millions de résultat positif dans les caisses de la Corse -cela voulant dire qu’il y avait 250M€ qui pouvaient servir à baisser le prix pour les usagers- on a préféré distribuer cet argent aux compagnies low cost. Après la SNCM perd de l’argent mais il y a de vrais raisons dont on ne parle pas. Comme tous les services publics on nous a mis concurrence. Comme cela ne suffisait pas, il a fallu subventionner Corsica Ferries et cette compagnie a été autorisée à utiliser le droit international alors qu’elle travaille en France. On a des gouvernants qui dilapident l’argent public. Si au lieu d’avoir utilisé cet argent pour financer une compagnie low cost et payer les plans sociaux que cela a occasionné à la SNCM on aurait renouvelé l’intégralité de la flotte de la SNCM et de la Méridionale. On aurait de plus beaux bateaux au service des usagers, à des tarifs qui auraient encore baissé. En plus on aurait créé de l’emploi, de nouveaux métiers et on serait à la pointe des nouvelles technologies avec des savoir-faire, de l’ingénieur aux ouvriers. Pour réaliser tout cela, il faut changer de politique à 180°. Si tous les politiques de gauche et les républicains veulent que cela change, cela est possible.

En ce qui concerne les subventions dont l’Europe réclame le remboursement, ne pensez-vous pas que l’État pourrait négocier?
L’État doit défendre la souveraineté nationale et les décisions de l’Assemblée de Corse. Cela veut dire que la privatisation, il faut l’arrêter. Elle a été voulue par l’État qui a pris soin de la faire valider par la Commission européenne pendant un an. Alors, la Commission ne peut pas avoir validé un processus de privatisation et presque 10 ans après venir demander à la SNCM et à ses salariés, au risque qu’ils se retrouvent dehors, de rembourser l’argent dont on ne sait pas qui en a bénéficié. Sensément, la privatisation aurait bénéficié à la compagnie pour fausser la concurrence. C’est le raisonnement de la Commission et de Corsica ferries qui dépose plainte. Le résultat factuel : La concurrence ne s’est pas développée? C’est faux, Corsica ferries est devenue le premier opérateur sur la continuité territoriale parce qu’il a bénéficié d’argent public et a utilisé le droit international ce qui n’avait pas le droit de faire. Est-ce que la SNCM a été restructuré ? Les salariés ont payé le prix et 400 emplois ont été supprimés. On devait garder 10 navires avec cette privatisation, aujourd’hui on n’est plus qu’à 7 bateaux avec des départs supplémentaires parce que la flotte a diminué. Donc, on voit bien que ces attaques sont totalement infondées. Pour revenir au remboursement, les procédures sont longues et il n’y a pas aujourd’hui de réelles menaces d’exécution. L’État ne défend pas son entreprise, ses citoyens et laisse Corsica Ferries faire du lobbying auprès de la Commission. Corsica ferries a déposé plainte alors que la compagnie a touché aussi près de 200M€ et a transporté des passagers en période touristique sur de l’argent qui ne devait servir que pour financer le service public. Et là tout le monde pourra juger. Mais il faut que ce soit la CGT avec les cotisations des salariés qui dépose plainte. Ni les dirigeants de l’entreprise ni l’État n’ont réclamé cet argent, épinglé là aussi par la Chambre régionale des comptes au niveau local et par la Cour des comptes au plan national.
Propos recueillis par Patricia MAILLE-CAIRE

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