Semaine économique de la Méditerranée à Marseille: Dessine-moi une ville

Publié le 5 novembre 2015 à  14h06 - Dernière mise à  jour le 27 octobre 2022 à  20h43

«Dessine-moi un mouton », écrivait Saint-Exupéry, et bien en préambule de la Semaine économique de la Méditerranée, il était question de dessiner la ville économique de demain. De s’interroger sur ce qu’est la ville rêvée aujourd’hui pour les citoyens? Quelles sont leurs attentes en matière de développement urbain ? Comment les intégrer dans la création de la ville rêvée ? Un exercice dans lequel excelle Carlos Moreno, scientifique spécialiste de la Human Smart City. Puis, il fut question, avant d’arriver à cet idéal, de s’interroger sur la réalité des villes méditerranéennes d’aujourd’hui lors de la première table-ronde qui réunissait Taoufik Souami, docteur en urbanisme et aménagement, maître de conférence de l’Institut français d’Urbanisme – Rachid Sidi Boumedine, sociologue urbain, directeur de recherches associé au CREAD d’Alger – Julien Le Tellier, géographe, chargé de mission du Plan Bleu et Carmen Santana, architecte urbaniste, associée de l’agence Archikubik, professeur École architecture Barcelone.

Taoufik Souami, docteur en urbanisme et aménagement - Rachid Sidi Boumedine, sociologue urbain - Julien Le Tellier, géographe - Carmen Santana, architecte urbaniste (Photo Philippe Maillé)
Taoufik Souami, docteur en urbanisme et aménagement – Rachid Sidi Boumedine, sociologue urbain – Julien Le Tellier, géographe – Carmen Santana, architecte urbaniste (Photo Philippe Maillé)
Carlos Moreno, scientifique spécialiste de la Human Smart City (Photo Philippe Maillé)
Carlos Moreno, scientifique spécialiste de la Human Smart City (Photo Philippe Maillé)

Carlos Moreno parle d’«une Méditerranée chargée d’Histoire qui n’a pas attendue le XXIe siècle pour avoir de l’intelligence dans la ville». Il évoque la complexité du monde méditerranéen, sa fragilité : «La Ville méditerranéenne est menacée notamment par la hausse du niveau de la mer avec le réchauffement climatique. Mais nous sommes là aussi sur un continent plein d’espoir qui veut une ville plus durable, plus aimable. Le problème de la ville n’est pas d’être intelligente, ce n’est pas, en tout cas, une question technique, ce qui est en jeu c’est qu’elle soit un lieu de vie et de partage, qu’elle soit avant tout humaine. Et les défis sont au nombre de cinq : social, économique, culturel, écologique et de résilience car, nos villes sont vulnérables».

«Il importe de tisser des liens entre les diversités de la ville, de la ville vivante»

Puis Carlos Moreno met en exergue le décor dans lequel se meuvent ses villes : «Un monde qui change et, dans lequel au Sud comme à l’Est, se développent des mégapoles, des villes monde qui prennent leur distance vis à vis de l’État». Un phénomène que ne connaît pas «la vieille Europe» qui, pourtant s’inscrit dans une logique mondiale qui veut que la richesse soit produite dans les métropoles. «Ainsi, précise-t-il, 13% des villes européennes produisent 44% du PIB mondial.Ce qui veut dire que les métropoles sont en compétition les unes avec les autres». Dans cette compétition, il considère que «Marseille dispose d’un gisement merveilleux pour développer une identité socio-territoriale». Il considère que dans une ville, il y a plein de villes : administrative, touristique, des quartiers… «Il importe de tisser des liens entre les diversités de la ville, de la ville vivante. Le respect du bien vivre ensemble a alors une chance d’émerger. Mais, pour le moment, nos villes sont étouffées, subissent le stress hydrique. Par exemple, des gens, la moiteur de l’été venue, en viennent à casser les bornes d’incendie pour bénéficier d’un peu de fraîcheur dans des zones HLM privées de tout espace vert».

«On ne peut pas parler de ville intelligente s’il n’y a pas de démocratie »

Carlos Moreno prévient : «On ne peut pas parler de ville intelligente s’il n’y a pas de démocratie, d’intervention citoyenne. La transformation urbaine se développe à partir de trois leviers : l’inclusion sociale, l’innovation technologique et l’intelligence urbaine».
Le réel que révèle la première table ronde est pourtant inquiétant. Taoufik Souami, parle d’une évolution qui fait qu’on ne peut plus parler de ville mais «de territoire urbain»: «La vie s’organise sur 80 km, avec une difficulté accrue pour faire venir l’emploi et des inégalités socio-économiques qui s’aggravent au sein de ces territoires».
Rachid Sidi Boumedine, sociologue urbain avance: «On voit aujourd’hui des villes intermédiaires surgir, mais dans le Maghreb, on ne parle que de métropolisation; c’est le grand qui est beau, le petit est moche». Dans le même temps une évolution sociétale se fait jour : «La population est de plus en plus sensible aux questions environnementales, elle ne veut plus, par exemple, de décharge sauvage». «Attention, prévient-il, pas d’angélisme, les rapports Nord/Sud sont toujours dissymétrique avec un Sud pourtant de plus en plus diplômé. on compte 1 500 000 étudiants en Algérie, pays de 38 millions d’habitants, contre 1 800 000 en France qui en compte 60 millions».

«67% de la population méditerranéenne habite dans des agglomérations»

Julien Le Tellier est géographe, chargé de mission du Plan Bleu. Il pose les enjeux: «67% de la population méditerranéenne habite dans des agglomérations, ils pourraient être 75% en 2030 avec un doublement de la population en 50 ans». Évoque l’augmentation des distances de déplacement : «du temps perdu dans les embouteillages sans oublier la pollution que cela produit. Face à cela il faut prendre des décisions pour aller vers plus de durabilité, lutter contre les effets du réchauffement climatique». «Il faut, selon lui, changer nos pratiques de consommation comme de production». Et regrette que, pour le moment, les engagements pris pour la COP 21 «sont insuffisants». «Or, les villes de la rive Sud sont moins responsables du réchauffement, elles en subiront pourtant plus les conséquences». Pour éviter cela, il plaide pour un accroissement des solidarités.
Carmen Santana, architecte urbaniste, pour sortir de cette logique invite à «apprendre à désapprendre ». Prend pour exemple Barcelone et ses lieux publics sur le sable; se prononce pour la création de lieux d’échanges «pour ne pas avoir peur des autres». Indique qu’il est possible de travailler sur des sous-sols intelligents, multifonctions, évolutifs, «plutôt que de faire des trous à n’en plus finir».
Une première matinée lors de laquelle une ville se dessine, les enjeux pour y parvenir. La démocratie, la participation citoyenne, la mixité en sont des socles, sur lesquels l’innovation peut se produire.
Michel CAIRE

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