Publié le 13 mars 2019 à 19h35 - Dernière mise à jour le 28 octobre 2022 à 23h37
Il y a quatre ans Céline Frisch enregistrait, pour le label Alpha, le premier livre du «Clavier bien tempéré» de Jean-Sébastien Bach. En ce début mars, la même Maison d’édition vient de sortir le deuxième livre (2 CD) enregistré par la claveciniste marseillaise l’été dernier à Manteyer, dans les Hautes-Alpes, avec le soutien de l’association Espace Culturel de Chaillol. Un dernier opus en date qui vient compléter idéalement une production discographique déjà riche, aussi, des Variation Goldberg (2001) et de nombreux autres disques consacrés aux compositions du Cantor de Leipzig, la plupart enregistrés avec Café Zimmermann. Café Zimmermann, un ensemble «à géométrie variable», en résidence au Grand Théâtre de Provence d’Aix-en-Provence, dont Céline Frisch est directrice musicale après l’avoir fondé, en 1998, avec le violoniste Pablo Valetti et d’autres musiciens issus de la Schola Cantorum de Bâle. Sa passion pour Bach, Céline Frisch l’entretient depuis sa plus tendre enfance. «C’est avec Bach que j’ai le plus d’affinités… Sa musique me nourrit intellectuellement et émotionnellement; et ce depuis longtemps. Lorsque j’avais 14 ans, mes parents m’avaient envoyée en Allemagne, pour une année d’études, chez des amis musiciens qui chantaient dans une chorale. Là-bas, ils vivaient au rythme de Bach : Oratorio de Noël en décembre, Passion selon Saint-Jean à Pâques. Ainsi je suis tombée en amour pour la musique vocale de Bach, tant et si bien que j’allais en écouter tous les jours pendant des mois. Je n’avais pas encore réalisé combien ce compositeur allait compter dans ma vie de musicienne. En l’an 2000, mon premier enregistrement pour « Les Nouveaux interprètes » d’Harmonia Mundi était consacré à des pièces pour clavecin de Bach et, dès l’année suivante, j’enregistrais « Les Variations Goldberg ».» Depuis, la claveciniste a pu approfondir grandement ses connaissances sur la vie et l’œuvre du compositeur natif d’Elsenach ; en formation, avec Café Zimmermann prioritairement, et en soliste, ses enregistrements du Clavier bien tempéré sont là pour en témoigner. «Bach a réussi la synthèse de ce qu’était la musique de son époque en Europe. Il a croisé tous les styles dans un creuset, laissant s’exprimer sa science de la composition et arriver à construire une musique inventive, riche, équilibrée, qui tient debout toute seule. Ce qui est fabuleux dans l’art de Bach, c’est que vous pouvez prendre une œuvre à deux voix et découvrir qu’elle a la même forme qu’un chœur de la Passion.» Entre la composition du premier livre du «Clavier bien tempéré» et celle du deuxième livre, vingt ans de la vie de Bach se sont écoulés. Céline Frisch s’amuse : «Pour moi, ce sont quatre ans qui ont défilé entre les deux enregistrements. Cette œuvre (le deuxième livre ; ndlr) ne faisait pas vraiment partie de mon répertoire ; j’ai donc eu grand plaisir à m’y plonger. Certains musiciens en font une étude complète, j’ai préféré me l’approprier comme une œuvre de concert passionnante que j’ai travaillée pièce après pièce. En fait, je n’ai pas la sensation d’une forme aboutie, comme les variations Goldberg, mais d’une succession de paysages de forme et de style variés ; un très beau voyage et une merveille d’écriture.» Céline Frisch a tenu à mettre en valeur ces paysages et cette écriture ; en prenant quelques risques… «J’avais envie qu’il se passe quelque chose dans cet enregistrement. Alors j’ai délaissé le clavecin sur lequel je joue depuis quinze ans pour un instrument qu’il m’a fallu découvrir et apprivoiser. C’était intéressant de sortir de ma zone de confort, plus difficile aussi. Car les sonorités et la mécanique sont différentes. On peut en juger avec l’écoute attentive et comparée des deux enregistrements.» Nous évoquons, plus haut, la richesse des compositions de Bach, on peut parler ici, aussi, de la richesse des interprétations de Céline Frisch. Deux CD et 145 minutes de préludes et fugues qui coulent comme l’eau limpide d’une source de vie. Enregistrement techniquement parfait, virtuosité et intelligence du jeu : on ne s’ennuie pas une seconde à l’écoute de cette œuvre véritable invitation au voyage de la part d’un compositeur souvent considéré comme l’un des «pères», si ce n’est le «père» de la musique moderne et d’une musicienne sensible et lumineuse dans son jeu.
Michel EGEA