Tribune d’Eric Delbecque. 2018 : la société du spectacle se porte toujours bien…

Publié le 22 décembre 2018 à  8h18 - Dernière mise à  jour le 29 novembre 2022 à  12h23

Rien de nouveau sous le soleil en 2018 ! La continuité s’impose quant aux errements de la société du spectacle… Il convient donc de résister encore et toujours à l’empire de l’éphémère et de la désinformation qui assiège nos esprits.

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© Eric Delbecque
© Eric Delbecque
Société de l’information dit-on ? À condition de bien mesurer ce que cette formule signifie. Elle désigne tout ce qui est porté à la connaissance d’un public, plus ou moins étendu. Ce n’est pas pour autant que l’ensemble des contenus qu’elle véhicule se révèle de qualité, ou même vrai… Ce qui occupe un peu trop nos écrans ou les colonnes des quotidiens présente un intérêt souvent limité. À tel point d’ailleurs que ce qui tourne en boucle quarante-huit heures durant sur les ondes, les journaux télévisés et les éditions en ligne sombre le lendemain dans l’oubli. De cette avalanche d’images et de mots, on ne retient finalement rien.

Notre société de l’information se révèle en outre très inquiétante lorsque l’on constate à quel point elle peut favoriser les dynamiques de désinformation, c’est-à-dire de déformation des faits provoquant d’infinis contresens. On a vu les effets ravageurs de cette spirale de l’interprétation malhonnête durant le mandat de Georges W. Bush, à l’occasion de la «justification» de la guerre en Irak. Créer de toutes pièces un organisme de «renseignement» (Office of Special Plans) pour déformer des faits et en tirer la conclusion de la présence d’armes de destruction massives sur le sol irakien relève de la manipulation la plus grossière : elle a pourtant permis de tromper le peuple américain durant plusieurs années. Même si des exemples aussi spectaculaires demeurent rares, beaucoup d’autres (moins flagrants) sont néanmoins repérables. Et ils induisent dans l’opinion publique des représentations du monde particulièrement éloignées de la réalité. La société de l’information apparaît trop souvent comme un miroir aux alouettes : elle entretient l’illusion que chacun de nous bénéficie en temps réel de toutes les données possibles, et peut même devenir acteur de l’actualité, se substituer au journaliste, qu’elle annonce le «sacre de l’amateur». Nous vivons dans l’illusion de l’immédiateté, de la transparence du réel et de la disponibilité totale du savoir. À bien y regarder, le bombardement ininterrompu de données brutes ou faussées ressemble fort à une régression de la culture démocratique et de la diffusion de l’esprit critique : il ne favorise pas l’apprentissage et le progrès cognitif, mais répand le sentiment de savoir, qui se nomme aussi l’opinion ou le préjugé, dont les authentiques réactionnaires faisaient jadis l’éloge…

Le phénomène d’addiction à l’information dont rendait compte Michel Lejoyeux dans Overdose d’info (judicieusement sous-titré Guérir des névroses médiatiques) repose sur la consommation boulimique d’actualités, d’abord véhiculées par les chaînes d’info en continue puis par les alertes lapidaires envoyées sur nos smartphones. L’objectif est simple : être au courant plus que comprendre. Cette addiction prend des formes analogues à un syndrome physiologique. En effet, l’hypocondriaque estime que son corps est malade ; l’hypocondriaque médiatique est quant à lui convaincu que le monde entier est malade, vit dans l’angoisse permanente. Le média relaye la somme de toutes les peurs, accentuant les menaces les plus «proches» (dans le temps et l’espace), et négligeant les menaces à plus long terme. Internet a ouvert en grand le robinet informationnel : il n’y a plus de tri préalable. L’absence de sélectivité renforce le risque de désinformation et exacerbe celui de la surinformation sans but. De surcroît, en quelques années, les acteurs de l’information se sont multipliés, sans pour autant faire office d’antidote à la standardisation des messages. La facilité à éclipser pendant une longue période un ensemble de faits au profit d’une «actualité», puis à l’évacuer sans délai au bénéfice d’un autre sujet, s’avère sidérante.

L’excès de données aboutit paradoxalement mais sûrement à une carence d’informations à valeur ajoutée, vecteurs de sens. Personne ou presque n’étudie sérieusement et longuement une question, mais tout le monde a un avis sur l’instant… Précurseur, Jacques Ellul écrivait une phrase lapidaire adaptée à notre temps concernant la multiplication vaine des opinions sur le plus infime sujet : «et la parole d’un homme ensevelie sous les flots des paroles de millions d’hommes n’a plus ni sens, ni portée»… Le détournement ou l’altération des informations -à commencer par les images- se trouvent accélérés par la technologie et ses potentiels d’amplification, le buzz, trop souvent malveillant, qui frappe de plein fouet des personnes physiques ou morales, leur réputation et leurs intérêts.

Internet (mais les chaînes d’information en continu l’épaulent largement) nous plonge dans un océan informationnel qui augmente les risques d’intoxication, sans nul doute, mais aussi -plus banalement- les occasions d’appauvrissement de l’intelligence du monde, virant rapidement à une radicale incapacité de déceler les vrais enjeux sociétaux ; les sources mobilisées par la cybersphère et la plus large part de l’univers médiatique paraissent difficilement identifiables ou, quand elles le sont, ne produisent pas le questionnement que la logique la plus élémentaire serait en droit d’attendre…

Eric DELBECQUE – Auteur de L’intelligence économique pour les nuls (First)
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