Tribune de Thierry Noir. Question de Frontières – Algérie-Maroc : pourquoi tant de haine ?

Publié le 12 octobre 2018 à  17h37 - Dernière mise à  jour le 4 novembre 2022 à  12h47

Le fait est connu de tout le monde, mais rarement discuté : la frontière terrestre entre l’Algérie et le Maroc est totalement fermée, interdite à la circulation des hommes et des marchandises depuis 1994. A l’heure de la mondialisation et de l’internalisation des échanges, c’est assez original pour se pencher sur cette question.

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Dans l’histoire ancienne, cette frontière était plutôt floue et n’empêchait pas les habitants de passer de part et d’autre de la Moulouya, le fleuve qui séparait le Maroc de la Régence d’Alger, vassale de l’Empire ottoman. La colonisation française a commencé à fixer les frontières. C’était assez facile au Nord, dans les zones habitées. Mais bien plus difficile dans le sud saharien. Ces tracés n’ont jamais été réellement reconnus par les Algériens ou par les Marocains. D’ailleurs, en 1961, soit après l’indépendance du Maroc en 1956 mais avant celle de l’Algérie en 1962, le roi Hassan II signe avec Ferhat Abbas, président du Gouvernement Provisoire de la République Algérienne, un traité affirmant que les deux parties lutteront d’abord ensemble pour l’indépendance algérienne mais ensuite règleront pacifiquement leurs différends territoriaux. Promesse qui ne sera pas vraiment tenue. Dès octobre 1963, un conflit armé oppose les deux voisins. Qui ne fera ni vainqueurs ni vaincus, mais quelques centaines de morts quand même.

Pour ces jeunes États, qui devaient se construire en Nations, la question des territoires était de la plus haute importance. D’autant qu’à l’époque, ils professaient deux visions politiques aux antipodes. D’un côté, un royaume avec un souverain omnipotent, «commandeur des croyants», ouvert à l’économie de marché. De l’autre, une République «démocratique et populaire», officiellement laïque même si sa constitution fait référence à l’Islam, et sensible au collectivisme. De plus, en Algérie, la conscience collective a vu en héros ses résistants à la colonisation sur tout le territoire des ex-départements français. De l’autre côté, l’un des fondements idéologiques des opposants au Protectorat, c’était le Grand Maroc du XVIIe siècle, groupant autour du pays une partie du Sahara algérien, du Sahara espagnol, de la Mauritanie et du Nord du Mali -des visées irrédentistes qui n’ont plus cours aujourd’hui au Maroc. Mais, en 1975, avec la Marche Verte, Hassan II a commencé à transformer ce rêve en prenant -ou reprenant selon les points de vue- à l’Espagne les deux tiers du Sahara occidental [[Le troisième tiers étant récupéré par la Mauritanie.]] . Ce que l’Algérie a vu d’un très mauvais œil. Les indépendantistes saharaouis qui luttaient contre Madrid pour leur indépendance au sein du Front Polisario (Frente Popular de Liberación de Saguia el-Hamra y Río de Oro) ont donc été accueillis à bras ouverts par l’Algérie voisine, qui maintient là une épée dans les reins de son turbulent voisin [[A bras ouverts mais à moindre frais, les camps de réfugiés saharaouis en Algérie étant plutôt vétustes, les points d’eau pas assez nombreux et le ravitaillement plutôt chiche. Ce conflit, qui fera l’objet d’une prochaine chronique, est enlisé, la mission ad hoc des Nations-Unies n’enregistrant pas d’avancées significatives.]]

D’autres raisons, économiques, expliquent les rivalités entre les deux pays. Le Maroc n’a pas de richesses naturelles alors que l’Algérie a du pétrole. Pour son plus grand malheur, puisque cette rente pétrolière a permis aux dirigeant de penser qu’ils pouvaient faire l’impasse sur la modernisation de l’agriculture, de l’industrie et des investissements dans l’économie de l’intelligence. Le Maroc a un souverain qui veut moderniser les institutions du pays, qui peut parfois paraître frileux tant il évite de heurter les couches les plus conservatrices. Le souverain alaouite tente de juguler la montée d’une vision rigoriste de la pratique de l’Islam. L’Algérie est nominalement gouvernée par un vieux monsieur malade, alors qu’en fait le pays est mis en coupe réglée par des coteries issues, théoriquement, de la Résistance. Dans leur guerre contre le terrorisme islamiste, l’armée et surtout les renseignements algériens ont parfois -souvent- perdu leur âme. Le jour où la frontière algéro-marocaine sera ouverte (il se sera passé beaucoup de choses, mais pas forcément des décennies), le jour où fonctionnera cette fameuse Union du Maghreb Arabe (officiellement créé en 1989 mais qui n’a pas de réalité encore aujourd’hui), l’Europe, sinon le monde, tremblera. Ou s’enrichira.

Thierry Noir est journaliste et enseignant-chercheur au LID2MS (Aix-Marseille Université)

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