Tribune de Thierry Noir – Questions de frontières: Il y a 11 ans, la France remettait à l’Algérie les plans des champs de mines à la frontière algéro-tunisienne

Publié le 27 octobre 2018 à  19h08 - Dernière mise à  jour le 4 novembre 2022 à  12h47

La frontière entre les territoires de l'Algérie et la Tunisie. Son tracé, long de 1010 kilomètres, a été finalisé en 1983 ©CNES 2018
La frontière entre les territoires de l’Algérie et la Tunisie. Son tracé, long de 1010 kilomètres, a été finalisé en 1983 ©CNES 2018
C’était il y a tout juste 11 ans. Le 21 octobre 2007, le général Jean-Louis Georgelin, chef d’État-major de l’Armée française, rencontrait discrètement en Algérie son homologue, le général de corps d’armée, Ahmed Gaïd Salah. Paris avait décidé de remettre à Alger les plans des champs de mines anti-personnel posées, en 1956 et 1959, à la frontière entre l’Algérie et la Tunisie. En effet, les protectorats de Tunisie et du Maroc ont accédé à l’indépendance en 1956 et les zones frontières, avec le soutien au moins tacite des dirigeants marocains et tunisiens, servaient de refuges et de caches d’armes aux combattants algériens luttant pour leur propre indépendance. A partir de juillet 1957, le ministre français de la Défense, André Morice, avait donné l’ordre de construire une barrière de barbelés et de mines anti-personnel à la frontière avec la Tunisie, longue de 460 kilomètres, (et une autre de 700 km à la frontière marocaine). Le général Maurice Challe, commandant en chef en Algérie entre 1958 et 1960, avait fait ensuite renforcer ces dispositifs. En 2007, 45 ans après la fin de la guerre d’Algérie, un rapport (sujet à caution) du gouvernement algérien à la Convention d’Ottawa estimait qu’il restait 3 millions de mines antipersonnel sur les 11 millions posées pendant la guerre. Autre chiffre invérifiable : ces mines auraient fait 12 500 victimes et la presse algérienne rapportait régulièrement des accidents dans les zones des champs de mines. Alors Président de la République en 2007, Nicolas Sarkozy, avait décidé de mettre fin à cette situation en remettant à l’Algérie les plans des champs de mines. Mais tout de suite il s’est retrouvé face à un écueil. Comment remettre ces documents sans risquer de raviver en Algérie cette demande de «repentance» chère aux dirigeants algériens -qui l’instrumentalisent aussi de temps en temps pour masquer leurs propres turpitudes après l’indépendance. De nouveau, une ombre sur des relations diplomatiques entre deux pays risquait de naître à cause des problèmes liés à une frontière. La France a donc judicieusement désigné un militaire pour accomplir cette mission. La réponse à la question de la repentance posée au Président de la République lui-même, à un ministre, à un politique ou même à un diplomate, qui aurait rendu ces précieux documents, aurait été analysée sous toutes les coutures, disséquée et triturée, peut-être même instrumentalisée. En choisissant le chef d’État-major des armées françaises, la réponse était plus simple et inattaquable. En substance, «la repentance est une question politique et les militaires ne s’occupent pas de politique». A l’époque, la presse algérienne et l’opinion publique s’en sont satisfait. La remise de ces plans n’a pas engendré de crise diplomatique, grâce au militaire.
Thierry Noir est Journaliste et enseignant-chercheur au LID2MS (Aix-Marseille Université)

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