Tribune libre d’Alain Cabras – De l’impuissance publique au communautarisme : vers les milices

Publié le 31 décembre 2015 à  10h17 - Dernière mise à  jour le 27 octobre 2022 à  21h31

De Lens à Ajaccio en passant par Béziers, les manifestations citoyennes proches des milices ne sont pas les conséquences du communautarisme mais, de l’impuissance publique qui le nourrit.

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Quel point commun existe-t-il entre la protection symbolique de l’Église de Lens par des musulmans, le vote municipal de Béziers instaurant des milices citoyennes et les manifestations de centaines de Corses après l’agression sauvage de deux pompiers et un policier ? L’impuissance de l’État.
Les marches citoyennes que nous observons sont inédites pour deux raisons qui n’ont rien à voir avec le siècle passé. Elles incarnent d’une part, la condamnation implicite de l’impuissance de l’État souverain et protecteur et, d’autre part, la condamnation explicite, bien ancrée dans le XXIe siècle, de la perte de notre système immunitaire symbolique et culturel.

L’impuissance de l’État

Car, malgré l’émotion, il faut tenter de ne pas se laisser aspirer par les lectures à chaud de l’événement. Ce n’est pas le communautarisme qui se « dévoile » ou s’amplifierait qui entraînerait le morcellement de la société. Le communautarisme n’est que la conséquence d’une cause, qui ne se nomme pas, mais qui est la faiblesse voulue et organisée de l’État depuis une trentaine d’années.
Du moment où le système financier est devenu la logique, le grand ordonnateur du développement d’une société toujours en quête de croissance et de consommation, l’État est donc son dernier obstacle en tant que garant de la cohésion nationale et sociale, désormais jugée passéiste.
Or, affaiblir l’État, c’est attaquer à coup de massue les solidarités organiques et élémentaires de la société française qui s’est bâtie autour lui comme une plante sur son tuteur, depuis l’édit de Villers-Cotterêts à l’avènement de l’État-Providence en passant par la définition de la nation de Renan. En cela aussi, la société française diffère des autres sociétés européennes, ou occidentales, comme le Royaume-Uni ou les États-Unis d’Amérique.
Au moment où cette politique d’affaiblissement de ces valeurs centrales de cohésion -où les valeurs de gauche comme de droite sont mises au tapis avec leur propre complicité- a produit ses effets, la présence de minorités devenues de plus en plus visibles s’est accrue, doublant les angoisses d’une grande partie de la population autochtone. Supposé, fantasmé ou réel, ce sentiment d’insécurité physique s’est mué en réelle insécurité symbolique, culturelle et cultuelle… de tous contre tous.
Dès lors, le « sentiment d’appartenance » à une société protégée disparaît pour se transformer en sentiment d’insécurité à tous les niveaux, à tous les étages et coins de rue. Ces éléments jugés rationnels, palpables et réels ne se vivent plus comme « sentiments », mais comme « éléments » sûrs « d’identification ».
Le citoyen ne se définit plus par sa volonté de vivre ensemble, mais bel et bien par sa hantise de voir sa protection physique et son identité détruites. L’impuissance de l’État accentue cette vision par ces éléments et produit de l’intolérance structurelle. Hobbes est bien de retour dans nos inconscients.
Les Français autochtones, ou issus d’une immigration qui ont réussi leur intégration, refusent de voir disparaître les éléments d’identification préférés de leur vie culturelle et symbolique, tout en acceptant les règles de la mondialisation culturelle.

Perte des repères

Le sentiment d’être pris dans un étau fatal entre la fameuse perte des repères -la fragilisation des bases données par l’Éducation nationale avec la suppression d’heures de cours d’histoire- et l’apparition d’un islamisme assumé au moment des flux considérables de migrants, jettent désormais dans la rue des populations qui ne peuvent plus supporter aucune atteinte au bien public ou qu’elles jugent comme tel.
Il s’agit bien de mouvements de défense pour des préférences collectives, du respect, voire de l’honneur que ces groupes entendent défendre à travers la sécurité des pompiers ou le droit de croire ou de ne pas croire. Ces préférences collectives, du moment où elles ne seront plus défendues par l’État, n’en seront plus du tout à moyen terme. Chaque groupe affirmera, en effet, les siennes au nom de sa conception de l’intérêt général ou de la culture française.
L’impuissance de l’État, et non pas de la République ou de la Nation, développe donc les aigreurs et racismes, les communautarismes et sentiments de revanche, nous éloignant de cette société interculturelle de réciprocité et d’équilibres que le siècle appelle.
C’est donc à deux niveaux que l’État doit intervenir afin de rétablir une puissance bien dégradée. Il doit lutter pour restaurer ses missions sanctuarisées comme l’école et les savoirs, bâtisseurs de l’esprit. Il doit rétablir le sentiment de sécurité culturelle et symbolique en donnant à la culture majoritaire et ancestrale les garanties de sa pérennité et en lui imposant de redevenir attractive pour les minorités sur son sol. Vaste programme, mais c’est notre programme pour ce siècle de grandes métamorphoses.

Alain CABRAS – Dirigeant Odysseus – Cabinet en Intelligence Interculturelle
Chargé d’enseignements à Aix-Marseille Université

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