Tribune libre du socialiste Benoît Payan: « Gaston Defferre ou la loi des séries »

Publié le 10 mai 2016 à  17h33 - Dernière mise à  jour le 28 octobre 2022 à  15h15

Le socialiste Benoît Payan, conseiller départemental des Bouches-du-Rhône et conseiller municipal de Marseille dresse dans sa tribune un portrait sans concession du règne de Gaston Defferre qui, 30 ans après sa mort «marque encore la vie politique marseillaise». La série de Netflix « Marseille » aurait-elle réveillé quelque conscience?

Benoît payan PS conseiller municipal et départemental (Photo Robert Poulain)
Benoît payan PS conseiller municipal et départemental (Photo Robert Poulain)

Alors que Netflix dépeint cette semaine une vision crépusculaire de la politique marseillaise, en ce mois de mai les Marseillais célèbrent les 30 ans de la mort de Gaston Defferre. En réalité il est encore omniprésent dans les mœurs et les pratiques de la classe politique locale qui ne cesse de se référer à lui, de le sanctifier. Mais de qui parle-t-on ? Du héro de la Résistance, du patron de presse, de l’homme d’État père de la décentralisation, du pilier de la SFIO et du socialisme ? Du Maire illustre que les Marseillais appelaient Gaston ? Peut-être surtout du personnage brillant et romanesque…
Pourtant Gaston Defferre, c’est aussi l’artisan du clientélisme le plus outrancier qui mit Marseille en coupe réglée ; où l’ascension sociale à la ville, aux offices HLM ou dans les hôpitaux se faisait par et pour le piston selon la règle très simple des obligés. Cette recherche permanente de la clientèle qui développa une réelle culture de l’intérêt particulier et du culte de l’arrangement, dérivant sur le clientélisme associatif, immobilier, communautariste dont Marseille souffre encore. Gaston Defferre, c’est également cet anti-communiste enragé, qui préféra appauvrir sa ville pour ne pas partager le pouvoir avec sa ceinture rouge. C’est lui qui a choisi de ne reconnaître qu’un seul syndicat, inventa la «cogestion» qui ne symbolise plus vraiment la république sociale et la modernité.
Si Gaston Defferre avait été un visionnaire guidé par l’intérêt général, il aurait encouragé la métropolisation, le partage des richesses et il aurait œuvré pour que Marseille ne soit pas sans cesse en opposition avec le reste du département. A l’inverse, il a scindé Marseille pour la faire correspondre à la seule géographie qui l’intéressait : la carte électorale. Ce bilan plus réaliste, alors que nous accumulons les revers électoraux, doit nous interroger. Si la vitrine de Marseille est reluisante, l’arrière-boutique est très dégradée : pauvreté, endettement, pollution, inégalités. Malheureusement les pratiques politiques n’amorcent pas les changements nécessaires. Tout est fait pour maintenir en place un système qui génère un retard mortifère dans notre développement. Affairismes, passe-droits, absence de vision: force est de constater que la triste réalité concurrence les récentes fictions. Gaston Defferre marque encore la vie politique marseillaise bien au-delà de ses 33 ans de règne. En réalité, ceux qui perpétuent ses pratiques traduisent la thrombose dans laquelle notre ville s’est engluée.
Ici, le clientélisme reste une pratique assumée qui ne choque personne et que l’on érige même en obligation morale, avec toute la condescendance et les dérives que cela suppose. L’électeur peut y être acheté ou trompé, la ville souffre de 40 ans de retard et les hommes sont incapables de se renouveler. Ils ne se voient qu’en rivaux potentiels, repliés sur leurs territoires dans une démonstration de force permanente. Ici on croit que les communautés votent comme un seul homme et qu’en «tenant» deux ou trois associations, on tient un quartier. Ici la fracture sociale est une composante de l’offre politique dans un système qui au final favorise l’abstention pour que «rien ne change». Ici, la médiocratie et l’immobilisme sont érigés en art de gouvernance et peu importe l’impatience, la désespérance, ou le dégoût d’une partie croissante de la population. Socialiste et Marseillais, n’étant pas de cette génération, je suis convaincu qu’au-delà des symboles, dont la gauche est si friande en ces temps de disette électorale, nous devons tourner la page du Defferrisme.
Au fur et à mesure que nous constatons que rien ne change, nous sommes de plus en plus nombreux à ne plus accepter cette vision passéiste de la politique. Si je garde dans la tête et dans le cœur Gaston Defferre pour tout ce qu’il a fait pour notre pays et mon parti, je ne peux pas me revendiquer de ses pratiques politiques d’un autre temps dans lesquelles je ne reconnais pas mes engagements.
Non, le defferrisme n’est pas mort, du moins pas encore.

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