Tribune littéraire d’Eric Delbecque. La bénévolence contre le syndrome black bloc : un petit traité de résistance signé Patrick Tudoret

Publié le 15 avril 2019 à  7h38 - Dernière mise à  jour le 4 novembre 2022 à  12h47

La période que nous vivons flatte les radicalités politiques. Depuis quelques mois, des black blocs aux évidentes passions antidémocratiques hantent nos rues en déployant les drapeaux trompeurs de l’anarchie, bannières de la violence indifférente à ses méfaits. Le livre de Patrick Tudoret y fait écho inversé en intention : son Petit traité de bénévolence (Tallandier) incarne l’exact contraire ce que la folie contemporaine nous propose en excès ; il offre le rêve du discernement, de la mesure et de la générosité.

© Eric Delbecque
© Eric Delbecque

L’inestimable Patrick appartient au camp des auteurs et des personnalités camusiens, c’est-à-dire qu’il honore la volonté qui n’oublie pas notre humanité. Son texte est un appel à nous souvenir de la puissance de l’alliance des hommes de bonne volonté. La formule semble désuète à beaucoup, elle s’affirme pourtant d’une actualité indiscutable.

Il va de soi que la bénévolence qu’il prône n’a absolument aucune parenté avec la tolérance de contrebande qui signifie davantage indifférence aux autres et au monde. L’infinie complaisance que l’on masque derrière ce terme déplaît souverainement à l’auteur de ce stimulant bréviaire. Tout est ramassé clairement dans ces quelques phrases : « Je préférerai toujours l’amour qui agit et soulève des montagnes, souvent en toute discrétion – oui, décidément, le mot « amour »écorcherait-il la bouche dans ce monde si épris de lui-même, si narcissique, si peu accessible à la considération de l’autre ? –, à une « solidarité » qui s’affiche et se contente souvent de cela, à une bienveillance vidée de toute substance par une lente et inexorable perversion de la langue.»

L’analyse de Patrick Tudoret tourne finalement autour du constat de la perversion des mots, et des idées ou sentiments qu’ils expriment. Alors qu’ils constituent en théorie autant de remparts contre la brutalité et le chaos, ils redoublent aujourd’hui la violence du réel car ils sont dénaturés à chaque instant. La novlangue dénoncée par Orwell n’est pas loin.

En lisant Patrick Tudoret et en cherchant à me faire l’avocat du diable pour ne pas céder trop facilement à mon adhésion naturelle pour sa courbure d’esprit, je ne trouve pourtant rien à ajouter ou retrancher à ce qui organise l’ensemble de son propos : «En opposition à l’affadissement sémantique qu’a pu subir le mot « bienveillance », la bénévolence est donc une disposition toute particulière à vouloir le bien d’autrui avec la volonté de l’aider à être heureux, mais aussi de se rendre heureux, de grandir à travers lui. (…) Le tout considéré dans la perspective de la volonté et de l’action. C’est pourquoi l’aspiration verticale est une grande ressource dans cette quête qui se donne pour première ambition d’accéder à la station debout, à l’indispensable dignité humaine.»

Finalement, il exhorte à la générosité de l’âme… Point par point, l’auteur du Petit traité de bénévolence nous fait sentir pourquoi ces temps nous glacent au plus profond du cœur et de la raison. La société du spectacle, de la rumeur et du lynchage (cf. les réseaux sociaux) donne un avant-goût de régime totalitaire où la surveillance de tous contre tous s’accompagne de la haine la plus décomplexée. Nous vivons déjà dans ce climat. Ce livre nous tire par la manche pour nous rappeler élégamment qu’un autre monde est possible…
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Eric Delbecque est l’auteur de « Les ingouvernables : de l’extrême gauche utopiste à l’ultragauche violente. Plongée dans une France méconnue » chez Grasset.

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