Tribune littéraire d’Eric Delbecque – « Un défi de civilisation » : Jean-Pierre Chevènement ou la stratégie du récit national…

Publié le 29 janvier 2017 à  20h25 - Dernière mise à  jour le 28 octobre 2022 à  15h50

Les convictions de Jean-Pierre Chevènement ne varient pas, et témoignent d’une réflexion approfondie sur l’évolution du monde et de notre nation. Insensible aux modes, le «Che» raisonne sur le long terme et replace toujours le présent de l’Hexagone dans une perspective historique. Son dernier ouvrage, Un défi de civilisation (Fayard), n’échappe pas à la règle.

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L’ancien ministre n’hésite pas à exposer l’essentiel en évitant tous les détours : la France ne sait plus qui elle est ni où elle va. Aucun projet de puissance n’anime notre pays, qui ne trouve donc pas les chemins d’une stratégie appropriée. Il développe méthodiquement l’explication de toutes les impasses dans lesquelles nos responsables politiques successifs nous ont laissés nous enfoncer : à commencer par une mondialisation sauvage, sans finalité humaine.

Décrivant les bouleversements qui métamorphosèrent la vie des affaires depuis presque trente ans, il note en particulier la multiplication des acteurs privés sur l’échiquier géoéconomique planétaire. Il en dérive une plus grande difficulté d’action pour les États, ces derniers ayant de surcroît beaucoup à faire pour élaborer des parades à l’affaissement de leur influence dans un monde ouvert, où les frontières se révèlent un peu plus poreuses chaque jour. Le déploiement incontrôlable du capitalisme financier et la numérisation de nos sociétés cumulent leurs effets pour rendre inopérantes les instruments traditionnels de la souveraineté.

Jean-Pierre Chevènement traite également les grandes questions de politique étrangère, regrettant fortement le bilan désastreux de l’Élysée avec la Russie de Vladimir Poutine. L’auteur comprend aussi parfaitement la logique du djihadisme réticulaire; il restitue à la problématique du combat contre le terrorisme islamiste toute la complexité d’analyse nécessaire. Il sait en particulier manier les débats spécialisés sur le sujet. Il en fournit un exemple intéressant en affirmant la complémentarité des thèses d’Olivier Roy et de Gilles Kepel, le premier évoquant «l’islamisation de la radicalité», et le second «la radicalisation de l’islam». Sans négliger le contexte géopolitique qui mena à cette poussée de l’intégrisme au sein de la communauté musulmane à l’échelle mondiale, il n’oublie pas pour autant de considérer les déséquilibres sociétaux qui favorisèrent l’adhésion des individus en panne identitaire à un message simplificateur et finalement criminel.

Ce qui s’affirme au bout du compte à chaque page du texte de cet homme politique si singulier dans le paysage partisan français, c’est l’ambition de poursuivre le récit national. Il ne s’enferme jamais dans l’héritage de la Grande Nation (dont il est pourtant fin connaisseur et un admirateur fasciné) mais s’interroge sur les conditions de survie et de développement de la République française, de son modèle original de conception de la Cité, aux particularités fortes (laïcité, centralité de l’État, etc.), afin que notre pays ne soit pas emporté par le modèle anglo-saxon de la démocratie libérale.

On aimerait que tous les politiciens qui battent aujourd’hui les estrades fassent preuve de la même indifférence au politiquement correct et à l’idéologie du temps, pour revenir à la méditation sur l’Histoire et sur le sens du devoir de qui prétend diriger.

Eric DELBECQUE, Président de l’ACSE, coauteur avec Christian Harbulot de : L’impuissance française : une idéologie ? (Uppr)
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