Publié le 29 août 2018 à 17h39 - Dernière mise à jour le 28 octobre 2022 à 18h57
Voilà cinq ans maintenant que l’université Pasquale Paoli, sise à Corte, a lancé Fabbrica Design. L’idée : organiser une résidence d’artistes-designers visant l’exploitation d’une matière sensible à l’île de beauté, chaque année différente. Bois, liège, terre… ou laine, comme en 2018, elles se prêtent à la fabrication d’objets innovants. L’enjeu : revitaliser des filières souvent en voie de disparition.
C’est reparti pour un cinquième opus. Un nouvel appel à projet international estampillé Fabbrica Design, résidence d’artistes-designers, a été lancé en juillet. Initié au sein de l’université Pasquale Paoli, à Corte, par la fondation de l’université de Corse, il invite les professionnels à revisiter une matière sensible à l’île en question, à renouveler le regard sur cette dernière, bref, à l’exploiter différemment afin de créer des produits innovants. « Il s’agit d’interroger le territoire, l’identité et la singularité du patrimoine culturel corse, d’explorer toutes les potentialités économiques sur le matériau donné. La première édition était consacrée au bois, puis ont suivi le liège, la terre, la laine… En 2019, on se focalisera sur la pierre», détaille Graziella Luisi, présidente de la fondation. Le ou les candidats sélectionnés (sur plus d’une trentaine à candidater chaque année) reçoivent une bourse et s’installent ainsi à Corte afin de donner vie à leurs projets, de janvier à mai… L’enjeu sous-tendu derrière l’initiative, on le comprend : revitaliser des filières en voie de disparition, quand elles n’ont pas tout simplement été gommées de la palette des savoir-faire corses. L’intérêt de la chose, il est donc non seulement économique, mais aussi culturel et patrimonial. Ainsi en est-il de la thématique du dernier appel à projet en date. «Il ne reste à ce jour qu’une seule exploitation de pierres en Corse, qu’une seule carrière, dont la matière produite sert à recouvrir les piscines de façon traditionnelle », dépeint encore Graziella Luisi. Les candidatures pour cette nouvelle édition se clôtureront ainsi en octobre prochain, pour une résidence mise en place début 2019.
Entre les ateliers et le fablab
Au final, les prototypes conçus à Corte flirtent entre tradition et modernité… «On a eu à chaque fois de belles découvertes. Sur la terre par exemple, la designer sélectionnée, Pauline Avrillon, a travaillé sur la terre cuite, la terre crue… Son idée, c’était de proposer des briques pour de l’habitat». Ce en changeant la dynamique des assemblages, puisque les briques ont revêtu plusieurs formes : parallélépipèdes, rectangles, triangles, hexagones… Elle a également créé des briques allégées avec de la sciure de bois, procédé à d’autres mélanges de matière : cire d’abeille, paraffine… ce en imaginant aussi une gamme de couleurs. Au préalable, «il a fallu comprendre la géologie de la Corse, rencontrer des professionnels et se prêter à tout un jeu de pistes pour retrouver les filons d’argile. Puis s’en est suivi un travail de préparation des terres, pour mieux comprendre la matière», explique Pauline Avrillon dans le documentaire qui lui est dédié. Ainsi la dimension innovante est toujours présente dans les projets, notamment grâce à l’hybridation d’autres matériaux. «Les designers mixent aussi les pratiques artisanales et celles relevant de l’utilisation d’outils numériques, puisqu’ils œuvrent dans le Fablab de l’université de Corte », reprend Graziella Luisi. Brodeuse numérique, imprimantes 3D, découpe laser ou fraiseuse sont donc à la disposition des sélectionnés.
La laine pour 2018
La brodeuse numérique, elle a justement été mise à contribution lors de l’édition 2018 de Fabbrica Design, ciblée sur la laine corse. Là encore, il s’agissait de redonner vie à une filière aujourd’hui disparue. «La dernière structure corse exploitant cette matière a stoppé son activité cette année, alors même que les jeunes designers sélectionnés œuvraient à redonner un coup de modernité à la filière… » On appelle ça l’ironie du sort. Jusqu’ici, 500 kg de laine étaient donc transformés sur les 90 tonnes produits, ce reste brulé faute d’utilisation. Filée, elle entrait dans la composition de matériaux d’ameublement et de confort, tels les tapis, les tentures murales… Une filière de revalorisation totalement à reconstruire, donc. C’est justement ce qui a attiré les deux designers retenus, Pauline Bailay, spécialisée textile et Hugo Poirier, plutôt orienté produit. «Particulièrement sensibles aux grands principes de la décroissance (Relocaliser, Revaloriser, Réévaluer, Recycler, Réutiliser, Réduire, Restructurer, Redistribuer), et persuadés qu’en cette période charnière, le designer a un rôle important à jouer, nous souhaitons mettre nos connaissances en pratique au service de projets respectueux de l’humain et de la nature, durables et équitables. C’est pourquoi la possibilité offerte par cette résidence de développer un projet à une échelle locale, de pouvoir travailler et dialoguer avec des artisans, ainsi que l’opportunité de proposer un atelier pour partager avec des étudiants des techniques et des découvertes nous motivent plus que tout », expliquent-ils. L’idée étant notamment la mise en place d’autres circuits économiques faisant intervenir tisserands ou cordonniers. Côté textile, ils se sont d’abord focalisés sur la laine feutrée. «Il faut savoir que la laine corse est rêche (elle provient de races laitières de brebis, on la qualifie de laine jarreuse méditerranéenne, en d’autres termes c’est une laine à poils, NDLR). Si elle est filée, on peut donc supposer qu’elle pique. Mais si elle est feutrée, cela change les sensations au contact de la matière. Pauline et Hugo, tous deux sortis de l’école Boulle, puis de l’ENSCI, ont réalisé des chaussures en laine feutrée, des pochettes pour tablettes et smartphones mais, ont aussi exploité la laine filée pour concevoir des objets ayant trait à l’univers domestique, tapis, parois isolantes, paravents, sols, rideaux… Ils ont travaillé avec des métiers à tisser, des brodeuses numériques, exploité la technologie de l’impression 3D pour produire des filaments de plastique et hybrider la laine», développe encore Graziella Luisi.
Bientôt, le label
Bref, de nouvelles productions à mettre en exergue. C’est justement la volonté de la fondation, qui planche depuis plusieurs mois sur la sécurisation juridique d’une marque déposée par l’Université de Corse. Le but : obtenir la création d’un label «Fabbrica Design», gage de la qualité et du caractère innovant des produits conçus dans les murs de la résidence d’artistes. «Notre ambition est de pouvoir nous approprier les matériaux disponibles sur le territoire insulaire pour leur donner une vraie valeur ajoutée, fait savoir Jean-Joseph Albertini, porteur du projet Fabbrica Design. Car la ressource existe et il nous appartient de la valoriser pour lui donner une utilité sociale et, par la suite, économique». Même s’il faudra attendre encore un peu pour mesurer les retombées des différents business amorcés. «Cela nécessite du temps, de relancer une filière», observe Graziella Luisi. Mais à Corte, on a choisi de se l’accorder. La diversification économique de l’île de Beauté est à ce prix.
Carole PAYRAU
Pour télécharger l’appel à candidatures édition 2019 de Fabbrica Design ICI