AmyPore, la biotech qui veut couper l’herbe sous le pied des maladies d’Alzheimer et de Parkinson

Publié le 26 décembre 2018 à  22h42 - Dernière mise à  jour le 28 octobre 2022 à  20h43

Pores amyloïdes versus plaques : c’est en gagnant ce bras de fer intellectuel et scientifique que l’entreprise AmyPore, créée cette année en se basant sur les recherches de Nouara Yahi et de Jacques Fantini, pourra faire valoir sa solution. Et celle-ci semble prometteuse, puisqu’elle permettrait de se prémunir à la fois des maladies d’Alzheimer et de Parkinson.

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Photo Amypore.com
Photo Amypore.com
Ils proposent une piste alternative pour cibler la cause de maladies neuro-dégénératives type Alzheimer ou Parkinson… mais aussi un moyen de s’en prémunir. Et c’est peu dire qu’en cela, Nouara Yahi et Jacques Fantini, tous deux enseignants chercheurs en biologie moléculaire comptant chacun près de 30 ans d’expérience, nagent à contre-courant de théories scientifiques communément admises. Mais pour le comprendre, il faut revenir à la genèse de cette aventure… Elle prend vie en effet grâce à une intuition, celle de Nouara Yahi, laquelle a mis à profit ses précédents travaux de recherche… puisqu’elle a fait partie de l’équipe ayant œuvré sur le VIH dès 1988. «A l’époque, on ne savait rien de ce virus. Nous avons fini par comprendre au niveau moléculaire comment il interagissait avec les cellules, en mettant en valeur l’importance des lipides dans cette interaction». Se spécialisant, elle obtient de fait un poste de maître de conférences à la faculté de Saint-Jérôme, rejoignant par ailleurs l’équipe de Jacques Fantini sur les toxines au sens large. «J’ai commencé parallèlement à manifester de l’intérêt pour les neurosciences, et j’ai vu qu’il n’y avait pas 56 manières d’interagir pour une cellule. Tout part de la membrane, qui comprend ce que l’on pourrait appeler un « code barre », à savoir des lipides nommés gangliosides». Se focalisant sur les maladies du XXe siècle, telles Alzheimer ou Parkinson, elle met en valeur le fait que les protéines se comportent comme des toxines. Et même si la famille des gangliosides est très vaste, Nouara Yahi a l’intuition que les interactions doivent être les mêmes.

Quand la théorie des plaques prend du plomb dans l’aile

C’est donc le point de départ d’un projet très ambitieux… sans forcément garantie de succès. Les deux chercheurs commencent à deux, avant d’avoir suffisamment d’éléments pour confier un travail de thèse. «Nous avons pris le virage des neurosciences dans les années 2000 et nous avons commencé à chercher des mécanismes communs, à définir quelle était l’origine de la neurotoxicité des protéines de la maladie d’Alzheimer, de Parkinson… » C’est là que les choses se corsent. Car il faut savoir qu’en la matière, les vérités scientifiques communément admises reposent sur «une erreur mondiale», poursuit Jacques Fantini. «Dans les années 90, des chercheurs ont avancé une théorie : cette neurotoxicité serait due à des protéines qui s’agrègent entre elles, formant ainsi des plaques, facilement détectables par imagerie médicale. Donc en termes de prise en charge du patient, il suffit de lui faire passer un examen d’imagerie, et de voir s’il y a des plaques ou pas»… Sauf que là où la fameuse théorie prend du plomb dans l’aile, c’est lorsqu’un chercheur du nom de David Snowdon a l’idée de convaincre les religieuses d’un couvent du Minnesota de passer des tests cognitifs tous les six mois. A la mort de celles-ci, elles devaient léguer leur cerveau pour la recherche. «Snowdon s’attendait à pouvoir corroborer cette idée selon laquelle plus il y avait de plaques, plus il y avait à la base une déficience cognitive importante». Mais une centenaire du nom de Sœur Mary, est venue sans le vouloir tordre le cou à la théorie des plaques. «Elle se prévalait en effet des meilleurs tests cognitifs, mais comptait aussi, à la grande surprise du chercheur, le plus grand nombre de plaques de protéines… Ces dernières ne seraient donc pas corrélées à la maladie d’Alzheimer ». Pour autant, le feu vert est bien lancé pour de premiers essais en immunothérapie. L’idée étant de créer des anticorps à même de détruire ces plaques, sachant qu’il faudra auparavant se servir d’ultrasons pour forcer l’ouverture de la barrière hémato-encéphalique et leur permettre d’entrer… «Mais cette thérapie va tuer des patients tests. En 2010, au moment où l’on disait d’arrêter de cibler les plaques, on a dénombré neuf décès thérapeutiques», poursuit Jacques Fantini. S’impose ainsi de rechercher d’autres mécanismes à l’origine de la maladie d’Alzheimer…

Un spray nasal anti Alzheimer et Parkinson

C’est ce que fait donc l’équipe de chercheurs : elle découvre que les protéines ne font pas que s’agréger entre elles. Elles se fixent aussi à la membrane des cellules et basculent sous les gangliosides. «Lorsqu’elles sont plusieurs à basculer, elles se reconnaissent, s’assemblent et forment un donut, autrement dit un trou dans la membrane. Et il va laisser passer le calcium, grand régulateur des synapses, de façon continue», décrit encore Jacques Fantini. C’est donc cette overdose de calcium qui serait néfaste… L’équipe se focalise sur ce trou, appelé «pore amyloïde» ou encore «oligomère», avec l’objectif d’empêcher sa formation, ce en bloquant l’interaction initiale. «Nous avons fait appel à l’intelligence humaine, mais aussi à l’IA. Simulation, modélisation moléculaire… Nous avons trouvé chez chaque protéine la petite partie qui est dédiée à l’interaction avec le ganglioside. L’idée, c’est donc de découper cette partie et de s’en servir comme leurre. Nous avons créé à partir des protéines des maladies d’Alzheimer et de Parkinson un passe-partout moléculaire capable de se fixer sur tous les gangliosides. Il va donc empêcher les protéines responsables de la maladie de le faire, puisque la place sera prise». Et ce passe-partout, un peptide composé de douze acides aminés nommé AmyP53, est «peu cher, facile à synthétiser et donc à produire. Il présente des propriétés stables, franchit la barrière hémato-encéphalique sans la dégrader. Il marche sur les maladies d’Alzheimer et de Parkinson à des concentrations très faibles, il n’est pas neurotoxique… Nous l’avons vérifié en dosant 27 facteurs médiateurs de l’inflammation, et notre peptide n’a entraîné aucune modification au niveau de ces facteurs, ce qui montre qu’il n’a aucun effet pro-inflammatoire», détaille Jacques Fantini, précisant qu’en termes de formulation, «un spray nasal à utiliser trois fois par jour serait idéal».

Une route encore longue

Les travaux des deux chercheurs font l’objet de plusieurs parutions dans des journaux scientifiques [[De façon non exhaustive:
-2002 : The Journal of Biological Chemistry (USA)
-2006 : Biochemistry (USA)
-2010 : Expert Reviews in Molecular Medicine (UK)
-2011 : Journal of Molecular Biology (USA)
-2013 : ACS Chemical Neuroscience (USA)
-2014 : Biochemistry (USA)
-2014 : PLOS One (USA)
-2016 : Biochimica et Biophysica Acta (BBA) – Molecular Basis of Disease (USA)
-2016 : Scientific Reports (UK)
A noter aussi 3 publications prestigieuses (1991, 1993 et 1995) dans PNAS
(Académie des Sciences Américaine) ratifiées par deux Prix Nobel (Bruce Merrifield
et Stanley Prusiner) et un Prix Lasker (Robert Gallo)]], un brevet a été déposé en 2014… Toutefois la route est encore longue et semée d’obstacles. «Nous avions lancé un projet de maturation avec la SATT Sud-Est, mais il a été jugé que nous avions trop d’avance. Le monde scientifique est encore marqué par l’approche des plaques !» faut dire que le projet présente une double disruption : par rapport à la théorie des plaques, mais aussi du fait que ce passe-partout puisse à la fois couper l’herbe sous le pied des maladies d’Alzheimer et de Parkinson. « Grâce à la SATT, nous avons eu des contacts avec des industriels, mais ces derniers sont restés circonspects ». Nouara Yahi et Jacques Fantini ont donc utilisé la possibilité des enseignants chercheurs de racheter la propriété intellectuelle de l’établissement de tutelle en janvier 2018, grâce à la loi Allègre. Une biotech, AmyPore, a vu le jour peu après, bénéficiant de l’exploitation exclusive de l’invention via une licence de 15 ans. Avec à son bord, un comité éthique et scientifique composé de la chercheuse Coralie Di Scala et du maître de conférences Henri Chahinian. On pourrait ainsi se réjouir face aux propriétés de ce peptide qui, semble-t-il, pourrait prévenir à la fois les maladies de Parkinson et d’Alzheimer, alors même qu’elles connaissent «des situations d’urgence thérapeutique», rappelle Nouara Yahi. Le souci, c’est que l’équipe d’Amypore se heurte encore à une certaine inertie, non seulement intellectuelle, mais aussi économique. Malgré les décès thérapeutiques liés aux essais d’immunothérapie, le traitement des plaques demeure la piste privilégiée par certaines Big Pharma, et elles investissent gros sur les combinaisons d’anticorps… Par ailleurs, cette théorie demeure encore largement enseignée en faculté. Pas plus tard que la semaine dernière, notre confrère The Conversation publiait encore un article largement favorable à cette théorie, écrit par une chercheuse de l’Inra. Une situation d’autant plus ubuesque qu’à ce jour, «près de 4 000 publications scientifiques confirment aujourd’hui le rôle des pores amyloïdes dans le développement de ces pathologies neurodégénératives, dont la moitié parues l’année dernière. Le mouvement s’accélère donc », observe Nouara Yahi. Très peu de cas ne sont finalement qu’un atteinte Alzheimer «pure», c’est pour cela que l’on parle de plus en plus de «thérapie combinée». Cela tombe bien, la solution d’AmyPore traite aussi Parkinson. Malgré tout, «se propage l’histoire que l’on est encore trop précoce dans nos travaux», reprend Jacques Fantini. Pour autant, des brevets ont été déposés, non seulement sur la cause de ces maladies, mais aussi sur la solution élaborée, ce en Europe, aux USA, au Canada et au Japon.

Fuite des cerveaux ?

Des tests sur des modèles intégrés chez l’animal (tranches de cerveau dans la région de l’hippocampe) ont également été effectués avec des résultats 100% concluants… L’équipe d’AmyPore entend ainsi passer aux essais de phase 1/2/3 chez l’homme au plus tôt. «Si nous étions aux États-Unis, ce serait déjà le cas. Qu’on nous donne les moyens de corroborer ce que l’on avance ! D’autant que les autorités américaines (FDA) viennent de décréter que toute solution prometteuse pour Alzheimer se verrait bénéficier d’un processus super accéléré de validation, car l’enjeu est colossal», s’exclame Jacques Fantini. De fait, si rien ne se passe, AmyPore n’exclut pas de s’implanter dans un pays plus favorable au développement de cette découverte dès 2019. Et si les futurs tests vont dans le sens des premiers et prouvent une fois de plus qu’il faut bien s’attaquer aux pores amyloïdes… la France ratera-t-elle le coche ?
Carole PAYRAU

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