Doha et Marseille, itinérance civilisationnelle ! par Pierre Distinguin

Publié le 19 novembre 2018 à  10h39 - Dernière mise à  jour le 28 octobre 2022 à  19h10

A priori tout les opposent, une ville Doha qui s’est construite sur un sol meuble au milieu du désert, une autre Marseille fondée sur un rocher en bordure de Méditerranée. Une ville État d’un côté qui s’est développée à la fin du 20e siècle grâce à la richesse de ses hydrocarbures (gaz liquide notamment), une cité bimillénaire de l’autre, réputée pour sa générosité et son empathie envers tous les peuples du monde. La première est riche par son sous sol quand la seconde l’est par son capital humain. Pourquoi est il cependant aussi tentant de forcer la comparaison ?

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©Pierre Distinguin
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Les premiers fondateurs de cette petite parcelle de terre désertique étaient des bédouins, des nomades caravaniers qui commerçaient les épices, les ovins et parfois les bijoux, comme les premiers Grecs qui vinrent à Marseille pour sa place de marché terrestre et maritime.

Ce point de départ étant dépeint, la suite du chaînage n’est lisible et compréhensible qu’à l’aune d’un changement de paradigme géo stratégique faisant de Doha et de Marseille deux villes pivots pour le futur de la Méditerranée. Quand bien même ces deux villes ne partagent pas la même façade maritime, elles sont en capacité d’influencer paradoxalement la destinée de la région la plus bouillante et brouillonne au monde : le bassin méditerranéen. A chacun son instrument d’influence, Doha joue la diplomatie quand Marseille promeut ses retours d’expérience de terrain, Doha influence quand Marseille démontre, Doha interpelle les pays quand Marseille interface avec les communautés.

Un si petit pays, le Qatar, dont la tête est mise a prix par de si grands pays l’Arabie Saoudite et, dans une moindre mesure les États-Unis, ne pas se plier au joug d’une seule puissance est son credo. Une métropole, Marseille, trop paisible et si silencieuse qu’on lui reprocherait presque de ne pas s’engager davantage sur certaine questions sensibles, les flux migratoires, l’euro-méditerranée, le populisme, les inégalités, etc. Faire semblant de tenir tête à Paris est son combat de toujours !

Marseille aurait tout à gagner à pousser des liens plus étroits avec les villes phares comme Istanbul, Téhéran ou Moscou, en dépit des déclinaisons prudentielles de bon ton émises par la diplomatie française. Ce n’est pas un hasard si ces trois capitales sont aussi les alliées de Doha dans sa résistance à l’Arabie Saoudite du prince héritier Ben Salman. En se rapprochant de Doha, Marseille pourrait ainsi peser davantage sur les enjeux en Méditerranée car, Doha est dépositaire d’une vision et d’une volonté exceptionnelle pour résoudre un grand nombre de foyers de tension dans la région. En devenant au fil du temps «la Suisse moyenne orientale» jouissant d’une neutralité accommodante et d’une bienveillance internationale, Doha est une pièce maîtresse au Moyen Orient, qu’avait d’ailleurs bien détectée en son temps, Nicolas Sarkozy.

Le petit émirat déplie depuis bientôt une décennie son projet hors norme baptisé Vision 2030, une feuille de route déclinant les quatre angles de sa stratégie de développement humain, économique, social et environnemental, une rupture majeure pour une région aveuglée par les pétrodollars et les dépenses sans compter. On comprend pourquoi l’Arabie Saoudite enrage de ne pas avoir été visionnaire plus tôt que son voisin, mais alors cherchant une issue de sortie par le haut, elle fait aujourd’hui un copier-coller du projet Qatari misant quelques dollars de plus, leadership oblige, obligeant les Émirats Arabes Unis a rallier son camp, pas mécontent de couper la vélocité du petit voisin rebelle.

Mue par une architecture intellectuelle plus aboutie, le projet 2030 Qatari est véritablement plus structurant que le fac-similé Saoudien, stabilisé par des fondations multipolaires et poly séculiers. En adhérant à la francophonie en 2012, Doha a eu le nez creux de s’ériger en promoteur d’une culture courtisée dans le monde, n’en déplaise à Ben Salman qui tentera lui aussi en vain en octobre 2018, de faire entrer son royaume dans cette communauté de valeurs. Si la proximité des voisins algériens, tunisiens et marocains sied naturellement aux intérêts d’usage de la métropole marseillaise, il serait productif de faire avec Doha un petit bout de chemin ensemble, après tout, les bédouins comme les marins sont deux communautés ancestrales qui se déplacent lentement mais sûrement, repérant le Nord et se fiant à la bonne étoile, privilégiant chacun la civilisation à la barbarie.

Pierre Distinguin, chroniqueur Destimed, est expert en Attractivité

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