« Rigoletto » à l’Opéra de Marseille : les voix, pas les larmes

Publié le 3 juin 2019 à  11h08 - Dernière mise à  jour le 29 octobre 2022 à  11h46

Ultime scène de l’œuvre, Gilda, Jessica Nuccio, agonisant dans les bras de son père, Rigoletto, Nicola Alaino. (Photo Christian Dresse)
Ultime scène de l’œuvre, Gilda, Jessica Nuccio, agonisant dans les bras de son père, Rigoletto, Nicola Alaino. (Photo Christian Dresse)

C’est l’une des œuvres de Verdi qui doit tirer les larmes. Rigoletto, -le cynique bouffon, veuf, bossu et maudit qui voit sa fille chérie, son seul trésor, déshonorée par le Duc de Mantoue puis, se sacrifier, par amour, pour être assassinée en lieu et place de ce dernier par une nuit d’orage-, est un rôle fort, nécessitant la voix et le jeu pour générer l’indispensable émotion qui transforme cette œuvre en chef-d’œuvre. De Tito Gobbi à Leo Nucci, en passant par Fischer-Dieskau ou Cappuccilli, tous les barytons qui s’y sont collés ont, chacun à leur manière, conféré à ce rôle une dimension émotionnelle souvent hors du commun. A commencer par Leo Nucci qui, à plus de 70 ans, faisait frissonner les salles en entrant sur scène, rage au ventre et larmes aux yeux, au deuxième acte, pour livrer «Cortigiani, vil razza dannata »… Ou pleurer, au final, sa Gilda moribonde engoncée dans un sac de jute en forme de linceul. Des moments ancrés dans les mémoires de ceux qui les ont vécus et dont il est difficile de faire abstraction à l’heure d’aller entendre une «énième» version de cet opéra. A Marseille, où l’on aime particulièrement Verdi, il ne restait plus une place de libre, samedi soir, pour la première des cinq représentations programmées sur la scène lyrique à deux pas du Vieux-Port. Dans le rôle-titre, c’était une première dans la carrière de Nicola Alaimo; on attendait beaucoup de la prestation d’un artiste au physique imposant, à la voix large, qui est en mesure d’incarner idéalement le bouffon. Samedi soir, le baryton a fait valoir son organe vocal, ligne de chant solide et franche, puissance et diction impeccable, en laissant un peu de côté son jeu d’acteur. Une prise de rôle n’étant jamais anodine, on peut penser de Nicola Alaino a privilégié son chant. A sa décharge, du fait de l’unique décor constitué d’une monumentale marotte de bouffon, la place était réduite, sur scène, ce qui ne favorisait pas les déplacements. Charles Roubaud, metteur en scène de cette production créée aux Chorégies, il y a quelques années, tenait à conserver un symbole puissant tout en resserrant l’action pour lui conférer une intimité qui n’était pas de mise devant le mur du théâtre antique d’Orange. Dès lors, on aurait pu penser que l’émotion serait mise en avant; il n’en fut rien, ou presque. Nous n’eûmes pas les larmes, mais nous avons profité des voix; de presque toutes les voix. A commencer par celle de Jessica Nuccio, délicate Gilda, soprano souple et maîtrisée, qui, elle, a su donner une dimension sensible, humaine et fragilement naïve à son personnage. Appréciée, aussi, la mezzo Annunziata Vestri, voix sombre, profonde et puissante, non dénuée de nuances, incarnant une sensuelle Maddalena avec une belle présence qui nous fit regretter que Verdi n’ait pas développé un peu plus le personnage ! A leurs côtés, Cécile Galois, Giovanna cupide, Laurence Janot, sculpturale comtesse Ceprano et Caroline Gea, espiègle page/soubrette, nous ont ravi tout comme les comprimari masculin, Anas Séguin, Marullo, Christophe Berry, Matteo Borsa, Jean-Marie Delpas en Comte Ceprano préférant tenir son chien dans ses bras plutôt que la chandelle alors que sa comtesse d’épouse se fait lutiner par le Duc, et Arnaud Delmotte, l’officier. Du côté des rôles principaux, la Palme, de circonstance en cette période de l’année, ira à Enea Scala qui campe un Duc de Mantoue odieusement exceptionnel. Quelle voix, quel timbre, quelle aisance et quelle ligne de chant aussi tranchante qu’une lame de rasoir. Une grande prestation du ténor, ovationné par un public conquis dont il devient, prestation après prestation, le chouchou. Apprécié, aussi, le sombre Sparafucile d’Alexey Tikhomirov alors que le Monterone de Julien Véronèse nous a semblé bien en retrait au moment de lancer sa malédiction. Comme à l’habitude, le chœur n’a pas hésité à s’investir dans cette production, vocalement et scéniquement, et, sous la baguette intelligente de Roberto Rizzi-Brignoli, évoluant dans un répertoire qu’il maîtrise parfaitement, l’orchestre de l’Opéra a rappelé, mais en était-il besoin, qu’il affectionne tout particulièrement la musique de Verdi. Pleurera-t-on à la détresse de Rigoletto ? Il vous reste quatre représentations pour essayer d’aller le constater. Mais, qu’on se le dise, les places seront chères…
Michel EGEA

Pratique. « Rigoletto » de Guiseppe Verdi. Autres représentations les 4, 6 et 11 juin à 20 heures, le dimanche 9 juin à 14h30. Location à l’Opéra. Tél: 04 91 55 11 10 / 04 91 55 20 43 – Plus d’info: opera.marseille.fr

Articles similaires

Aller au contenu principal