Il y a cinquante ans. L’affaire Gabrielle Russier : mourir d’aimer

Publié le 1 septembre 2019 à  8h32 - Dernière mise à  jour le 1 décembre 2022 à  12h38

La professeur de français de Marseille, à 32 ans, était tombée amoureuse de l’un de ses élèves, âgé de 17 ans. Incarcérée huit semaines pour « détournement de mineur », elle s’est suicidée à la rentrée scolaire.

Le 1er septembre 1969, une nouvelle tombe : «Gabrielle Russier, le professeur condamné pour détournement de mineur, s’est suicidée.» Le soir, pas un titre dans les deux journaux télévisés. Le lendemain, à peine deux brèves pour raconter le décès de la prof de français de Marseille amoureuse de son élève. Avant qu’André Cayatte n’écrive un film – 4,5 millions d’entrées – et Charles Aznavour la bande originale de Mourir d’aimer, en 1971, la love story née entre les barricades et les embrassades de Mai-68 a d’abord dérangé la société française.

Elle est d’éducation protestante, séparée de son mari elle élève ses deux enfants à Marseille, dans une tour qui domine l’autoroute. Ses enthousiasmes littéraires enchantent les élèves de seconde du lycée « Nord » – le futur lycée Saint-Exupéry. En 1969, l’opprobre s’abat sur les deux jeunes amants. Les parents de Christian, les Rossi, compagnons de route des communistes et professeurs de littérature française et de linguistique à la fac d’Aix-en-Provence, posent un œil compréhensif sur ceux qui, comme Christian, vont courir les rues. Ils ne trouvent rien à redire lorsque Gabrielle, leur ancienne étudiante, passe chercher l’aîné de leurs quatre enfants pour manifester. Gabrielle aime le regard que Christian, mûr et solide, pose sur elle. Lui se sent, d’un coup, l’élève préféré. L’idylle commence, entre la classe seconde et de la première. «Ce n’était pas du tout une passion. C’était de l’amour. La passion, ce n’est pas lucide. Or, c’était lucide», a raconté Christian Rossi au Nouvel Observateur, le 1er mars 1971. Les Rossi devinent, mécontents, la liaison qui s’amorce. Ils menacent. Le jeune Christian fugue, en Allemagne, en Italie. En novembre 1968, ses parents portent plainte pour « détournement de mineur ». Gabrielle Russier est emprisonnée cinq jours aux Baumettes par le juge Bernard Palanque, puis huit semaines en avril 1969. Jamais elle n’accepte de révéler où se trouve son amant, que les Rossi finissent par mettre au vert dans une clinique psychiatrique. Le procès se tient à huis clos en juillet 1969. L’agrégée de lettres est condamnée à douze mois de prison et 500 francs d’amende – une décision amnistiable après l’élection de Georges Pompidou. Mais le parquet fait appel, pressé notamment par l’Université, que l’histoire d’amour indispose et qui refuse à l’accusée le poste d’assistante de linguistique à Aix. «La situation est très grave pour moi, pour les enfants, si je suis virée de l’éducation nationale, écrit Gabrielle Russier. Je ne comprends plus rien, ni de ce que j’entends ni de ce que je lis. Je suis tout abîmée intellectuellement et physiquement. (…) Je vais faire tout mon possible pour « tenir » jusqu’à l’appel.» Mais, à la veille de la rentrée scolaire, Gabrielle Russier ouvre le gaz dans son appartement. Christian Rossi est caché par des amis et attend ses 21 ans pour donner son unique entretien. Ses mots : «Les deux ans de souvenirs qu’elle m’a laissés, elle me les a laissés à moi, je n’ai pas à les raconter. Je les sens. Je les ai vécus, moi seul. Le reste, les gens le savent : c’est une femme qui s’appelait Gabrielle Russier. On s’aimait, on l’a mise en prison, elle s’est tuée. C’est simple.»
Anna CHAIRMANN

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