Publié le 1 mai 2014 à 23h00 - Dernière mise à jour le 27 octobre 2022 à 17h49
Rendez-vous était pris Porte d’Aix à 10h30. Les banderoles se mettent en place, les drapeaux commencent à être déployés, le cortège se prépare à rejoindre les Mobiles via la rue Henri Barbusse et La Canebière. Si le démarrage n’a pas été fulgurant, les rangs se sont grossis au fur et à mesure de la déambulation malgré une unité syndicale qui était aux abonnés absents. La CGT, Solidaires, Sud, la FSU, le CNT, mouvements et associations ont battu le pavé alors qu’au même moment Fo tenait un meeting dans ses locaux de la Bourse du travail à Noailles avant de rendre un hommage à Marc Blondel. De leur côté la CFDT et l’UNSA s’inscrivaient dans une Europe «solidaire» par le biais d’un tract commun. Ni meeting, ni manifestation, le jour de la Fête du travail chômé à bien été respecté.
« Le thé de l’Éléphant vivra à Gémenos»
Le char de l’Éléphant des Fralib fait sensation. Le voir défiler, en tête de cortège, symbolise quasiment à lui seul la lutte des entreprises en difficulté dans la région. En ce 1er mai, c’est aussi la ténacité des travailleurs qui se voit ainsi soulignée. Aux couleurs de la CGT, Philippe, la mine fatiguée mais le cœur haut, a pris place aux côtés de l’imposant animal. Sur le parcours, il en appelle à la «solidarité». « Le thé de l’Eléphant vivra à Gémenos -harangue-t-il alors que l’on remonte la Canebière vers Les Mobiles-. Venez goûter nos thés, nos infusions, du bon tilleul de Provence, du tilleul de chez nous.» Au son des tambours et des percussions, ils sont de plus en plus nombreux à s’approcher de l’estafette, récupérer une boîte contre quelques euros.
«Nous avons perdu 200 euros de pouvoir d’achat»
Corinne (CGT-Educ), elle, a fait le déplacement depuis Barjols dans le Var. Pour cette enseignante en histoire-géo, il ne pouvait en être autrement. Certes, elle est venue «pour dire non à l’austérité», mais aussi pour défendre son métier. «Le gel du point d’indice depuis 2010 fait que nous avons perdu 200 euros de pouvoir d’achat. On a réformé notre statut, on nous dit que notre métier a beaucoup changé. Oh oui, cela on le reconnaît mais ils refusent de payer davantage. La problématique, encore et toujours, reste le salaire. Aujourd’hui, une femme seule avec un salaire de prof ne finit pas le mois. » Une pilule difficile à avaler également pour Mireille, chercheuse en biologie.
«Mettre les chercheurs au pas de l’économie»
Accompagnée de son mari, la jeune femme tient dans la main le drapeau de la FSU. Le 1er mai, pour elle, est affaire «de conviction», «de tradition». De lutte aussi. Et pour le coup, d’un certain «ras-le-bol». Sans colère mais avec ardeur, elle dénonce «la dernière réforme de l’enseignement supérieur et de la recherche ». Aussi bien, insiste-t-elle, dans le contenu que dans les procédés employés. «On nous a fondu dans l’Éducation nationale et avec ça, on reconduit Geneviève Fioraso comme secrétaire d’État. Quelqu’un, en résumé, qui n’a de cesse de vouloir mettre les chercheurs au pas de l’économie. On n’a jamais eu aussi peu de postes. On a perdu 880 postes statutaires au CNRS. J’y suis entrée il y a 15 ans. Aujourd’hui, mon métier se dégrade. En France, les politiques voudraient que l’on fasse comme aux Etats-Unis ou en Angleterre. Sauf que dans le monde anglo-saxon, la recherche est largement financée par le privé. Quel privé en France pourrait en faire de même ? On devient des sous-traitants des privés qui, eux, ferment leurs labos », argumente-t-elle.
Audrey porte quant à elle le combat du monde du travail sur la question, parfois galvaudée, de l’égalité entre hommes et femmes. « Le 1er mai incarne la lutte des travailleurs et des travailleuses. Or, ces dernières, on n’en parle jamais », note la militante d’Osez le féminisme 13. «L’égalité professionnelle, en 2014, en France, on en a toujours pas », estime-t-elle. Les chiffres sont éloquents : « Il y a aujourd’hui en moyenne 27% de salaires en moins pour les femmes. A poste identique, il y a 10% de différence. 10% qui ne correspondent à rien.»
«Les revendications des travailleurs sont les mêmes sur la rive Sud»
Marseille prouve encore en ce 1er mai qu’elle est une capitale euroméditerranéenne.
Parmi les manifestants, un drapeau est brandi avec détermination celui Front populaire tunisien. «Un parti qui correspond au Front de gauche en France», explique Semira. Précisant :«Les revendications des travailleurs sont les mêmes sur la rive Sud». Avec amertume elle revient sur ce qui a motivé la révolution : « le travail, la liberté, la dignité». «Trois ans après, nombre de droits sont remis en question comme la liberté d’expression. Des jeunes sont arrêtés pour des chansons, des peintures, des caricatures. Et des familles de personnes assassinées, blessées font la grève de la faim depuis 7 jours car les responsables de ces actes viennent d’être relâchées de prison », dévoile-t-elle.
«La politique de droite appliquée par le gouvernement socialiste»
Debout sur un muret, George Chahine (CGT-RTM) ne décolère pas. «Nous sommes là pour exprimer notre mécontentement de la politique de droite appliquée par le gouvernement socialiste. Et on entend bien lui faire entendre raison pour tourner à gauche. Il ne faut pas oublier que ce sont les salariés qui subissent toutes les mauvaises décisions de ce gouvernement ».
Métallo à la retraite, Roland Tomat, exprime son inquiétude grandissante pour l’avenir. «On assiste à la liquidation de toutes les industries : LyondellBasell, Alstom et bien d’autres. Et qu’est-ce que vont faire les jeunes ? Et qui va alimenter les caisses de retraite alors que des milliers de personnes sont mis au chômage par jour ? Le Président se moque de cette France qui l’a élu.»
C’est «par solidarité» que Danielle, retraitée de l’enseignement participe à la manifestation. Elle avoue: «Je n’ai pas de problèmes, je vis confortablement ». Mais dans ce contexte difficile, elle regrette «le manque de mobilisation des jeunes».
«On ne parle plus de patients mais de clients»
La santé n’est pas épargnée. Patricia Braccini (CGT- AP-HM) dénonce: « Une situation de plus en plus difficile au niveau de l’AP-HM». Le pire, selon elle: «On ne parle plus de patients mais de clients qui doivent rapporter car il faut faire du chiffre. Ils ont oublié qu’il y a de l’humain qui se cache derrière.»
Il est des actes qui laissent pantois et incitent à la réflexion. «Le planning familial se meurt », lance une de ses représentantes en tendant un préservatif «voilà notre tract».
«On bloque toujours le site de Fos-sur-Mer parce que nous ne sommes pas satisfaits de la lettre de Montebourg», rappelle Gérald Autechaud (CGT -LyondellBasell). Précisant : «Il parle de dépolluer le site de la raffinerie mais cela est déjà prévu par la loi. Il nous plante là des petites pâquerettes. On a un repreneur, la Sotragem une société monégasque mais les Américains ne veulent pas vendre. On appelle donc à encore plus de mobilisation».
«Il faut rester debout pour résister»
Les partis politiques sont également présents au sein de la manifestation au rang desquels PCF, Front de gauche, LO, NPA, EELV… «Il faut rester debout pour résister », juge Jean-Marc Coppola, Front de gauche. Si la mobilisation n’est plus celle des années passées, il met en exergue : « Une période difficile et une forte pédagogie du renoncement». Et dans ce contexte de rigueur et austérité gouvernementales, il salue « les 41 députés socialistes qui n’ont pas suivi les « béni oui-oui » pour valider le plan de Manuel Valls de 50 MM€ d’économies dans les dépenses publiques».
De son côté, le député européen Karim Zéribi entendait y défendre au nom d’Europe Écologie- Les Verts (EELV) « un projet alternatif. » « Nous pensons, argumente l’élu, qu’une relance par l’industrie verte mais aussi une Europe sociale et de la solidarité sont possibles. Les écologistes, nous menons une politique environnementale mais aussi sociale. Nous voulons une Europe des droits et de la protection sociale des travailleurs. C’est cela que nous voulons impulser en cette journée de fête du Travail ».
Europe encore, La Nouvelle Donne, «pour reprendre la main ». «C’est un nouveau parti créé par des citoyens qui refusent de baisser les bras et proposent des solutions concrètes et efficaces pour sortir de la crise et écrire un nouveau contrat social », assure un militant. Affirmant que «le principe de la croissance ne marche pas en prenant de l’argent aux plus fragiles».
Et parmi les politiques présent deux militants socialistes qui avec humour précisent : « Nous ne sommes pas des militants mais des compagnons de route du Parti socialiste … »
Paule COURNET et Patricia MAILLE-CAIRE