Publié le 5 mai 2022 à  7h30 - DerniÚre mise à  jour le 5 novembre 2022 à  12h43
18 morts, 2 357 blessés, des vies brisées et des familles meurtries; trente ans aprÚs, le bilan de la catastrophe de Furiani résonne toujours comme un cauchemar dans le souvenir des rescapés et des témoins de ce drame.
Journaliste au service des sports de La Marseillaise en 1992, jâavais la fonction de secrĂ©taire de rĂ©daction, chargĂ© de la mise en page des articles et des photos des envoyĂ©s spĂ©ciaux du journal Ă Bastia. Internet et la tĂ©lĂ©phonie mobile nâĂ©taient pas Ă cette Ă©poque des moyens de travail Ă la disposition de la presse. Les journalistes dictaient leurs « papiers » aux stĂ©nos et les photographes transmettaient leurs clichĂ©s par les lignes tĂ©lĂ©phoniques. Je nâoublierai jamais la soirĂ©e du 5 mai 1992 et les journĂ©es qui ont suivi. Il est 20 heures quand Claude Fasano, chef des services sportifs du journal mâappelle. Jean-Paul Delhoume et le photographe Marc Fadda Ă©taient les autres envoyĂ©s spĂ©ciaux de La Marseillaise Ă Bastia. «Tu sais, me disait Claude, ici le public est survoltĂ©. On est assis en haut dâune tribune qui nâest pas rassurante. Les gens tapent avec les pieds et ça bouge. Je ne sais pas si ça va tenir.» Je passe la communication Ă la stĂ©no. Claude commence Ă dicter des Ă©chos et des brĂšves, puis plus rien. La communication est coupĂ©e. Je me dirige vers la tĂ©lĂ©vision. Le journal de 20 heures sur TF1 montre en direct les premiĂšres images de La tribune qui vient de sâeffondrer. On entend les premiers cris de douleur et de dĂ©sespoir, les minutes et les heures qui suivent paraissent interminables. La nuit sera trĂšs longue. La demi-finale de Coupe de France Bastia-OM ne se jouera pas.
Rappel des événements
AprĂšs la qualification contre Nancy en quarts de finale de la Coupe de France, le tirage au sort dĂ©signait lâOM, adversaire de Bastia en demi-finale. Les deux Ă©quipes devaient sâopposer Ă Furiani sur un seul match. Bernard Tapie, prĂ©sident et Jean-Louis Levreau vice-prĂ©sident, avaient plusieurs fois proposĂ© aux dirigeants du Sporting dâinverser le match. En jouant au VĂ©lodrome, la sĂ©curitĂ© et le confort des spectateurs Ă©taient assurĂ©s. Jean-François Filippi, le prĂ©sident du Sporting Club de Bastia, refusait la proposition dâinverser la demi-finale et de jouer ainsi Ă Marseille. Il dĂ©cidait de raser la tribune Claude Papi qui contenait 750 places, et de la remplacer par une structure mĂ©tallique. Le but Ă©tait de porter la capacitĂ© du stade Ă 18 000 places. Les opĂ©rations de destruction se dĂ©roulent dans la nuit du 24 au 25 avril 1992, sans permis de dĂ©molition. Une fois l’espace libĂ©rĂ©, le club fait appel Ă une entreprise niçoise, Sud-Tribunes, chargĂ©e de rĂ©aliser une tribune de 9 300 places pour un coĂ»t d’un million de francs. Les travaux de cette nouvelle tribune dĂ©butent le 28 avril 1992 par le terrassement. Le 29 avril 1992, la commission de sĂ©curitĂ© se rend sur le chantier afin de l’inspecter.
Faux document et fausse recette
Ă la suite de cette visite, la ligue corse de football envoie Ă la FFF un avis favorable pour la tenue du match. Il s’agit alors d’un faux car lors des trois rĂ©unions intermĂ©diaires s’Ă©tant tenues, les membres de la commission de sĂ©curitĂ© (Gendarmerie, Pompiers, Direction dĂ©partementale de lâĂquipement et PrĂ©fecture) ont, avec lâinsistance des pompiers, fait part de leurs rĂ©serves. Les tickets sont mis en vente. Ils ne comportent, contrairement Ă la Loi, aucune mention tarifaire et sont 75 % plus chers que pour le match de quart de finale. 1,3 million de francs est seulement dĂ©clarĂ© alors que la recette est estimĂ©e au triple !
La veille du match, lundi 4 mai 1992, les travaux ne sont toujours pas terminĂ©s. Une nouvelle commission de sĂ©curitĂ© inspecte le chantier et note que «le niveau de sĂ©curitĂ© reste trĂšs insuffisant». Le jour du match, les travaux se poursuivent. Une ultime commission de sĂ©curitĂ© se tient alors que les portes du stade sont ouvertes. Henri Hurand, PrĂ©fet de Haute-Corse et Raymond le Deun, son directeur de cabinet sont injoignables. Aucun fonctionnaire de la PrĂ©fecture n’a Ă©tĂ© dĂ©signĂ© pour assurer la prĂ©sidence de la commission, alors que le paraphe prĂ©fectoral est obligatoire. Le match commencera hors de toute lĂ©galitĂ© car sans avis valide de la commission de sĂ©curitĂ©.
Le coup d’envoi du match entre le Sporting et l’OM est prĂ©vu Ă 20h30. DĂšs 19heures, plusieurs responsables de la sĂ©curitĂ© sont inquiets du comportement de la tribune qui commence Ă bouger car elle repose sur des cales en bois et des parpaings non scellĂ©s. Des employĂ©s de Sud-Tribunes s’affairent Ă revisser les boulons et les Ă©crous, en vain. Jean-Pierre Paoli, le speaker du stade, est sommĂ© par des reprĂ©sentants de la sĂ©curitĂ© de calmer le public au micro. Ă 20h15, il invite les supporters de la tribune Nord à «ne pas taper des pieds surtout sur les parties mĂ©talliques» mais il n’est pas Ă©coutĂ©. Ă 20h23, alors que les journalistes de TF1 prennent l’antenne pour la retransmission tĂ©lĂ©visĂ©e, la partie haute de la tribune Nord s’effondre, un immense fracas rĂ©sonne dans tout le stade. Les spectateurs qui Ă©taient assis en haut font une chute de 15 mĂštres. TrĂšs vite, ils envahissent la pelouse afin de fuir la tribune. Certains en profitent pour passer devant les camĂ©ras de tĂ©lĂ©vision pour signifier Ă leur famille leur prĂ©sence. Les secours se mettent en place, les deux unitĂ©s du Samu prĂ©vues pour le match prennent en charge les premiers blessĂ©s. Mais ils sont vite dĂ©bordĂ©s. Ă 21h30, des hĂ©licoptĂšres de la sĂ©curitĂ© civile se posent sur la pelouse du stade pour Ă©vacuer les blessĂ©s. L’aĂ©roport de Bastia Poretta est utilisĂ© pour transporter des blessĂ©s sur le continent, notamment vers les hĂŽpitaux de Nice et Marseille, car ceux de Corse sont saturĂ©s.
Un simulacre de procĂšs
AprĂšs le drame, place Ă lâenquĂȘte et Ă la justice qui devaient dĂ©signer les responsables et les coupables qui ont provoquĂ© cette catastrophe avec ce lourd bilan de 18 morts et de 2 357 blessĂ©s. Lâinstruction du procĂšs est close le 4 janvier 1993. Le 23 avril 1993, la chambre dâaccusation de la Cour dâAppel de Bastia renvoie treize des dix-huit personnes inculpĂ©es devant la chambre correctionnelle du Tribunal de Grande Instance de Bastia et confirme le non-lieu des cinq autres prĂ©venus. Le procĂšs sâouvre le 4 janvier 1995. Le procĂšs en appel se dĂ©roule Ă partir du 16 octobre 1995. Le tribunal correctionnel de Bastia rend son jugement le 31 octobre 1995. Sur les douze prĂ©venus, quatre sont relaxĂ©s. Les autres ont des peines de prison avec sursis et des amendes. Ils se dĂ©robent et fuient leurs responsabilitĂ©s pendant les auditions. Ils sont condamnĂ©s Ă des peines clĂ©mentes. Lâaction publique sâest Ă©teinte contre Jean-Francois Filippi, prĂ©sident du Sporting Club de Bastia et premier responsable du montage de cette tribune maudite. Il est assassinĂ© le 26 dĂ©cembre 1994. Le 15 dĂ©cembre 1995, la Cour dâAppel de Bastia rend son arrĂȘt. CondamnĂ© Ă de la prison ferme, Jean-Marie Boimond le constructeur de La Tribune, est le seul Ă avoir reconnu sa faute. Il nâa pas fait appel.
Aucun match le 5 mai
Le traumatisme causĂ© par cette catastrophe ne sâeffacera jamais. Il a fallu du temps pour que ce drame soit reconnu au niveau national grĂące Ă lâaction du Collectif du 5 mai 1992 soutenu par Thierry Braillard, secrĂ©taire dâĂtat aux sports de 2014 Ă 2017 sous le gouvernement de Manuel Valls. Le 5 mai 2012, aucun match de football professionnel nâest jouĂ© en France pour les 20 ans de la catastrophe. Le 10 mars 2016 est le jour de la reconnaissance nationale du drame. En dĂ©cembre 2016, la LFP acte officiellement quâaucun match ne se jouera dĂ©sormais le 5 mai.
En 2012, la section Provence de lâUJSF (Union des journalistes de sport en France) Ă©crit un livre dont le titre est « Furiani 20 ans» pour le 20e anniversaire, basĂ© sur le rappel des Ă©vĂ©nements et sur les tĂ©moignages de familles des victimes, de joueurs, dirigeants, mĂ©decins, Ă©lus et des journalistes prĂ©sents au stade de Furiani. Ce livre a Ă©tĂ© actualisĂ© en 2017 et en 2022 Ă lâoccasion des 25e et 30e anniversaire. Tous les bĂ©nĂ©fices de cet ouvrage Ă but caritatif (50 120 âŹ) ont Ă©tĂ© intĂ©gralement reversĂ©s et ont servi Ă lâachat de lits mĂ©dicalisĂ©s pour des hĂŽpitaux de Marseille et de Corse.
Sept ans aprĂšs le drame du Heysel Ă Bruxelles survenu avant la finale de la Coupe dâEurope des clubs champions entre la Juventus Turin et Liverpool, lâorganisation dâun match de football en France a provoquĂ© la mort de 18 spectateurs et de 2357 blessĂ©s. Il a fallu ce drame pour renforcer et contrĂŽler les conditions dâaccĂšs et de sĂ©curitĂ© du public dans les stades et dans les espaces accueillant des manifestations sportives et culturelles. Les articles publiĂ©s cette semaine dans la presse et les reportages sur les radios et les chaĂźnes de tĂ©lĂ©vision contribuent au devoir de mĂ©moire afin de ne pas oublier les victimes du 5 mai 1992 Ă Furiani.
Gilbert DULAC