5e Festival de Pâques d’Aix-en-Provence – Les leçons de musique d’Andras Schiff

Publié le 14 avril 2017 à  21h47 - Dernière mise à  jour le 28 octobre 2022 à  16h01

Andras Schiff  à la tête du Chamber Orchestra of Europe (Photo Caroline Doutre)
Andras Schiff à la tête du Chamber Orchestra of Europe (Photo Caroline Doutre)

Placer des œuvres musicales en miroir qui, séparées de plusieurs siècles semblent se compléter, et s’enrichir l’une de l’autre….voilà le parti-pris d’Andras Schiff qui à la tête du Chamber Orchestra of Europe a enflammé le cœur des Aixois présents au Grand Théâtre de Provence (GTP). Il est vrai que rien ne semble en apparence unir Bach à Bartók, et pourtant…. le chef hongrois anobli par la Reine prouvera le contraire et ce d’une manière pédagogique et absolument pas artificielle. On peut, en effet, parler au sujet de son concert de «leçons de musiques successives», Andras Schiff exposant ses points de vue au clavier, à la direction et par une mise en espace mûrement pensée où deux groupes de musiciens sont placés l’un en face de l’autre, leurs instruments dialoguant partition contre partition, agissant par moments presque en écho. Cela débute par le « Ricercar à 3 et 6 voix » de Bach, extrait de «L’offrande musicale» enchaîné à la Musique pour cordes, percussions, et célesta de Bartók, Andras Schiff innovant, illustrant en cela le verbe italien «ricercare» qui veut dire en français «chercher». Prolongeant de fait le dispositif bachien utilisé par l’époque tout entière qui voit deux chœurs identiques se répondant pour former un seul ensemble, Andras Schiff travaille sur les voix des instruments. Ainsi, dans son architecture sonore Bach et Bartók paraissent assez proches, la Musique pour cordes de Bartók semblant comme le disait Messiaen à propos de l’Adagio «de la soie qui se déchire». Magnifique autant que humble, l’interprétation de l’orchestre proposée par son chef laisse la place à la respiration des silences, Les doigts d’Andras Schiff courent sur le clavier, bondissent, distillent une joie de jouer propre à l’esprit de la musique de Bach. Même intensité, même précision et refus des effets faciles avec le Concerto pour piano N° 2 de Brahms où en une heure de musique et quatre mouvements amples le compositeur l’œuvre affirme avec fierté une dimension symphonique. Là encore Andras Schiff procure aux spectateurs une grande émotion, puisque dirigeant et jouant à la fois, il dégage de la musique des Brahms toute l’étendue de sa richesse. « Ricercare » une fois de plus pour extraire une vision ample, humaine, et généreuse de l’œuvre jouée avec puissance sans fioritures ni excès, prolongeant sa leçon de musique intégrale par une manière assez rare de faire sonner distinctement entres elles toutes les familles d’instruments. Retour à Bach ensuite, (peut-être avec l’idée que l’on en revient toujours à celui qui inventa finalement la musique moderne) pour un rappel constitué du «Concerto italien» donné seul au piano enchaîné pour le coup à de véritables voix, celles de l’orchestre tout entier, interprétant de manière magique le Liebesliederwalser de Brahms. Andras Schiff laissant le clavier à deux musiciens utilisant les deux pianos et le voilà comme pour certains moments du Concerto de Brahms, bondissant sur scène, enveloppant du regard chaque soliste, dans un élan presque fraternel. Pédagogie et art de forcer l’adhésion, finalement. Impression confirmée par la chaleur avec laquelle il remercia chacun d’eux, ces derniers laissant apparaître leur admiration pour leur grand chef qui a illuminé de son art cette nuit de musique aixoise.
Jean-Rémi BARLAND

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