Publié le 19 avril 2017 à 17h17 - Dernière mise à jour le 28 octobre 2022 à 16h02
Curieux jugement que celui du critique Eduard Hanslick qui, en 1881 lors de la création à Vienne du Concerto pour violon de Tchaïkovski, déclara : «Friedrich Fischer a dit un jour à propos d’un tableau « qu’on le voyait sentir mauvais »». En écoutant le concerto de Tchaïkovski on se prend pour la première fois à penser qu’il existe aussi des musiques que l’on peut «entendre sentir mauvais». Terrible jugement contrebalançant le succès rencontré par l’œuvre dès sa présentation au public, et qui ne s’est pas démenti depuis. Passage obligé pour tous les violonistes professionnels ce Concerto maint fois joué bénéficiait en cette nouvelle soirée aixoise de Festival de Pâques de l’interprétation hors normes d’Alexandra Cununova, qui, sortant des sentiers battus s’est mis en danger sur tous les mouvements au risque de secouer le public et pourquoi pas de lui déplaire. Franches attaques dans le premier mouvement, plus contenues dans l’émouvant mouvement central, la jeune violoniste ose tout, chamboule les codes, et si sa jeune technique pourtant déjà bien aguerrie ne lui permet pas de surmonter tous les obstacles de cette partition périlleuse, elle parvient à colorer l’ensemble d’un tempo endiablé, et d’en proposer une version très chantante. Elle est aidée en cela par le grand chef milanais Gianandrea Noseda, grand chef lyrique comme l’atteste son rappel tout en nuances d’un extrait de «Manon Lescaut» de Puccini. A la tête du Filarmonica teatro regio Torino, Gianandrea Noseda n’abandonnant jamais la violoniste en chemin, la suit, s’adapte à son rythme, demeure à son écoute. Pas d’affrontement donc entre le soliste et le chef, comme c’est parfois et souvent le cas, mais un dialogue intense, offrant un résultat poétique plus que convaincant.
Puis, ce seront sans Alexandra Cununova, bien entendu, «Les Tableaux d’une exposition» de Moussorgski donnés par l’orchestre dans un déluge de sons rendant l’œuvre encore plus symphonique que d’habitude. C’est la rétrospective consacrée au peintre et architecte russe Victor Hartmann qui servira d’élément déclencheur de l’inspiration de l’artiste. Organisée comme une promenade dans une galerie autour de dix scènes inspirées par les dessins d’Hartman, ces «Tableaux» frappent l’imagination et nous permettent de voyager dans des lieux chers au créateur disparu, situés en Italie, Pologne, Ukraine, France (avec le marché de Limoges) où nous découvrons personnages humains et animaux comme les poussins dans leurs coques, un bœuf, des pattes de poule, rendus fantasmagoriques par le regard du peintre. En chef épris de culture Ginandrea Noseda tire l’œuvre vers son côté romanesque, permettant aux scènes décrites de se développer dans une sarabande de sons bigarrés. Extrêmement impressionnant le final, où l’on voit s’ouvrir la porte de Kiev, raconte de fait les légendes russes avec ses héros ordinaires, femmes, enfants, hommes plus âgés. Orchestrés par Ravel, ces « tableaux » d’abord écrits pour piano, ont trouvé dans le chef italien un ardent défenseur. Par lui les familles d’instruments se répondent dans un écho magnifique. Et comme le résultat sonore est plus qu’impressionnant, voilà Moussorgski servi avec tout le faste qu’il mérite.
Jean-Rémi BARLAND