Publié le 11 avril 2017 à 21h35 - Dernière mise à jour le 28 octobre 2022 à 16h01
Si «Le Retour d’Ulysse dans sa patrie» n’est pas toujours considéré comme une pierre angulaire de l’histoire de la musique, ce dramma per musica de Monteverdi, vraisemblablement créé dans les années 1640, n’en demeure pas moins une étape supplémentaire et significative, après «Orfeo», dans la naissance et l’évolution du genre opératique. C’est avec cette œuvre que s’ouvrait, lundi soir au Grand Théâtre de Provence, la cinquième édition du Festival de Pâques d’Aix-en-Provence dans une nouvelle production mise en espace signée, pour la musique, Sir John Eliot Gardiner et les Monteverdi Choir & English Baroque Soloists, et pour la scène par le maestro lui-même en compagnie d’Elsa Rooke. Une première événementielle, pour cette production appelée à tourner un peu partout dans le monde et qui, comme à Aix-en-Provence, devrait déplacer les foules. Mais attention, tout comme lundi soir après l’entracte, il faudra être attentif à l’horaire car Sir John Eliot est rigoureux. Extinction des feux et début du spectacle, même si la totalité des spectateurs n’a pas retrouvé sa place. Time is time ! Une attitude que l’on comprend mieux lorsque l’on sait que ce «Retour» dure trois heures entrecoupées d’une demi-heure d’entracte. Trois heures de musique baroque où les dieux retrouvent les mortels sur scène, où une certaine esthétique musicale s’affirme et où les machineries de l’époque créent du rêve. Il y a aussi le livret et un texte qui mérite que l’on s’y penche; depuis le travail sur les caractères humains (doute et tristesse de Pénélope, arrogance des prétendants…) jusqu’à la bouffonnerie, presque de la commedia dell’arte, avec la scène finale de Irus, le drame prend de la puissance et le genre naissant de l’essor. Dans cette production, le travail scénique du maestro et d’Elsa Rooke exacerbe ces nouveautés de l’époque. Ici pas d’esbroufe, pas de fanfreluches ; entrées et sorties parfaitement réglées, costumes superbes, lumières soignées: tout est fait pour mettre les voix en sécurité afin qu’elles développent leur chant sans contraintes extérieures. Tout est fait, aussi, pour que l’attention du public soit captée par le jeu et que les émotions accompagnent l’action avec bonheur. Des conditions «de travail» qui permettent à une distribution jeune et d’extrême qualité, de recueillir une ovation peu après minuit. Au premier rang de ces solistes, une découverte (pour nous) la mezzo Lucile Richardot dans le rôle de Pénélope. Pensionnaire du chœur Pygmalion de Raphaël Pichon, la jeune femme nous emprisonne dans ses rets avec une voix hors du commun, aux intonations presque masculines. Des graves qui amplifient la détresse de celle qui, depuis dix ans, espère le retour de l’être aimé. Un grand moment de chant baroque en compagnie de cette jeune femme. A ses côtés le ténor Francisco Fernandez-Rueda livre une réelle performance, doublant les rôles du berger Eumée et, depuis le côté de l’orchestre, de Eurymaque incarné par Zachary Wilder, vocalement souffrant et n’étant présent que pour le jeu. Une belle ligne de chant, de la puissance : rien ne manquait, lundi soir, à cet artiste. Au sein d’une distribution homogène dans la qualité, nous l’avons écrit plus haut, difficile ensuite de mettre telle ou tel en avant. Tous les artisans de cette production méritent l’accueil qui leur fut réservé au milieu de la nuit. Alors nos coups de cœur iront à Hana Blazikova (Minerve/la Fortune) pour sa précision et la franchise de son chant, à Gianluca Buratto (le temps, Neptune et Antinoüs) pour sa basse profonde, sombre et puissante et à Robert Burt pour son incarnation d’Irus avec, notamment, un air final hors du temps, énorme de chant et de bouffonnerie. Une réelle performance pour ce ténor. Sur scène, les instrumentistes de l’English Baroque Soloists n’ont d’yeux et d’attention que pour leur «Sir» John Eliot Gardiner qui leur fait face, assis sur sa chaise de direction. Pendant trois heures, le maestro va donner vie à la musique de Monteverdi comme un peintre pourrait révéler une Sainte-Victoire. A coup d’à-plats maîtrisés, de touches subtiles et nuancées, de recherches du détail, du soin porté à la couleur, du respect de l’architecture, de la densité de la matière, John Eliot Gardiner magnifie la partition comme un autre l’aurait fait de «la» montagne du pays d’Aix. Du grand art pour ouvrir, sous les meilleurs auspices, la cinquième édition du Festival de Pâques d’Aix-en-Provence.
Michel EGEA
Sir András Schiff joue Brahms et dirige le Chamber Orchestra of Europe
«Je dois vous dire que j’ai écrit un petit concerto pour piano, avec un joli petit scherzo», écrivait Brahms à l’aube de la création de son Concerto pour piano n°2. Si modestement présenté, le «petit concerto» conquit d’emblée son public, ébloui tant par la vigueur orchestrale que par la volubilité solistique, qu’il appartient à Sir András Schiff de transcender. Le pianiste d’origine hongroise est associé au Chamber Orchestra of Europe. Habitué du Festival de Pâques, il a été dirigé depuis sa création par des chefs comme Nikolaus Harnoncourt ou Claudio Abbado qui ont développé un son et une curiosité uniques. Ainsi, ils proposent également deux œuvres qui ont marqué leur siècle par la profondeur de leur écriture et du raffinement de leur architecture : L’Offrande musicale de Bach et la Musique pour cordes, percussions et célesta de Bartók.
Pratique. Au Grand Théâtre de Provence, jeudi 13 avril à 20h30. Tarif : de 10 à
71 euros. Réservations au 08 2013 2013 ou festivalpaques.com