Publié le 29 mars 2018 à 8h14 - Dernière mise à jour le 28 octobre 2022 à 18h40
Il a quitté Paris sous la pluie, il est arrivé à Aix-en-Provence sous le soleil. C’est un peu ça, aussi, le miracle du Festival de Pâques ; Eric Tanguy, dont une œuvre commandée par le Festival sera créée vendredi en fin d’après-midi au Conservatoire Darius Milhaud, y a goûté avec délectation mercredi. L’occasion pour nous de rencontrer ce compositeur hors du commun entre deux répétitions d’un concert où il a eu carte blanche.
Voix posée, regard doux, sourire aux lèvres : premier contact avec Eric Tanguy, le tout premier, celui qui reste car il est vrai. Quelques échanges et la personnalité du compositeur se dessine : droite, sincère et affirmée matinée de cette modestie non feinte de ceux qui ont le savoir mais qui ne veulent pas se mettre en avant ou risquer de fâcher leur prochain. S’il est un trait de caractère indéniable chez Eric Tanguy, c’est bien celui là : ne pas faire mal à l’autre. Un père cancérologue réputé, une mère en charge de l’éducation d’une fratrie de six enfants, c’est en jouant du violon qu’il débute, tout petit, dans la musique. Coïncidence, l’un de ses tout premiers professeurs à Caen n’est autre que Michel Durand Mabire, aujourd’hui directeur-adjoint du conservatoire d’Aix ! «Je devais avoir 7 ou 8 ans lorsque je me suis dit que j’aimais bien jouer la musique des autres, mais que j’avais aussi envie d’écrire de la musique. Débutait alors pour moi un très long chemin… » En Normandie, dans la fin des années 1970, il n’y avait pas de classe de composition mais, par chance, Caen accueillait l’un des plus importants festivals de créations musicales. Manifestation qu’Eric Tanguy va suivre assidûment à partir de ses 13 ans. «J’y ai rencontré, Xenakis, Messiaen, Stockhausen et la chance m’a encore souri. J’avais un professeur de violon, Rodrigue Milosi, dont le cousin germain n’était autre que Horacio Radulescu. J’avais 17 ans lorsqu’il a accepté de me donner des cours particuliers et me fixant l’objectif : entrer au Conservatoire National de Paris. Ce que j’ai fait arrivé à l’âge de 20 ans… Tout en ayant continué à jouer du violon aux côtés de musiciens à la belle carrière, comme Ivry Gitlis.» Et le regard familial dans tout ça ? «Mes parents étaient plus enthousiasmés de m’entendre comme violoniste, mais la réalité de mon engagement était bel et bien la création.» Au Conservatoire, c’est la génération des Capuçon, Le Guay, Pahud, et bien d’autres, des interprètes pour lesquels il composera. «Cette génération a porté et porte toujours ma musique. Et ma présence ici, c’est indéniable, est liée à la fidélité, l’amitié et la loyauté de Renaud Capuçon.»
«Pense aux autres»
Difficile, face au compositeur, de ne pas aborder le sujet… de la composition. Où se situent l’ego, le narcissisme, les autres, et bien d’autres questions encore. «Je n’écris pas la musique pour être dans la lumière. Il m’est arrivé de refuser des commandes car je ne sentais pas les choses. Je veux garder mes libertés et continuer à être joué par les gens que j’aime. J’écris en suivant la voie de l’indépendance totale, voie certainement un peu singulière, voie qui s’est ouverte devant moi au moment du déclic dans mon jeune âge. Ensuite il y a les postures narcissiques, gloser sur soi, s’auto-diviniser… Ça arrive. Ma meilleure école pour garder les pieds sur terre s’appelait Radulescu. Puis, il y a eu mon père, ce modèle, cancérologue reconnu qui nous a toujours expliqué que ce qui est important c’est les autres. Alors oui, en tant qu’artiste j’ai envie d’être aimé, mais quelque part il y a la leçon de vie paternelle et son esprit qui me dit pense aux autres.» Lorsque l’interview force délicatement Eric Tanguy à se retourner sur sa carrière il le fait sans concessions, toujours avec le sourire. « Au départ, je pensais que le Graal c’était la complexité. A cette époque, j’ai écrit des choses inaudibles. J’ai intégré la Villa Médicis à Rome pendant une année et ce fut le choc de l’Italie, les confrontations avec le Caravage, l’architecture, l’extrême beauté tout autour de soi. Alors je me suis dit que j’étais dans l’air du temps au lieu de créer quelque chose qui corresponde mieux à mon champ intérieur profond. Et c’est là que j’ai écrit, en 1994, « Trois Esquisses » pour violoncelle que je considère comme mon Opus 1.» Une écriture intérieure, débarrassée des scories, qui lui vaudra quelques problèmes avec le milieu dogmatique de la création contemporaine à son retour à Paris. Il sera rapidement remis en selle par la commande d’un concerto pour violoncelle effectuée par Rostropovitch. «Aujourd’hui, en France, j’ai l’impression d’être un compositeur joker entre l’avant-garde et l’arrière garde. A l’étranger il n’y a pas ces clivages.» Eric Tanguy, fut très proche de Dutilleux, a rencontré Berio, Xenakis, Lutoslawski, a étudié les partitions des symphonies de Sibelius (c’est lui qui lui a appris comment se débarrasser des scories…). Sa musique, modale, il la situe dans la lignée des Debussy, Ravel, Messiaen, Dussapin, Saariaho Escaich… «Mais une chose est certaine, les compositeurs qui ont aimé les musiciens ont mis pas mal d’atouts maîtres dans leur jeu !» Une belle rencontre avec une belle personne à qui Renaud Capuçon a confié une carte blanche pour vendredi 18 heures au conservatoire où sera créée «Rhapsodie», pièce pour alto et piano, la seule formation chambriste pour laquelle il n’avait jamais encore écrit, lui confiant aussi la constitution du programme (Schubert et Mahler) et le choix des musiciens…
Michel EGEA
Eric Tanguy du tac au tac
-Votre principale qualité ? Aimer les autres |