Publié le 29 mars 2018 à 8h14 - Dernière mise à jour le 28 octobre 2022 à 18h40
Il a quitté Paris sous la pluie, il est arrivé à Aix-en-Provence sous le soleil. C’est un peu ça, aussi, le miracle du Festival de Pâques ; Eric Tanguy, dont une œuvre commandée par le Festival sera créée vendredi en fin d’après-midi au Conservatoire Darius Milhaud, y a goûté avec délectation mercredi. L’occasion pour nous de rencontrer ce compositeur hors du commun entre deux répétitions d’un concert où il a eu carte blanche.
«Pense aux autres»
Difficile, face au compositeur, de ne pas aborder le sujet… de la composition. Où se situent l’ego, le narcissisme, les autres, et bien d’autres questions encore. «Je n’écris pas la musique pour être dans la lumière. Il m’est arrivé de refuser des commandes car je ne sentais pas les choses. Je veux garder mes libertés et continuer à être joué par les gens que j’aime. J’écris en suivant la voie de l’indépendance totale, voie certainement un peu singulière, voie qui s’est ouverte devant moi au moment du déclic dans mon jeune âge. Ensuite il y a les postures narcissiques, gloser sur soi, s’auto-diviniser… Ça arrive. Ma meilleure école pour garder les pieds sur terre s’appelait Radulescu. Puis, il y a eu mon père, ce modèle, cancérologue reconnu qui nous a toujours expliqué que ce qui est important c’est les autres. Alors oui, en tant qu’artiste j’ai envie d’être aimé, mais quelque part il y a la leçon de vie paternelle et son esprit qui me dit pense aux autres.» Lorsque l’interview force délicatement Eric Tanguy à se retourner sur sa carrière il le fait sans concessions, toujours avec le sourire. « Au départ, je pensais que le Graal c’était la complexité. A cette époque, j’ai écrit des choses inaudibles. J’ai intégré la Villa Médicis à Rome pendant une année et ce fut le choc de l’Italie, les confrontations avec le Caravage, l’architecture, l’extrême beauté tout autour de soi. Alors je me suis dit que j’étais dans l’air du temps au lieu de créer quelque chose qui corresponde mieux à mon champ intérieur profond. Et c’est là que j’ai écrit, en 1994, “Trois Esquisses” pour violoncelle que je considère comme mon Opus 1.» Une écriture intérieure, débarrassée des scories, qui lui vaudra quelques problèmes avec le milieu dogmatique de la création contemporaine à son retour à Paris. Il sera rapidement remis en selle par la commande d’un concerto pour violoncelle effectuée par Rostropovitch. «Aujourd’hui, en France, j’ai l’impression d’être un compositeur joker entre l’avant-garde et l’arrière garde. A l’étranger il n’y a pas ces clivages.» Eric Tanguy, fut très proche de Dutilleux, a rencontré Berio, Xenakis, Lutoslawski, a étudié les partitions des symphonies de Sibelius (c’est lui qui lui a appris comment se débarrasser des scories…). Sa musique, modale, il la situe dans la lignée des Debussy, Ravel, Messiaen, Dussapin, Saariaho Escaich… «Mais une chose est certaine, les compositeurs qui ont aimé les musiciens ont mis pas mal d’atouts maîtres dans leur jeu !» Une belle rencontre avec une belle personne à qui Renaud Capuçon a confié une carte blanche pour vendredi 18 heures au conservatoire où sera créée «Rhapsodie», pièce pour alto et piano, la seule formation chambriste pour laquelle il n’avait jamais encore écrit, lui confiant aussi la constitution du programme (Schubert et Mahler) et le choix des musiciens…
Michel EGEA
Eric Tanguy du tac au tac
-Votre principale qualité ? Aimer les autres |