Publié le 7 avril 2018 à 23h45 - Dernière mise à jour le 28 octobre 2022 à 18h41
Vendredi c’est violon… A déguster sans modération. Tout a débuté au cœur de l’auditorium du Conservatoire avec Vladimir Spivakov et son Stradivarius de 1712 «Hrimali». Accompagné au piano par Zoya Abolits, le maître russe avait choisi de donner la sonate n°3 de Brahms, la suite italienne de Stravinsky et la sonate en la majeur FWV 8 de César Franck. Hiératique, Spivakov est entré sur scène et s’est tout de suite lancé dans Brahms. Technique parfaite, virtuosité incomparable, c’est un cour magistral que débutait le violoniste qui enchaînait avec Stravinsky et Franck sans ciller. Au bout du compte un récital totalement maîtrisé qui a singulièrement manqué d’émotion, et de sensibilité comme s’il s’agissait de figures imposées où le pathos n’avait pas sa place. Impression renforcée par une sonorité assez aigüe et métallique de l’instrument. Plus populaires, mais un peu décalés, les bis étaient dansants. La habanera de Ravel, la polka russe, la valse sentimentale de Schubert et un tango de Piazzola : il n’en fallait pas plus pour qu’un voisin mauvaise langue lance :«C’est thé dansant». Là aussi le service fut à la hauteur de l’interprète, léché et sans bavures, la posture hiératique ayant simplement cédé la place aux sourires… Fin du 1er acte de cette journée «violon» et traversée de la rue pour aller au Grand Théâtre de Provence.
Changement de décors, changement d’ambiance. Salle quasi complète pour un programme Brahms servi par la jeune violoniste Veronika Eberlé, les musiciens du «Deutsche Kammerphilharmonie Bremen» et le maître Paavo Järvi. C’est le concerto pour violon en ré majeur, op.77 qui ouvrait la soirée. Et si précédemment nous nous étions retrouvés en manque d’émotion, avec Veronika Erberlé ce ne fut pas le cas. Elle a le charme de ses 29 ans, la classe d’une grande soliste et un Stradivarius de 1700 «Dragonetti» à la sonorité chaude et envoûtante. Bien campée sur ses jambes, la violoniste entre dans l’œuvre sans hésitation; c’est tout de suite solide et précis. Finesse et sentiments dans les parties paisibles, engagement et puissance lorsque arrive l’allegro: c’est du travail bien fait en parfait adéquation avec les couleurs somptueuses d’un orchestre hors du commun et la lecture idéale de la partition par Paavo Järvi. Autant dire que le succès sera au rendez-vous avant l’entracte comme il le fut après. Car, sans la violoniste, mais avec un orchestre au complet, c’est la Symphonie n°1 de Brahms qui nous était offerte. Un vrai monument musical servi par une formation qui, pour nous, est la meilleure entendue jusqu’alors à l’occasion de ce 6e Festival de Pâques. Pourquoi ? Parce qu’elle est somptueuse de couleurs et de précision à tous les pupitres, parce qu’il y a des musiciens qui s’écoutent les uns les autres pour accéder à un niveau stratosphérique d’interprétation, parce que sous la direction d’un chef éclairé et habité par la musique elle a livré une symphonie avec puissance, cohésion et envie. On a beau chercher une faille, un décalage, c’est en vain. Les cordes sont chaudes et soyeuses mais nous avons été particulièrement séduits par les bois avec le trio flûtes, hautbois et clarinettes tout en haut de l’afficher. Du brillant et de la qualité extrême, aussi, chez les cuivres très sollicités par la symphonie de Brahms. Mémorable soirée, donc, qui fera date… Et qui nous donne envie de vite réentendre Die Deutsche Kammerphilharmonie Bremen avec le maestro Järvi à sa tête. Fin de l’acte 2 de la journée «violon»… Dommage ; on aurait aimé qu’elle se prolonge encore…
Michel EGEA