Publié le 30 août 2019 à 8h59 - Dernière mise à jour le 29 octobre 2022 à 12h07
Emmaüs, ce n’est pas seulement une brocante, c’est aussi une Fondation à l’objet social, créée par l’Abbé Pierre en 1949. Soit 70 ans d’existence fêtés cette année par l’association. Laquelle organisait, le 15 juin dernier la traditionnelle vente d’été. L’occasion de revenir sur ses missions, son fonctionnement, mais aussi son engagement sur la place marseillaise.
Elle a fêté ses 70 ans cette année. L’histoire est connue, c’est en effet lors d’un hiver 49 particulièrement rigoureux que l’Abbé Pierre fonda Emmaüs. Dans la cité phocéenne, il faudra attendre 1957 pour que les fameux compagnons s’établissent dans le quartier de la Pointe Rouge. Quelques décennies d’existence donc pour l’adresse marseillaise, qui se mute le samedi en un véritable point de chute. Ici, on chine, on achète ses légumes ou son pain, on se pose le temps d’un déjeuner. Bref, Emmaüs Pointe Rouge, c’est un lieu de vie ! Le 15 juin dernier cette dynamique était à son paroxysme pour la traditionnelle vente d’été. Et comme le remarque l’un des trois présidents bénévoles, Kamel Fassatoui, toutes les couches sociales s’y retrouvent : «Vous avez des gens qui sont démunis, des gens qui ont quelques moyens mais sont animés par une réflexion sur l’écologie et enfin des chineurs, venus chercher ici leur passé. Malgré les difficultés de transport sur la ville, les Marseillais viennent de loin, y compris des quartiers Nord, du centre-ville.». Avec le temps, la brocante, «activité dans laquelle Emmaüs fait figure de pionnier» s’est étoffée avec un marché de producteurs locaux. Il est donc possible d’acheter légumes, fruits, pain, œufs … Et là aussi il est question de solidarité : «Nous, on ne prend pas d’argent à ces producteurs. On leur dit voilà, vous avez un espace de solidarité, vous allez rendre service à la population qui a envie de consommer de manière intelligente et surtout de bien consommer. C’est notre logique».Une activité plus diversifiée pour cet exploitant
Serge Mistral, agriculteur à Saint-Rémy-de-Provence fait justement partie de ces exploitants depuis les prémices de la mise en place de cette vente directe, voilà cinq ans. Il propose une large gamme de produits, avec beaucoup de succès. Venant au départ ponctuellement pour les fêtes, il a fini par faire acte de présence tous les samedis, face à la demande grandissante. En termes d’organisation, «ça a été compliqué pour nous parce qu’il a fallu gérer différemment et mettre en place une gamme de produits plus diversifiée». S’il en comptait trois à l’époque, il en propose aujourd’hui 20 sur les étals. «L’exploitation s’est recentrée complètement, on a beaucoup de fraises aujourd’hui, mais aussi des melons, des tomates, des concombres, des aubergines, des poivrons ». Un travail réalisé avec ses proches, son épouse et sa fille, qui reprendra plus tard l’exploitation. Il compte également «quatre salariés permanents et des saisonniers pour ramasser les fraises et quelques produits». Un positionnement pragmatique pour une rentabilité économique relative : la vente directe permet de grossir les marges, puisqu’il y a moins d’intermédiaires. Mais il faut aussi compter le prix de l’essence, de l’autoroute, sachant que Saint-Rémy-de-Provence se situe à 100km de Marseille. Et qu’il est présent également sur deux autres points de vente directe, le mardi et le jeudi, devant les gares de Saint-Charles et de Blancarde. Car Marseille est sa zone de chalandise naturelle : «A Saint-Rémy, il y a 100 producteurs et quelque 10 000 citoyens alors qu’à Marseille il y en a 1 million et sans paysans», s’amuse-t-il.Entretien avec Serge Mistral serge_mistral_agriculteur_15_06_2019-2.mp3 |
Pas seulement une brocante
Vente directe et brocante : des activités qui ont lieu dans le Domaine Pastré, propriété de l’Assistance Publique des Hôpitaux de Marseille (APHM). «Nous payons un petit loyer parce que nous répondons à un objet social». Pour mémoire, Emmaüs n’est pas seulement «une brocante, un lieu de vente … mais un lieu d’accueil de compagnons et de compagnes. Ce sont des hommes et des femmes qui, à un moment donné de leur vie, ont basculé, ont perdu leur logement, ont eu des ruptures telles qu’ils se retrouvent dans la rue». Ainsi à Emmaüs, ils trouvent un toit «contre la participation à une activité de solidarité. On se lève le matin, on travaille au sein de la communauté pour valoriser les dons». Certains y restent longtemps, pour «un projet de vie», d’autres y passent de façon temporaire. Mais quel que soit le cas, Emmaüs offre un accompagnement nécessitant parfois l’intervention d’une assistante sociale, salariée. «Elle suit des compagnons dans leurs démarches administratives, se préoccupe de leur santé mais également de leur projet, s’il y a volonté de sortie». Enfin, il y a des initiatives plus excentrées. Tel le camion «Le petit déj d’Emmaüs, qui est vraiment dans notre ADN». Stationné au centre-ville de Marseille tous les matins, il distribue gracieusement des petits-déjeuners à tous ceux qui en ont besoin. «On tient à cette action-là, il y a deux compagnons qui se lèvent le matin et qui ne font que ça». Emmaüs a aussi ouvert deux boutiques en Centre Ville, «pour être plus proche de la population. Puisque tout le monde ne peut pas venir à la Point Rouge».Présent aux côtés du Collectif du 5 novembre
Ainsi Emmaüs Pointe Rouge ne reste-t-il pas cantonné sur son site de la traverse Parangon. L’association s’implique aussi dans la cité. Elle s’est illustrée récemment aux côtés du «Collectif du 5 novembre». Quoi de plus naturel pour Kamel Fassatoui : «La trêve hivernale, c’est grâce à l’Abbé Pierre. C’est lui qui l’a permise, donc on se bat pour le logement des plus exclus». Ce qui a rendu légitime le rapprochement avec ce Collectif, actif auprès des délogés de la cité phocéenne. « Évidemment quand on a une population marseillaise, du centre-ville, qui se retrouve traumatisée par des écroulements de bâtiments, des gens dehors, des morts, on ne peut qu’appartenir à un collectif et nous avons un rôle majeur». C’est ainsi que les membres de la Fondation à Marseille ont participé à l’élaboration de la charte du relogement. Mais aussi ont contribué «à l’équipement des personnes délogées. Selon les cas de figure, il s’agit de couches, de vêtements. Des dons ont été faits, nous les avons distribués. Ce peut être aussi, pour les personnes relogées qui éprouvaient trop de difficultés pour s’équiper, de l’électroménager ou du mobilier». Outre cette redistribution de matériel, Emmaüs Pointe Rouge a aussi « géré la collecte de fonds, puisque le collectif du 5 novembre ne peut pas recevoir d’argent. Or on sait qu’il y a eu un élan de générosité des Marseillais pour ces délogés… C’est donc Emmaüs qui l’a collecté». Enfin, au delà de l’aide matérielle, «on prodigue aussi du soutien psychologique. Vous savez, quand on voit des gens qui arrivent sur notre site, on prend le temps de discuter, d’échanger, on les oriente et c’est très important». Une implication indéniable dans la cité certes, mais totalement dénuée d’engagement politique. Question d’indépendance de pensée, de parole et d’action, explique enfin Kamel Fassatoui. «Nous sommes les porte-voix des plus faibles et nous voulons toujours rester sur le domaine de l’action de terrain. On ne veut pas aller sur le politique parce que, quel que soit le politique, il aura toujours en face de lui Emmaüs pour lui dire des choses très claires. C’est notre tradition d’interpellation. Bien sûr, personne ne peut égaler l’Abbé Pierre au niveau de l’interpellation, mais nous, nous posons comme ses héritiers ! La politique, nous la faisons donc par nos mobilisations, nos actions. Par exemple, si nous avons contribué à l’écriture de la charte du relogement, nous nous retirons aujourd’hui de cette dynamique pour garder notre liberté d’intervention à l’aune des élections municipales. Car nous serons toujours là pour interpeller ».Entretien avec Kamel Fassatoui kamel_fassatoui_responsable_emmaus_pointe_rouge_15_06_2019-2.mp3 |