71e Festival d’Aix-en-Provence – « Jakob Lenz » à la folie

Publié le 6 juillet 2019 à  23h07 - Dernière mise à  jour le 29 octobre 2022 à  12h00

Georg Nigl, Lenz et John Daszak, Kaufmann. (Photo Pascal Victor).
Georg Nigl, Lenz et John Daszak, Kaufmann. (Photo Pascal Victor).

En programmant «Jakob Lenz», l’opéra de chambre de Wolfgang Rihm créé en 1979 à Hambourg, Pierre Audi, le nouveau directeur du Festival d’Aix , a voulu, comme il l’a fait avec Requiem et Tosca, marquer d’entrée de jeu sa différence et affirmer sa personnalité. Il avait aussi, certainement, en tête, de proposer au public festivalier la découverte d’une œuvre de notre temps, entrée au répertoire mais peu connue en France, dans une production du Staatsoper de Stuttgart de 2014 qui a marqué les esprits. C’est donc la curiosité qui l’emportait, vendredi soir, au Grand Théâtre de Provence, au moment de débuter la représentation. Et quelle représentation ! Une heure et vingt minutes à couper le souffle, un énorme coup de poing dans le ventre, les tripes retournées et le regard fasciné porté vers le plateau sans pouvoir s’échapper. Une heure et vingt minutes d’une quête, en treize tableaux, menée par le poète schizophrène Jakob Lenz pour retrouver sa bien aimée disparue, une heure vingt d’une montée de la folie jusqu’à la déchéance totale, cruelle mais inexorablement logique. Servir une telle œuvre nécessite un investissement hors norme, un abandon total, mais maîtrisé, dans un rôle psychiquement agressif. Le Lenz du baryton Georg Nigl est entré dans nos mémoires et n’en ressortira plus. Présence, jeu, voix, il nous plonge dans le désarroi le plus total d’une démence que nous subissons avec lui ; une vraie torture psychologique à laquelle personne n’échappe.
Enfermés avec les protagonistes dans cet univers forcément gris, granitique et humide, parfois même dans les rayons d’un meuble bibliothèque aux allures de catacombes, comment ne pas entrer en souffrance ? Dans ce contexte, le souffle d’air à peu près frais de l’humanité, c’est le pasteur Oberlin, incarné par le baryton basse Wolfgang Bankl, qui l’apporte. Impuissant face aux questionnements de Lenz, il est tout de même en empathie avec lui. Plus d’agressivité et de violence chez Kaufmann, l’ami, incarné par le ténor John Daszak qui tentera, en vain, de faire revenir Lenz sur des chemin plus raisonnables. Mais qu’a-t-il à faire de la raison sinon à s’en servir pour s’enfoncer encore plus dans son obsession démente ? Un trio majuscule pour cette production. A leurs côtés, les «voix» de Josefin Feiler, Olga Heikkilä, Camille Merckx, Beth Taylor, Dominic Große et Eric Ander entretiennent tension et illusions, parfaitement et totalement intégrées qu’elles sont au cœur de la partition de Rihm et dans la mise en scène absolument géniale d’Andrea Breth récompensée, en 2015 par le prix Faust, la plus haute gratification pouvant être obtenue par le théâtre musical en Allemagne. Pour cet opéra de chambre, Wolfgang Rihm a composé une partition riche et stylistiquement variée idéalement servie, à Aix, par l’excellent Ensemble Modern sous la direction musicale précise et dynamique d’Ingo Metzmacher. Jakob Lenz est, sans conteste, notre premier coup de cœur de cette 71e édition du Festival d’Aix-en-Provence.
Michel Egéa

« Jakob Lenz » de Wolfgang Rihm. Au Grand Théâtre de Provence, les 8 et 12 juillet à 20 heures. Billetterie, place des Martyrs de la Résistance de 10 à 19 heures. Tél. 08 20 922 923 (12 cts /min). festival-aix.com
En direct sur « France Musique » le 12 juillet.

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