Publié le 16 juillet 2017 à 23h30 - Dernière mise à jour le 28 octobre 2022 à 17h17
Toujours aussi peu de monde place Daviel, à Marseille pour les cérémonies commémoratives de la Journée nationale à la mémoire des victimes des crimes racistes et antisémites de l’État français et d’hommage aux « Justes » de France et pourtant que d’émotions, de densité dans les propos. Ce 75e anniversaire de la Rafle du Vel’ d’Hiv arrive dans un contexte lourd de nuages. Dans notre pays, des juifs ont été tués, subi des tentatives d’assassinat au simple fait qu’ils étaient juifs. La candidate frontiste à la Présidentielle, Marine Le Pen, a déclaré lors de la campagne que le Vel’ d’Hiv n’était pas un crime français. L’oubli est un luxe que l’on ne peut vraiment se permettre.
Tout va bien
Marie-Dominique Tatilon, association « Mémoire vive de la résistance » insiste tout particulièrement sur ceux qui ont résisté, raconte à ce propos: «Ma mère, adolescente, avait une amie, Régine, avec laquelle elle allait à l’école, au cours Julien, à Marseille. Un jour, les Allemands, accompagnés de policiers français, entrent dans la classe, demandent aux enfants juifs de se déclarer, ce que fait Régine. Dès le lendemain sa place était vide à l’école. Peu de temps avant la fin de la guerre ma mère recevra pourtant un courrier de cette dernière lui disant: tout va bien. A la fin de la guerre Régine lui expliquera que le lendemain un policier français était venu chez ses parents disant que la famille devait partir car, une heure plus tard, il reviendrait avec d’autres policiers pour les arrêter. Les voisins alertés ont alors caché la famille jusqu’à ce qu’ils puissent les envoyer à la campagne où ils resteront jusqu’à la fin de la guerre».
Maurice Finkelstein, Amicale des Déportés d’Auschwitz, région Marseille-Provence, rappelle la rafle «Les 16 et 17 juillet, 13 152 juifs sont arrêtés par la police française: 1129 hommes, 2916 femmes et 4115 enfants sont enfermés dans l’enceinte sportive du Vélodrome d’Hiver». Il parle de la déportation, des camps de la mort: «N’oublions jamais les victimes et leurs sauveurs».
«Combien de Simone Veil en puissance, combien de futurs citoyens exemplaires, combien d’hommes et de femmes de bien»
Gérard Bismuth, au nom du Consistoire, rend hommage à Simone Veil qui, à ses yeux «a, entre autres mérites, celui d’avoir fait honneur à la mémoire de ses codétenus d’Auschwitz en partageant avec eux cette majesté et ce supplément d’âme attachés à son itinéraire personnel. Revenue miraculeusement de l’enfer concentrationnaire qui était censé la réduire à l’état d’objet, d’animal, de numéro, de non-être absolu, elle a donné à voir, de façon subliminale ce qu’auraient pu devenir ses millions de congénères assassinés. Car parmi eux, combien de Simone Veil en puissance, combien de futurs citoyens exemplaires, combien d’hommes et de femmes de bien, combien de pères et de mères prolifiques et bienfaisants, combien de vies simples, tranquilles ou fantasques et combien de destins d’exception à sa ressemblance».
Fabienne Denbayan, Crif Marseille Provence, revient sur ses journées terribles de 1942. «Joseph a onze ans. Et ce matin il doit aller à l’école, une étoile jaune cousue sur sa poitrine. Entre bienveillance et mépris, ses copains, leur famille, vivent dans un Paris occupé jusqu’à ce matin du 16 juillet où leur vie bascule … . Du 19 au 22 juillet, les familles du Vél d’Hiv sont transportées dans les camps de Pithiviers et Beaune-la Rolande. Adultes et adolescents sont déportés en premier; brutalement séparés de leurs parents, environ 3 000 enfants en bas-âge sont laissés sur place dans une affreuse détresse ; ils sont transférés à Drancy puis déportés entre le 17 et 31 août 1942. Aucun d’entre eux n’est revenu».
«Ne rien occulter de ces heures sombres c’est défendre une idée de l’homme, de sa liberté et de sa dignité»
Elle revient sur la journée nationale à la mémoire des victimes des crimes racistes et antisémites de l’État français et d’hommage aux «Justes» de France: «Une responsabilité, que tout récemment certains élus politiques, de façon inconsidérée, se sont autorisés à dénier (…) Est-il pourtant besoin de rappeler que l’État français, sous l’égide du Maréchal Pétain, doté des pleins pouvoirs par le vote des parlementaires rassemblés à Vichy, engage immédiatement une politique raciste, xénophobe et antisémite, édictant des lois qui excluent de la communauté nationale une partie de la population française en raison de « sa race »». Avec la mise en œuvre de la solution finale par les nazis persécutions et rafles se multiplient affectant l’ensemble de la communauté juive, française et étrangère, hommes, femmes et enfants. «En organisant leur recensement, leur arrestation et leur internement l’État français se fait le complice de leur extermination. Les images défilent : elles sont fortes, nouent la gorge, étreignent le cœur : discriminations, exclusions, spoliations, humiliations, tortures, déportations, assassinats dans une chaîne infernale au service d’une idéologie perverse». De citer les propos du Président Chirac, le 16 juillet 1995: «Ces heures noires qui ont souillé à jamais notre Histoire et qui sont une injure à notre passé et nos traditions, la folie criminelle secondée par l’État de Vichy. La France, ce jour-là, accomplissait l’irréparable ». Pour elle: «Commémorer c’est transmettre la mémoire des souffrances et des camps. Témoigner encore et encore. Ne rien occulter de ces heures sombres c’est défendre une idée de l’Homme, de sa liberté et de sa dignité. C’est lutter contre les forces obscures, sans cesse à l’œuvre. Le combat n’est jamais fini. La gravité s’impose encore et plus particulièrement alors que tout récemment des personnes sont mortes, assassinées, à nouveau, pour le seul fait d’être juives».
Fabienne Bendayan conclut en rendant hommage à Robert Vigouroux qui vient de s’éteindre et qui, jeune médecin, s’était porté volontaire pour aller soigner les juifs, rescapés des camps pour la plupart, entassés sur l’Exodus.
Michel Chpilevsky, le sous-préfet d’Arles, représentant le préfet de région Stéphane Bouillon, lit le message de Geneviève Darrieussecq, secrétaire d’État auprès de la ministre des Armées Florence Parly. Elle rend hommage aux victimes des crimes racistes et antisémites de l’État français et aux Justes. Elle n’oublie pas «Les Tziganes arrêtés, déportés», rend hommage: «à ces hommes et ses femmes altruistes, courageux, qui rendirent son honneur au Pays des Droits de l’Homme».
Claire Pitolat, députée REM, avoue, au terme de la cérémonie: «C’est dur de retenir ses larmes. Il était clair pour moi que je devais être là mais je n’imaginais pas la force émotionnelle. Il importe de se souvenir de ce qui s’est produit afin de lutter contre ce penchant sombre de l’humain et de mettre en lumière combien l’humain peut être aussi merveilleux lorsqu’il s’unit».
Michel CAIRE