Publié le 26 avril 2019 à 13h46 - Dernière mise à jour le 29 octobre 2022 à 11h44
Le 12 avril dernier à la Maison de l’Avocat de Marseille, l’Ordre en question et l’association 60 000 Rebonds réunissaient tous les acteurs clés de l’accompagnement du chef d’entreprise dans la procédure collective. Le but : impulser entre ces derniers une véritable synergie pour humaniser et optimiser cette prise en charge. L’événement a par ailleurs permis de faire la lumière sur l’association organisatrice, spécialisée dans l’accompagnement des dirigeants après liquidation.
Elle est seule sur son créneau et de fait, elle s’est imposée dans le paysage hexagonal. Autant en effet, les structures d’appui à la création, voire à la reprise d’entreprises sont légion, autant l’association 60 000 rebonds -c’est son nom- ne compte pas d’homologue dans son créneau. A savoir, l’accompagnement des dirigeants qui ont déposé le bilan. D’où le clin d’œil : on compte chaque année près de 60 000 faillites au national… donc l’ambition, c’est bien celle-là. Remettre le pied de ces derniers à l’étrier. Et ne serait-ce que sur un plan culturel, ce n’est pas si simple, explique Patrick Siri, le président régional de l’association : «Nous devons faire bouger les lignes et les fausses croyances. Parce que, dire que réussite égal compétences pour tous, et échec équivaut à incompétences pour tous, c’est simpliste, binaire… ce n’est plus possible». Or, ces croyances, elles les atteignent, ces dirigeants. Il y a le sentiment de culpabilité, la peur du regard de l’Autre, la honte de dire que l’on a échoué, «qui ne devrait pas avoir lieu d’être. Il y a aussi l’importance du traumatisme vécu, professionnel, financier, psychologique. C’est forte de ce constat que s’est créée l’association 60 000 rebonds. Elle mène deux missions : tout d’abord, aider les gens post-liquidation à sortir de l’isolement car après une faillite, on est deux fois plus isolé». Au D de dirigeant s’accole alors toute une série noire de même initiale : dépôt de bilan, dépression, parfois déménagement, divorce… voire même décès. Pour éviter cette spirale, une deuxième mission s’enclenche : «Nous les soutenons, pour un nouveau projet entrepreneurial ou pour retrouver un emploi salarié, grâce au soutien de coachs bénévoles». Soit sept rendez-vous, 24 mois d’accompagnement et trois phases, qui interviennent parfois simultanément, précise de son côté Stéphanie Dommartin-Roussel, trésorière et coach : «Prendre de la hauteur, restaurer l’image de soi et penser le lendemain».
Privilégier l’amiable
C’était non seulement pour mieux faire connaître son action des mondes juridique et financier, mais aussi pour voir comment œuvrer ensemble que l’association avait organisé avec l’Ordre des avocats de Marseille, le 12 avril dernier, un petit-déjeuner thématique. Le but : optimiser/humaniser l’accompagnement des entrepreneurs en souffrance. Et, préalable nécessaire, distiller l’idée qu’«il n’y a pas que la culture de la réussite. Il y a aussi le droit à l’échec», a ainsi introduit le bâtonnier Yann Arnoux-Pollak. Or pour amorcer ce changement de regard, encore faut-il que tous ces acteurs avancent dans le même sens. Avocats, juges, banquiers, huissiers, experts-comptables, mandataires ou administrateurs judiciaires : il importe de «croiser les compétences aujourd’hui pour aider les dirigeants à rebondir après le dépôt de bilan», abonde de son côté l’avocate Marie-Caroline Bernard. Une ambition salutaire, d’autant que la conjoncture n’est pas fameuse actuellement, décrit Bruno Nivière, président du Tribunal de Commerce : «Le nombre de procédures collectives a baissé ces deux dernières années. On enregistre -13% au niveau de Paca. Toutefois selon un rapport 2018 d’Altares, il y a eu fracture au 30 juin. Au premier semestre, à l’échelle nationale, on comptait 1 852 procédures collectives en moins par rapport à l’année précédente, mais au deuxième semestre, 1 350 de plus». Alors… que faire ? Tous les invités se rejoignent sur le sujet : quel que soit le niveau d’intervention, ils préconisent l’éthique, l’humanisme, la bienveillance, en lieu et place du frontal. A commencer par Bruno Nivière, évoquant le fait que les procédures de règlement amiables, telles que mandat ad hoc et conciliation, produisent de bien meilleurs fruits. «On observe 85% de réussite. Alors qu’avec les autres types de procédure, a contrario, on compte 85% d’échec ». Vincent De Carrière, mandataire judiciaire, abonde dans le même sens : « nos métiers ont évolué. Opposer les droits des créanciers et les intérêts de l’entreprise, c’est une bêtise. Tout doit se traiter dans la confiance et le dialogue. Nous sommes là pour accompagner, trouver des solutions».
Inscrire le droit au rebond dans la loi
Idem du côté des huissiers, illustre Xavier Titton : «La profession s’est spécialisée dans le recouvrement amiable. Pour ce qui est de la gestion de l’endettement, on est donc sur l’humain. Il existe une charte de recouvrement responsable, à laquelle j’ai adhéré. Et il y a désormais possibilité de contester la dette, de demander son aménagement, de négocier les pénalités, les remises d’intérêt. Nous sommes des conciliateurs, il ne faut pas avoir peur de l’homme en noir. Le mieux est de venir avec ses dossiers, ses chiffres et négocier ». Éthique enfin du côté des professions du chiffre, poursuit Laurent Vervloet, commissaire aux comptes : «Quand une entreprise défaille, l’expert-comptable a forcément des arriérés. Or on ne peut pas lâcher le dirigeant du jour au lendemain. C’est ce que j’ai fait avec l’un de mes clients en difficulté. Après lui avoir fait signé une reconnaissance de dettes, je lui ai demandé quelques temps après de la déchirer, parce qu’il avait du mal à sortir de l’impasse. Je savais qu’il ne pourrait pas me payer. Au final, deux ans plus tard il a recréé une société et sa nouvelle entreprise est le fleuron de mon cabinet». Faire confiance, donc. Et celle-ci n’est pas placée de façon inconsidérée. «Ceux qui ont déposé le bilan ont souvent un regard dur sur eux-mêmes. Alors qu’en réalité, ce sont des combattants de folie. Cela fait parfois des années qu’ils vont chercher des contrats avec les dents, qu’ils livrent alors que les fournisseurs les ont lâchés. Or quand ils l’évoquent, ils n’y voient pas d’héroïsme, ça leur paraît normal. On leur fait donc prendre conscience de leur talent, de leurs ressources», reprend Stéphanie Dommartin-Roussel. Même son de cloche chez Laurent Vervloet : «Ce dont ils n’ont pas conscience, c’est qu’ils se sont payés, en termes d’expérience, un véritable troisième cycle. Ils ont la compétence d’une école que personne ne peut avoir. Ils ne verront plus du tout un business de la même manière». D’ailleurs, c’est bien ainsi que l’on voit les choses outre Atlantique, où les dirigeants ayant connu l’échec sont vus de façon plus que favorable. «Nous avions visité une usine Tesla aux États-Unis, l’un des cadres dirigeants était Français. Il nous explique qu’il s’y est établi parce qu’en France, on ne voulait plus de lui, puisqu’il avait déposé le bilan. Aux États-unienne, on lui a dit tu es le bienvenu, tu as fait faillite, c’est excellent pour nous. Tu vas apprendre de tes erreurs et tu vas surperformer. Et combien compte-t-on d’histoires similaires… De fait, on est en train de se faire piller notre potentiel de chefs d’entreprise par les américains et les asiatiques. Le droit au rebond doit donc absolument être inscrit dans la loi », martèle encore Vincent de Carrière.
Faire sortir la finance de ses superstitions
Et c’est justement là que le bât blesse. «Les mentalités ont beaucoup évolué, grâce au soutien des associations… Autrefois, on ne permettait pas à celui qui était tombé de se relever. A présent on met de l’empathie, de la gentillesse, de la confiance, on organise davantage le fait de permettre de se relever. Toutefois, du côté des textes, nous n’avons pas totalement avancé », pointe du doigt l’ancien bâtonnier Marc Bollet. Une stagnation qui conforte les établissements bancaires dans leur positionnement, puisque toujours selon l’ancien bâtonnier, «la communauté financière ne joue pas assez le jeu du rebond, c’est une organisation qui est de nature à contrarier le rebond du dirigeant. Il faut donc faire en sorte que dans les fichiers, il n’y ait plus de traces d’incidents». Mais outre la loi, le monde de la finance peut aussi envisager son rôle de façon plus disruptive… C’est ce que fait la banque Thémis, explique son délégué régional, Pierre Pichot-Damon. «Nous sommes les seuls qui ne partons pas en courant quand le dirigeant a déposé le bilan. Nos clients sont des entreprises en mauvaise santé.» Rodée aux procédures de préventions et procédures collectives, la «banque du rebond», comme elle se nomme, sait mettre en place rapidement les financements adaptés, faire preuve de rapidité d’exécution et de fluidité pour que rien n’entrave la poursuite de l’activité de la banque, ce avec des clients «qui ont parfois des fonds propres négatifs, des trésoreries complètement évaporées». C’est certes, une approche totalement novatrice. Pour Pierre Pichot-Damon, elle ne doit pas rester marginale. «L’analyse financière comme on l’enseigne encore aujourd’hui, c’est comme si on inculquait la médecine sans évoquer les maladies, parce que ça porte malheur. La finance doit sortir de sa superstition, apprendre quoi faire quand on s’est cassé la figure». Au final, ce serait peut-être plus d’entreprises sauvées ou à défaut, moins de dirigeants stigmatisés lorsqu’ils mettent la clé sous la porte. Ce que s’emploie déjà à faire 60 000 Rebonds : «Aider ces hommes et ces femmes à sortir de leur ADN ce mot de dépôt de bilan, leur faire comprendre que ce n’est pas leur identité, mais juste un événement de leur parcours», reprend Stéphanie Dommartin-Roussel. Ainsi a témoigné Isabelle Ederlé, qui a connu la liquidation de sa boulangerie-pâtisserie en 2015. « Du jour au lendemain, vous n’êtes plus rien. Vous avez failli : la société vous renvoie ça. Vous êtes très seul et l’expérience des 3 D, c’est bien une réalité au quotidien. Je suis arrivée à 60000 Rebonds un an après mon dépôt de bilan. Ils ont eu la bienveillance de me faire relever la tête. Ils m’ont fait avancer. Grâce à eux, je ne ressens plus cette croix rouge adossée ad vitam æternam sur mon dos. Je suis redevenue indépendante, dans le domaine de l’immobilier. Et je suis fière d’avoir changé mon angle de vue». Car l’objectif final, c’est bien celui-là : restaurer l’audace de porter de nouveaux projets.
Carole PAYRAU