L’exposition estivale du Musée Granet à Aix-en-Provence consacrée à Jean Daret (1614-1668) est des plus originales. Elle propose une centaine d’œuvres mises en scène au Musée, mais aussi la découverte d’autres tableaux accrochés dans les églises de la région provençale ainsi que celle du majestueux trompe-l’œil de l’escalier de l’Hôtel de Châteaurenard (1654). Un coup de projecteur sur ce maître flamand du baroque provençal.
Si tout les chemins mènent à Rome, pour Jean Daret, celui du retour de la ville sainte s’est arrêté à Aix-en-Provence. Il est alors âgé d’une vingtaine d’années et trois ans après son installation sur les rives du cours Mirabeau il épouse Madeleine Cabassol. Aux âmes bien nées, dit-on, la valeur n’attend pas les cheveux blancs. C’est à l’âge de 11 ans que le jeune flamand débute son apprentissage chez le peintre Antoine Van Opstal dans sa ville natale de Bruxelles et 10 ans plus tard, après un passage par Paris, il séjourne à Rome. Une aubaine pour lui qui est grandement influencé par le Caravage. A Aix il fréquente rapidement la haute-société et les cercles religieux. Il y rencontre ses mécènes et ne tarde pas à recevoir des commandes. En quelques années il devient le peintre aixois le plus connu.
Sensibilité et spiritualité
Si l’exposition accrochée au Musée Granet illustre toutes les facettes de son travail, ce sont surtout les œuvres religieuses qui y sont superbement mises en scène. Daret excelle dans l’art de créer des ambiances et dès la première salle, la monumentale « Crucifixion avec la Vierge des sept douleurs entourée de saint Pierre et de saint Antoine abbé » fascine et tétanise à la fois. Cette immense toile, décrochée pour la circonstance des murs de la cathédrale Saint-Sauveur, est l’une des premières commandes passée au jeune peintre fraichement arrivé à Aix. La maîtrise de la lumière et des couleurs procurent à l’œuvre puissance, densité et spiritualité. Des qualités que l’on retrouve dans la très émouvante « Lamentation » ainsi que dans nombre de tableaux proposés dans les salles qui suivent. Difficile de rester insensible aux expressions des visages des malades implorant une guérison auprès du Bienheureux Salvador de Horta, autre grande toile décrochée à l’église Sainte-Madeleine d’Aix-en-Provence ou encore cette très sensible « Mort de Saint-Joseph » toute en douceur et en humanité, mise en regard de deux œuvres représentant le même sujet et signées Reynaud Levieux et Nicolas Mignard.
Nus délicats et chasseur au repos
S’il était très sollicité pour travailler sur des sujets religieux, Jean Daret ne délaissait pas pour autant les sujets profanes; l’une de ses toiles les plus connues n’est-elle pas la « Joueuse de luth » qui mêle délicatesse, sensibilité et sens du détail. Sa production spirituelle ne l’empêche nullement d’aborder le nu féminin avec des caractéristiques stylistiques récurrentes : peau blanche, seins haut placés; « délicat mais dénué de sensibilité », analyse Jane MacAvock commissaire scientifique de l’exposition qui connaît son Daret sur le bout des doigts. Quelques scène épiques sont aussi proposées et si l’exposition s’ouvre avec le Christ en croix, elle se referme avec un tableau considéré comme le chef-d’œuvre du peintre, « Portrait de chasseur assis en compagnie de ses chiens» peint en association avec son compatriote Nicasius Bernaerts. Daret est à Paris a cette époque pour participer aux travaux de décoration du Château de Vincennes. Il est alors peintre du Roi et cette œuvre est d’une importance fondamentale car il s’agirait du premier portrait d’un chasseur au repos de la peinture française.
Un trompe l’œil fascinant
Une autre expression du talent de Jean Daret est sa maîtrise parfaite de la perspective et de la peinture illusionniste qui en fait un décorateur réputé. En 1660, le Roi Soleil séjournant à Aix-en-Provence, tombe en extase devant la cage d’escalier de l’hôtel de Châteaurenard où il réside. C’est Jean Daret qui y a créé un monumental trompe-l’œil basé sur l’art de la quadratura avec une architecture feinte ouvrant sur un ciel où vole une vertu. Une réalisation qui foisonne de détails aussi élégants les uns que les autres et qui est assurément l’un des fleurons du patrimoine aixois, que l’on dit unique dans le patrimoine français du XVIIe siècle. Un chef-d’œuvre baroque commandé en son temps au peintre par Jean-François d’Aymard, conseiller au Parlement et propriétaire de l’hôtel particulier. Cet escalier ne se raconte pas, il se visite et la restauration qu’il vient de vivre avec bonheur le propose magnifié aux regards des visiteurs.
Sur les chemins de Provence
De restauration, il en est aussi question pour onze tableaux de Jean Daret qui ont fait l’objet de soins attentifs et judicieux dans les locaux du Centre Interdisciplinaire de conservation et de restauration du patrimoine installé à Marseille. Une campagne rendue possible, entre autres, par la dimension régionale de l’exposition. On peut en effet poursuivre la découverte des œuvres du peintre en marchant sur ses pas en Provence. Quinze communes sont en effet associées pour proposer une quarantaine d’œuvres de Jean Daret et d’autres artistes du XVIIe siècle. Un chemin qui mènera les visiteurs dans les Bouches-du-Rhône mais aussi dans le Vaucluse et dans le Var. Signalons enfin que deux expositions associées sont proposées : « Aix au grand siècle » au Musée du Vieil Aix (jusqu’au 5 janvier 2025) et « Trésors baroques de la cathédrale Notre Dame et Saint Véran» à la Chapelle du Grand Couvent à Cavaillon. En Provence l’été sera Daret ou ne sera pas…
Michel EGEA
Musée Granet, jusqu’au 25 septembre 2024; ouvert du mardi au dimanche de 10 à 18 heures; fermé le lundi. Tél. 04 42 52 88 32 – Plus d’info museegranet-aixenprovence.fr