Censurée à deux reprises en 1734 et 1736, « Samson », la tragédie lyrique de Rameau sur un livret de Voltaire connaît une nouvelle vie près de 300 ans plus tard. Par la volonté du chef Raphaël Pichon et du metteur en scène Claus Guth. Le premier a récupéré les éléments d’un puzzle musical recyclés par Rameau au fil de ses compositions pour les assembler en une composition homogène ; le second, fidèle à l’esprit de Voltaire, a écrit le scénario. Une libre création mondiale qui vient de marquer les esprits dans la Cour de l’Archevêché d’Aix-en-Provence.
Dans les ruines d’un édifice détruit par un attentat suicide qui a fait des centaines de morts, une mère cherche les raisons du drame dont son fils, Samson, est l’auteur. Point de départ terrible pour dérouler l’histoire d’un personnage biblique qui voulait libérer le peuple hébreux du joug des Philistins. Le propos interpelle d’autant plus que l’action, en son temps, se déroule sur les terres gazaouis. « Nous avons débuté notre travail bien avant le conflit actuel », confie Raphaël Pichon. Mais le directeur musical et le metteur en scène n’éludent pas si simplement la question, le premier évoquant les dangers du fanatisme religieux lorsqu’il croise une réalité politique terrible et le second la sauvagerie liée à la manipulation d’âmes naïves; Claus Guth n’hésitant pas à rappeler que Samson est, dans la littérature, le premier exemple d’un meurtrier par suicide.
Avec ce matériau musical et intellectuel, les deux hommes ont créé un objet unique, puissant et cohérent, qui traverse le temps et parle aux oreilles et aux yeux de chacun. La musique de Rameau est parfaitement associée aux sons actuels, électroniques notamment, et sur la scène, si la conception du décor est « classique », la mise en oeuvre de techniques modernes, lasers et stroboscopes entre autres, sont des éléments essentiels de dynamisation de l’action. L’un des atouts de la mise en scène est la structuration de l’action autour du récit et des questionnements de la mère; un rôle essentiel idéalement servi par l’’aixoise Andréa Ferréol qui l’investit totalement. Elle permet de rythmer des tranches de vie, souvent violentes et parfois insoutenables, d’un Samson qui se veut élu de dieu tout en affichant une naïveté certaine, notamment lorsqu’il est rattrapé par l’amour pour Dalila.
Dans le rôle-titre, le baryton Jarrett Ott réalise une performance hors du commun. Il livre entre douceur naïve et violence non maitrisée, toute la complexité de son personnage. La voix est sombre et puissante et la diction soignée. La soprano Jacquelyn Stucker est totalement investie dans sa Dalila et va au bout de la vie de son personnage avec émotion et élégance vocale simplement habillée de sous-vêtements. Un engagement maximal scénique et vocal: frissons garantis. terriblement émouvante dans son remord. Léa Desandre est Timna, la philistine, premier amour de Samson. On sait les qualités de l’artiste qui s’est révélée au fil des ans au Festival d’Aix-en-Provence, et une fois de plus sa délicatesse et sa sensibilité font merveille. Aux côtés du trio, Laurence Kilsby est un Elon plus que haïssable, ce qui témoigne de la qualité de son interprétation vocale et scénique, Nahuel di Pierro, Achisch, s’impose en traitre et Julie Roset, avec une seul aile dans le dos, en ange radieux ! Antonin Rondepierre, juge et convive et le comédien Pascal Lifschutz (un sans-abri) complétant la distribution.
Comment ne pas évoquer, aussi, l’apport du choeur et de l’orchestre Pygmalion ? Certes leur fondateur n’est autre que leur directeur musicale et nul doute qu’ils ont longuement travaillé ce « Samson », mais les couleurs, l’investissement scénique, la précision des instrumentistes et des choristes comptent largement dans la qualité de l’accueil réservé à l’oeuvre par un public encore sous le choc de la puissance de l’ensemble. L’événement était attendu; il a tenu ses promesses. Ce « Samson » s’impose comme un joyau de la programmation festivalière aixoise et fera date.
Michel EGEA
«Samson» libre création mondiale de Claus Guth et Raphaël Pichon d’après l’opéra perdu de Rameau, lau Théâtre de l’Archevêché d’Aix-en-Provence. Prochaines représentations les 6, 9, 12, 15 et 18 juillet. festival-aix.com .« Samson » sera diffusé sur France-Musique le 8 juillet à 20 heures et en livestream sur Arte.TV le 12 juillet à 21h30.