Si l’on demande à l’inventif Arnaud Gagnoud pourquoi il a choisi d’adapter pour la scène « Bel ami » de Maupassant il répond sans hésiter : « C’est le roman qui m’a fait changer de carrière. Je voulais devenir ingénieur en informatique et notre prof de seconde nous a fait travailler ce monument de la littérature française et cela m’a donné envie de devenir comédien. Quelque chose de radical s’est passé en moi, et je me suis dit que l’art ouvrait d’infinis chemins d’existence. »
Arts en scène à Lyon, Conservatoire du XIe arrondissement à Paris, Arnaud enchaîne les aventures de comédien, jouant dans « Le magasin des suicides», d’après Jean Teulé mis en scène par Franck Regnier, apparaissant ensuite dans « Sentiments distingués », un court-métrage de Keren Marciano, diffusé sur Canal +, où il donnait la réplique à Pascale Arbillot, Blanca Li et Fred Bianconi. Puis ce sera « Contagions » la pièce de François Bégaudeau et « SeX’Y » un opéra de Marie-Eve Signeyrole donné à l’Opéra Bastille . Une aventure collective qu’il qualifie d’extrême et de phénoménal e!
« Bel Ami est un roman très actuel »
Pour monter « Bel ami » au théâtre Arnaud Gagnoud qui signe aussi une mise en scène fluide et aérienne, a effectué des coupes sur les principales parties de pure narration. « J’ai adapté le roman pour en faire des dialogues les plus percutants possibles sans que l’on sache ce qui m’incombait ou était tiré du texte original. Bien entendu je n’ai pas trahi la parole de Maupassant ni l’esprit de ce roman qui demeure très actuel. Comme tous les grands romans « Bel Ami » traverse les époques je voulais conserver l’essence de l’œuvre mais ne pas garder que les relations de Bel Ami aux femmes. Il n’en reste que quatre ici après avoir supprimé par exemple le personnage de Rachel, la prostituée des Folies Bergères. Je ne voulais pas omettre d’inclure dans le récit les rapports politiques, et financiers unissant les protagonistes. Sans coupures ça faisait douze heures… un format incompatible avec le Off d’Avignon »
Travail essentiel de Rémi Palazy, musicien et assistant à la mise en scène
Idée pertinente que d’avoir confié à Rémi Palazy le soin de prendre en charge la direction d’acteurs quand Arnaud était au plateau, et de lui avoir proposé de signer des musiques additionnelles pour le spectacle. D’autant plus que le résultat est confondant d’intelligence et de beautés sonores. Ayant une formation pluridisciplinaire (théâtre, chant, danse, musique) Rémi Palazi qui joue et a joué dans quelques pièces et comédies musicales «Chevaliers Princesse et Dragon», une création d’Olivier Solivérès au Théâtre des Mathurins à Paris, « Adèle Berry », « La guerre des boutons » il participe au groupe musical « Cavalier seul » et a pris au Conservatoire de Toulon des cours de solfège et de piano. Master d’études théâtrales, Conservatoire du XIIe arrondissement, classe libre au cours Florent, Rémi Palazzi semble savoir tout faire et ne rien louper… «J’ai beaucoup aimé, dit-il, la manière dont Arnaud développe son récit. Car il raconte un personnage qui raconte sa vie, ses envies, et je le vois en tant que comédien s’épanouir sur scène et porter l’ensemble de la troupe avec une énergie bienveillante.» Ce que lui renvoie Arnaud qui précise : «Sans Rémi ce spectacle n’existerait pas….et chaque fois que je doute il est là pour me faire reprendre confiance.»
Musiques qui ne sont pas illustratives
Pour la construction de la musique Rémi Palazi a voulu créer des morceaux comme autant de passerelles entre l’époque romantique et le monde d’aujourd’hui. Son travail débouchant alors sur des moments assez magiques où les notes écrites et jouées prolongent la parole en mettant principalement en lumière les silences, les émois des personnages ou les interrogations suscitées par Maupassant. Travail d’artiste, travail de troupe «Bel Ami» brille ainsi de mille feux. Mais allons voir de plus près….
Virtuosité de tous les comédiens
« Quand la caissière lui eut rendu la monnaie de sa pièce de cent sous, Georges Duroy sortit du restaurant. » Ainsi débute « Bel ami » le chef d’oeuvre de Maupassant dont l’action se situe à la fin des années 1830 dans un Paris en pleine révolution industrielle. Nous y suivons le parcours intime et professionnel d’un jeune homme très séduisant, qui fils de paysans miséreux, luttera pour s’extraire de la pauvreté. Surnommé « Bel ami » il sera d’abord manipulé par de nombreuses personnes, pour leurs propres intérêts puis deviendra à son tour manipulateur épris de femmes puissantes le guidant dans sa conquête du pouvoir. Avec intelligence, virtuosité et sens artistique Arnaud Gagnoud qui rappelons-le signe également la mise en scène de ce spectacle festif offre une adaptation du roman qui évite tous les clichés, et donne l’occasion à l’ensemble des comédiens de réaliser un remarquable travail de troupe. Incarnant lui-même « Bel Ami » il a su s’entourer d’interprètes flamboyants s’imposant comme des médiums du texte. Citons-les tous : Victor Bourigault, Élise Dano, Morgane Drubigny, Leonor Lançon, Agnès Proust, Franck Régnier, Jérôme Toucheboeuf, Pierre Zaoui. Incarnant chacun plusieurs personnages, on ne saurait dire lequel d’entre-eux est le meilleur tant ils sont tous en symbiose, au diapason, débordants d’inventivité nous faisant passer du rire à l’émotion. Rappelons qu’Arnaud Gagnoud, flamboyant dans la peau de « Bel Ami » a confié à Rémi Palazy qui l’assiste à la mise en scène, le soin de composer des musiques originales chargées non de paraphraser le texte mais de donner à entendre ce que la prose de Maupassant suggère. Musicien exceptionnel, Stradivarius d’un spectacle d’une beauté à couper le souffle, Rémi Palazy soutient ainsi les fondations de cette pièce portée par un souffle épique, et romantique et dont le généreux travail d’un Arnaud Gagnoud au sommet de son art fait aimer la littérature et le théâtre tout entier.
Jean-Rémi BARLAND
« Bel ami » à l’Espace Roseau Teinturiers – 45, rue des Teinturiers. jusqu’au 21 juillet à 10h. Réservation +33 (0)4 84 51 26 44. ou espaceroseauteinturiers.fr
